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MESSE DANS L’ECRITURE, L'ÉPITRE AUX HÉBREUX


sion indirecte à l’eucharistie. » Batiffol, op. cit., p. 112.

Il n’y a pas jusqu’au présent : nous avons, habemus, èyoafj, qui ne puisse être souligné. Quand l'Épître aux Hébreux et les autres livres du Nouveau Testament parlent de la mort du Christ sur la croix, ils sont bien obligés de mettre au passé le verbe qu’ils emploient, puisque le fait a eu lieu depuis longtemps. I.es exemples se trouvent partout, citons seulement la lettre ici étudiée : « Le Christ entra une fois pour toutes par son propre sang dans le sanctuaire », ix, 12 ; « Il s’offrit lui-même sans tache à Dieu », ix, 14 ; « par une seule oblation il amena pour toujours à la perfection ceux qu’il a sanctifiés », x, 14 ; « ayant été offert une seule fois pour abolir le péché de beaucoup, il apparaîtra une seconde fois ». ix, 28. Or, ici l'épître écrit : « Nous avons un autel. » Donc, elle ne parle pas seulement de la croix érigée jadis et abattue depuis longtemps, où Jésus s’offrit en sacrifice. Mais ici est désigné soit l’endroit où la victime du Calvaire se livre aujourd’hui aux communiants, soit le sacrifice sanglant du Golgotha continué, renouvelé par le Christ afin que les fidèles puissent s’en nourrir. On peut donc soutenir que chaque mot de ce verset oriente la pensée du lecteur vers l’eucharistie et la présente comme un sacrifice.

Mais alors pourquoi donc dans les deux phrases suivantes l’auteur rappelle-t-il la défense faite à Israël de consommer les chairs offertes pour le péché, l’obligation de les brûler hors du camp, xiii, 11 ; et pourquoi ajoute-t-il aussitôt que le Christ lui aussi fut une victime expiatoire et que, comme tel, il versa son sang hors de la porte de Jérusalem ? Pourquoi, sinon pour imposer aux chrétiens la défense de manger de leur autel ?

La véritable explication est tout autre. L'épître a déclaré que le prêtre juif n’a pas le droit de communier à l’autel chrétien. Elle le prouve. Et un peu plus loin, elle invite ses lecteurs à « sortir hors du camp pour aller à Jésus ». Elle doit faire savoir pourquoi cet exode s’impose. C’est parce que le Christ fut crucifié hors de la ville.

Sans doute, la loi du Lévitique, xvi, 27, est formelle : « On emportera hors du camp le taureau et le bouc immolés pour le péché dont le sang aura été porté dans le sanctuaire pour l’expiation, et on consumera par le feu, la peau, la chair et les excréments. » Or, Jésus s’est offert pour les fautes de son peuple afin d’introduire son sang dans le ciel. Mais, toute l'Épître aux Hébreux le prouve, elle a été composée pour l'établir : ces prescriptions mosaïques n’obligent pas l’Israël nouveau, elles n’existent pas pour les bénéficiaires de l’alliance nouvelle et supérieure. « En raison de ce qu’elle avait d’inefficace et d’inutile, la loi jadis existante se trouve abolie. Elle n’a pas en effet conduit les choses à leur perfection et une espérance meilleure apparaît par laquelle nous nous approchons de Dieu. » vn, 18-19. La prescription qui ordonnait de brûler le corps de certaines victimes n'était-elle pas précisément un de ces rites qui, se contentant de détruire, était inefficace et inutile ? Au contraire le droit reconnu aux chrétiens de manger de leur autel, c’est-àdire de communier au Christ, ne les approche-t-il pas de Dieu ? L'épître dit encore : « Puisque le sacerdoce est changé, il y a aussi nécessairement transformation de la Loi. » vii, 12. Il est donc tout naturel que la défense faite aux prêtres et lévites juifs ne soit plus en vigueur pour les chrétiens.

Comment admettre d’ailleurs que l'Épître aux Hébreux ait voulu imposer aux fidèles cette interdiction 9 Qu’on place à n’importe quel point du temps et de l’espace la rédaction de cet écrit, un fait est certain : à l'époque où il est composé, où il apparaît, où il circule de main en main, la cène est réitérée dans les

Églises chrétiennes. La pratique de la communion est bien connue. On en fait remonter l’origine à Jésus lui-même. Peut-on admettre qu’un écrit vénéré des fidèles condamne cet usage, et cela au nom d’un précepte lévitique ? Comprend-on que personne dans l’antiquité ne le lui ait reproché? Réville et Goguel sentent bien que cette hypothèse est irrecevable. Ils l’avouent : on ne peut supposer qu’une pratique « universellement attestée par tous les autres documents primitifs de provenances les plus diverses, ait été inconnue à Rome, à Alexandrie et dans l’entourage de l'écrivain alexandrin à qui nous devons l'Épître aux Hébreux. » Mais la communion n’avait pas à ses yeux l’importance qu’on lui a donnée plus tard. Elle « n'était pas au centre de ses préoccupations et il ne la conçoit pas comme un sacrifice ». Goguel, op. cit., p. 218 ; Réville, op. cit., p. 71. Ces explications embarrassées pèchent contre la logique. Si l'épître défend aux chrétiens de manger de leur autel, elle combat l’usage universellement reçu et ce fait est plus qu’invraisemblable, il est impossible.

La lettre n’enseigne pas d’ailleurs qu’il y ait similitude complète entre les offrandes pour le péché en usage chez les juifs et l’immolation du Christ sur la croix. Elle, reconnaît même que le contraire est vrai. Ainsi les victimes juives étaient égorgées dans le tabernacle où s’opérait le sacrifice et brûlées hors du camp, loin de l’autel. Jésus, au contraire, non seulement versa son sang hors de la porte, mais là encore il offrit son sacrifice : car si l'épître déclare que, dès son entrée en ce monde, le Christ voulut se présenter à Dieu, x, 5, elle montre le rite expiatoire du péché dans l’offrande de sa mort et l’effusion de son sang, ix, 14-15, 22, 20-28. Que conclure ? sinon que tout n’est pas identique dans les sacrifices mosaïques et dans celui du Christ ? La prudence nous invite à ne pas chercher de ressemblances en dehors des deux similitudes que l'épître nous signale : le sang de Jésus comme celui des victimes pour le péché fut offert pour la purification du peuple ; et de même que les animaux immolés dans le tabernacle étaient brûlés hors du camp, ainsi le Christ fut crucifié hors de Jérusalem. L'Épître aux Hébreux ne pousse pas plus loin la comparaison : imitons sa réserve.

La lettre ajoute : « Puisque le Christ mourut hors de la porte, sortons du camp pour aller à lui. » xiii, 13. Cette fois encore, l’auteur passe avec art d’une phrase à l’autre. Nous sommes en face d’une idée nouvelle : les lecteurs sont invités à quitter le judaïsme, mais cette pensée se dégage de la précédente : Jésus fut crucifié hors de la porte. De ce qu’ici le langage est à prendre au sens figuré, il n’y a pas lieu de conclure que les mots autel et manger ne doivent pas être interprétés à la lettre. Les destinataires de l'épître n’ignoraient pas que le peuple juif n’habitait plus sous la tente. Si l'épître aux Hébreux parle souvent de tabernade et de camp, c’est parce qu’elle cite des prescriptions légales contenues dans le Pentateuque et où se trouvent sans cesse ces deux mots. Mais nul lecteur ne pouvait s’y tromper. Chacun savait que le tabernacle était devenu le temple et que le camp avait fait place à la ville. D’autre part, puisqu’il n'était pas défendu à des chrétiens d’habiter à Jérusalem, on ne pouvait se méprendre sur le sens de l’appel donné par l'épître : sortir du camp, aller à Jésus. On était invité à quitter la religion juive pour le christianisme. Au contraire, nous croyons l’avoir prouvé, les mots manger de l’autel chrétien ne pouvaient être compris des lecteurs de la lettre comme signifiant : recueillir les fruits de la passion Dans un cas, il y a une figure qu’expliquent les faits dans le second, il y aurait énigme peu intelligible.

Pourquoi faut-il sortir du camp, quitter le judaïsme et aller au Christ en portant son opprobre ? xiii, 13.