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SÏ9 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SES RITES

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Se crurent-elles obligées d’encadrer dans un repas la fraction du pain ?

On se rappelle la description des premiers jours du christianisme que nous a laissée le livre des Actes, ii, 42. « Les fidèles persévéraient dans la doctrine des apôtres et la vie commune, dans la jraction du pain et les prières, 43… Tous les croyants étaient ensemble et avaient tout en commun ! 45. Et ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, selon que chacun en avait besoin. 46. Tous les jours ils étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu et trouvant grâce auprès de tout le peuple. »

Comme il a été observé plus haut (col. 827), la première fois certainement et peut-être aussi la seconde, la fraction du pain désigne la célébration de l’eucharistie. D’autre part, le livre des Actes souligne fortement le fait que les premiers chrétiens vivaient en commun. Ils avaient donc des repas collectifs. Le Tait n’a d’ailleurs rien d'étrange. On sait que les juifs en pèlerinage à Jérusalem se réunissaient volontiers pour prendre leurs repas, le fait est attesté par Josèphe. Cf. Schiirer, Geschichte des jûdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 4e édit., Leipzig, 1909, p. 143 sq. Les apôtres sont des Galiléens et parmi les convertis de la première heure on compte des étrangers. Leurs frères de Jérusalem habitués à recevoir les pèlerins ont donc dû les inviter à leurs tables. Enfin, le livre des Actes insiste sur l’esprit de charité qui anime les premiers disciples ; puisqu’ils mettent leurs biens en commun, il est tout naturel qu’ils se soient réunis pour prendre leurs repas.

La fraction du pain eucharistique s’y plaçait-elle comme au cénacle, où elle avait été partie du banquet d’adieu ? Le texte ne le dit pas formellement. Mais on l’admet d’ordinaire et avec raison ce semble. A côté en effet de la fraction du pain, le livre des Actes signale la vie en commun, ii, 42, et les repas des fidèles, ii, 46. On est au lendemain même de la première cène et dans la ville où elle a eu lieu. Le souvenir en est bien vivant, et on a dû être tenté d’imiter aussi parfaitement que possible ce que Jésus avait ordonné de réitérer. Les fidèles prient au Temple et dans leurs maisons. Ils n’ont pas d'églises où ils pourraient célébrer les rites de l’Israël nouveau. On est donc plus naturellement porté à unir la fraction du pain à un repas. II est encore assez facile de le faire, parce que le nombre des chrétiens n’est pas considérable. Aussi les adversaires même de l’existence d’une agape à l'âge apostolique consentent-ils à reconnaître qu'à Jérusalem, dans les tout premiers jours, la cène chrétienne a pu être célébrée au cours d’un repas. La fraction eucharistique du pain et la bénédiction de la coupe qui l’accompagnait, se distinguaient alors du reste de la cène, comme au cénacle les mêmes rites accomplis par Jésus s'étaient différenciés des autres services du banquet d’adieu. Batiffol, op. cit, p. 117-118.

Mais on ajoute, et déjà des raisons d’ordre pratique suffisent à établir le bien fondé de cette observation : quand à Jérusalem le nombre des chrétiens augmenta, il devint difficile sinon impossible de maintenir la vie en commun, les repas collectifs de tous les membres de l'Église locale. Aucun autre texte ne les signale. « Nous pouvons conclure, écrit Thomas, art. Agape. Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 144, que le repas communautaire que l’on a voulu appeler l’agape primitive, à Jérusalem même, n’a jamais eu qu’un caractère provisoire, fortuit qui s’explique tout naturellement par les circonstances de la première communauté chrétienne… » Il semble certain que le cas de Jérusalem ne peut pas être allégué pour établir l’existence d’une coutume générale de toutes les commu nautés. Enfin, comme le remarque Vôlker, op. cit., p. 34-35, il n’est pas démontré qu'à ces repas eucharis tiques des tout premiers chrétiens avaient lieu les distributions de nourriture aux veuves dont le livre des Actes parle au chapitre vi, 1-0. Les deux institutions pouvaient ne pas se confondre.

La fraction du pain réapparaît à Troas. Act., xx, 7. On ne voit pas si le rite avait lieu au cours d’un repas fraternel des fidèles. Les partisans même de l’existence d’une agape apostolique l’avouent : « Ce texte ne parle que de la fraction du pain sans faire aucune allusion au souper. Avait-il lieu néanmoins ? Nul n’est en mesure de le dire. » Lcolercq, art. Agapes, Dict. d’archéologie, Paris, 1907, t. i a, col. 784.

La longue durée de la réunion commencée le soir et terminée le lendemain à l’aurore s’explique, sans qu’il soit nécessaire de la considérer comme consacrée à un festin. Les fidèles de Troas ne pouvaient pas se lasser d’entendre l’Apôtre. L’accident causé par la chute, la mort et la résurrection d’Eutychus n’a pas été sans imposer une interruption notable. Sans doute pour faire savoir que l’Apôtre a mangé le pain de la fraction, le livre des Actes dit qu’il l’a goûté, ys-jaipievo ;. Or il emploie ce mot en un autre passage pour désigner un repas ordinaire. Mais ici ce verbe est si intimement rapproché du terme fraction que le sens n’est pas douteux. La phrase : « Paul ayant rompu le pain et l’ayant goûté », xx, 11, ne peut que signifier : l’Apôtre mangea lui-même ce qu’il venait de distribuer aux assistants. Rien donc ici ne prouve que la cène eucharistique s’insère dans un repas proprement dit.

Certaines circonstances semblent insinuer le contraire. « Nous étions réunis pour rompre le pain », est-il écrit, xx, 7, donc seulement pour cet acte. Paul « s’entretient avec les disciples et prolonge son discours jusqu'à minuit ». xx, 7. Dans un repas ordinaire, il y a d’habitude une conversation plus générale. Eutychus est assis sur la fenêtre, « il est accablé de sommeil », xx, 9 : ces circonstances s’expliquent mieux s’il écoute un discours que s’il mange. C’est après minuit seulement qu’a lieu la fraction du pain, xx, 11. Il est difficile de l’associer à un repas du soir, à moins d’admettre que le repas du Seigneur présidé par Paul ait été un plantureux et interminable banquet. L’apôtre aurait-il toléré en sa présence et approuvé par sa participation un tel abus ? Les graves avis qu’il donne à la communauté de Corinthe permettent d’en douter.

Là, un repas proprement dit était uni à la fraction du pain. Le fait est certain, puisqu’il motive les observations de saint Paul, I Cor., xi, 17 : « Je ne vous fais pas compliment de ce que vos réunions ne tournent pas à votre profit, mais à votre dommage. 18. Premièrement, quand vous tenez votre assemblée, j’apprends qu’il se forme parmi vous des groupes séparés… 20. Lors donc que vous vous réunissez ensemble, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous mangez. 21. En effet, chacun en se mettant à table, commence par prendre son propre repas et l’un a faim tandis que l’autre s’enivre. 22. N’avez-vous pas vos maisons pour manger et boire ? Ou méprisez-vous l'église de Dieu et voulez-vous faire honte à ceux qui n’ont rien ? 23. Que vous dirai-je ? Vais-je vous louer ? En cela, non, je ne vous loue certes pas. Suit la description du repas du Seigneur. Puis l’Apôtre ordonne aux fidèles de la réitérer de telle manière qu’ils annoncent la mort de Jésus. Il veut donc qu’ils s'éprouvent avant de manger le pain de la fraction et avant de boire la coupe du Seigneur, afin qu’ils ne les reçoivent pas indignement et pour leur condamnation, ꝟ. 21-32. Saint Paul conclut, 33 : « Ainsi donc, mes frères, lorsque vous vous assemblez pour le repas, attendez-vous les uns les autres. 34. Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison. »