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MESSE DANS L'ÉCRITURE, L'ÉPITRE AUX HÉBREUX


contraire, la communion eucharistique n’a jamais été. considérée par le chrétien comme supplantant la grâce, s’opposant à elle et la rendant inutile. Tout autre est la doctrine des fidèles. Par la communion eucharistique, on obtient la grâce et ainsi on fortifie son cœur. Le quatrième évangile enseigne qu’on « mange la chair du Fils de l’homme » pour demeurer dans le Clirist, pour avoir la vie, la vie par lui, la vie éternelle. Ce pain du ciel est le salut du monde. Joa., vi, 52-58. Il peut ainsi donner la force du cœur. Ce n’est donc pas la confiance en l’eucharistie que condamne l'épître, c’est la foi superstitieuse qui attribue une efficacité imaginaire à des aliments recommandés par la loi juive.

Alors tout naturellement suit le fameux verset : « Nous avons un autel dont ceux qui font le service du tabernacle n’ont pas le droit de manger. » Consolezvous, chrétiens, semble écrire la lettre, ces viandes recommandées parla loi et dont certains juifs font tant de cas, vous n’avez pas à les regretter, vous possédez mieux. Les deux pensées s’appellent et se complètent à merveille.

Car c’est bien ainsi qu’il faut entendre le verset cité plus haut. Le traduire par les mots : Nous avons

autel dont les chrétiens n’ont pas le droit de manger, serait commettre un « contresens ». Batifïol, op. cit., p. 114. La véritable signification des termes employés par l'épître apparaît immédiatement : Ceux qui font le service du tabernacle n’ont jamais été les disciples de Jésus, mais bien les membres du sacerdoce juif. Plus encore que nous, les destinataires de l'épître, venus d’Israël au christianisme, le savaient, et ils étaient incapables de comprendre autrement ces mots. A huit autres endroits, le mot tabernacle est employé dans l'épître : il désigne ou les tentes sacrées dont la loi de Moïse avait prescrit l'érection, viii, 5 ; ix, 2, 3, (3, 8, 21, ou le sanctuaire véritable, plus grand et plus parfait, construit non par la main d’un homme, mais par Dieu, celui du ciel, viii, 2 et ix, 11, où le Christ apparaît comme prêtre à jamais. Nulle part, ni dans cette lettre, ni dans d’autres écrits du Nouveau Testament, les fidèles ne sont appelés « ministres du tabernacle » oî. T7J axTjvT) XocTpeûovTeç. Au contraire, pour désigner les prêtres juifs, l'épître les appelle « ceux qui font le service d’une image, d’une ombre des choses célestes », o’it'.vsç imoSzlyiiot.xoi xal csxià. XaxpEu juctlv tcôv È7toupa<îcov, viii, 5, c’est-à-dire exactement, puisque d’après l'épître, la loi est l’ombre des biens à venir, x, 1, ceux qui font le service du tabernacle de la terre, image de celui du ciel.

O. HoUzmann fait sourire quand, pour justifier sa traduction, il écrit : « Le tabernacle, c’est ici le temple pneumatique du Nouveau Testament. » Il ne suffit pas de le prétendre, il faut le démontrer. Réville et Goguel, il est vrai, croient le prouver en faisant observer que cette proposition les prêtres juifs n’ont pas le droit de manger de l’autel clirétien, serait dépourvue de sens et inexplicable, puisque tout le monde le sait ; et puisque d’ailleurs nul Israélite ne réclame cette faculté. L'épître parlerait donc pour ne rien dire et pour repousser une requête qui n’a jamais été présentée.

Au contraire, il est très facile de découvrir à la phrase ainsi entendue un sens fort plausible et qui s’harmonise à merveille avec l’idée générale de l'épître et le contexte immédiat. La lettre aux Hébreux, on le sait, a été rédigée pour consoler, pour encourager à la persévérance des chrétiens d’origine juive qui pouvaient être tentés de regretter le culte mosaïque et auxquels il fallait montrer la supériorité de la nouvelle alliance, du nouveau sacerdoce, du nouveau sacrifice. Rien de plus naturel, rien de plus adroit donc que cette affirmation. Nous aussi, chrétiens, nous avons un autel, un autel que les juifs ne possèdent pas, un autel auquel prêtres et lévites ne peuvent

participer. Nous n’avons rien à leur envier. Ils pourraient au contraire nous jalouser. A eux, il est interdit par la Loi, Lev., xvi, 27, de consommer les viandes offertes en sacrifice pour le péché. Ils sont tenus de les brûler hors du camp. Et nous, au contraire, bien que notre victime soit elle aussi expiatoire, bien qu’elle ait à ce titre versé son sang pour sanctifier le peuple hors de la porte de Jérusalem, xiii, 12, nous avons le droit de munger de notre autel. Voilà bien ce que donne clairement à entendre l'épître. L’auteur n'écrit pas pour apprendre aux juifs qu’ils ne peuvent participer à l’autel chrétien. Il n’a pas l’intention de leur dénier un droit qu’ils ne réclament pas. Il exalte la supériorité de l'économie nouvelle, selon laquelle les plus humbles fidèles sont mieux traités que ne l'étaient sous la loi mosaïque les juifs les plus pieux, les prêtres et le grand pontife lui-même.

Dans le verset ici étudié, tout mot doit être souligné. Le verbe manger ne peut être pris au figuré, puisque dans la phrase précédente, il est parlé d’aliments réels, ꝟ. 9, et véritablement consommés, puisque dans la proposition suivante il s’agit de victimes proprement dites, celles dont le prêtre juif n’a pas le droit de se nourrir et qu’il faut brûler. Donc, dans la phrase qui se trouve entre ces deux affirmations, le verbe manger doit s’entendre à la lettre.

Le sens du mot autel n’est pas moins facile à déterminer. L'Épître aux Hébreux l’emploie une autrefois, vu, 13. Elle donne à ce terme le sens qu’il a dans tous les passages du Nouveau Testament, et ils sont nombreux, où il désigne l’autel de la terre, ce sur quoi on dépose les offrandes et on immole les victimes ; c’est aussi ce à quoi en certains sacrifices Israël est autorisé à participer. Le mot ne peut désigner les oblations présentées à l’autel par les fidèles en faveur des ministres sacrés. Ce fut tâche aisée pour les anciens exégètes d'établir cette vérité contre les protestants du xvie siècle, tels que Bèze. Il s’agit ici d’une nourriture qui fortifie le cœur, que le sacerdoce juif ne peut consommer, qui n’est déposée ni dans le trésor, ya’Coç'jXâxiov, ni dans les mains du prêtre, ni dans un autre réceptacle, mais sur l’autel, et à laquelle tous les chrétiens ont le droit de participer. Voir Corneille de la Pierre, In Epist. ad Hebrœos, xiii, 10, dans les Commentaria in Scripturam sacram, Paris, 1876, t. xix, p. 519. Puisque l’unique victime expiatoire de la nouvelle loi est le Christ, les fidèles ont pour autel ' sa croix et ce sur quoi ils trouvent la chair du Christ offerte pour les nourrir et affermir leur âme.

Que si on rapproche les deux mots en une seule locution manger de l’autel, la même conclusion s’impose. Autant pour les chrétiens venus de la synagogue cette expression est claire, bien choisie, adéquate à la pensée, si elle veut dire que les fidèles communient vraiment à une victime, autant elle eût été pour eux non seulement étrange, inattendue, trop subtile, en un mot difficile à comprendre, si l’auteur s’en était servi pour enseigner que le chrétien participe aux fruits de la passion ou qu’il doit s’incorporer à Jésus crucifié.

Enfin, on n’a pas le droit de l’oublier, ces mots sont les expressions techniques dont usent les premières Églises pour désigner le repas sacrificiel de la cène. Le verbe manger est celui qu’emploient Paul, Matthieu et Jean pour décrire la communion eucharistique. Et n’y a-t-il pas synonymie entre la locution de l'Épître aux Hébreux, manger de l’autel, et celle de la I r " Épître aux Corinthiens, participer à l’autel ? On l’a justement remarqué : « Les mots Guar'.aaxripiov z, où cpxysïv oùx s/ouaiv ne doivent pas être entendus abstraction faite du vocabulaire eucharistique du quatrième évangile et de la I" Epître aux Corinthiens, ou tout autant de saint Ignace d’Antioche ; ils impliquent une allu-