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MISSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SA NATURE


vous mangez ce pain et que vous buvez ce vin (de la cène chrétienne), vous annoncerez la mort du Seigneur. » I Cor., xi, 26.

Et comme d’autre pari il est bien établi que l’auteur aflirnie la participation réelle du chrétien au « pain unique » de tous les fidèles, au vrai corps et au vrai sang du Sauveur, déjà il faut admettre qu'à la cène les disciples de Jésus reçoivent la chair qui jadis s’offrit d’une manière sanglante sur le Calvaire.

Mais l’eucharistie n’est-elle un repas sacrificiel que par une commémoraison, un rappel, une représentation symbolique de la mort du Christ sur la croix ? Saint Paul ici veut-il dire seulement que le fidèle en réitérant la cène primitive mange le corps et boit le sang qui ont autrefois constitué l’oblation du Golgotha ? Non, à n’en pas douter. La comparaison de l’apôtre va plus loin. Ce que consomment les païens, c’est une viande qui, non seulement a été immolée, mais qui garde ce caractère au moment où on la mange, c’est l’idolothyte. De même, après les sacrifices dits pcciftques, les juifs participent aux chairs de la victime et ces chairs restent au moment même où on s’en nourrit, des viandes sacrées. Elles sont des hosties, 0uaia, elles r.e sont même mangées que pour ce motif, parce qu’elles ont ce caractère.

Si donc la comparaison de Paul a quelque valeur, voici ce qu’elle atteste : Le corps et le sang du Christ en communion desquels entre le fidèle à la cène, n’ont pas été seulement immolés jadis sur la croix. Mais, à la table et dans la coupe du Seigneur, ils sont encore à l'état de victime, Guaia. La présentation des deux éléments, l’un solide, l’autre liquide, l’emploi des deux formules, l’une où est mentionné le corps, l’autre qui parle du sang, aident les fidèles à mieux comprendre et avoir du moins en figure ce caractère de chair immolée, Ouata, que revêt le Christ à la cène. Et parce qu’il n’est pas comme le pauvre animal des rites païens et juifs un être sans âme, parce que dans le sacrifice comme dans tout acte de religion l'élément moral est le plus important, parce que le serviteur de Jahvé « offre sa vie pour le péché » et « intercède pour les coupables », Is., un, 12 ; parce que l'Évangile est le culte nouveau, celui par lequel le Très-Haut est adoré en esprit et en vérité, on est autorisé à tirer cette conclusion : en tout lieu où Jésus est à l'état d’hostie, que ce soit à la cène ou sur la croix, et que l'Écriture le dise en termes formels ou non, il fait à Dieu l’offrande de sa vie et de sa mort, de sa chair et de son sang.

Ainsi, d’après la première Épître aux Corinthiens, l’eucharistie, la réitération par les chrétiens de ce qu’a fait le Christ au repas d’adieu est un banquet sacrificiel, un festin où la victime de la croix, le corps et le sang du Sauveur apparaissent en l'état d’immolation, état que souligne la dualité des éléments représentatifs et des formules prononcées, état dans lequel Jésus ne peut être sans s’offrir intérieurement à son Père. Brir.ktrir.e, cp. cit., p. 34-38.

A l’appui de cet argument on trouve un confirmatur dans la locution table du Seigneur, Tpân : s£a xupîou, qui est employée ici, x, 21. En effet, d’après l’Ancien Testament, le mot table, s’il n’est pas pris dans un sens profane mais religieux, signifie autel. Les cas sont fort nombreux, par exemple : Ez., xli, 22 ; xliv, 16 ; Mal., i, 7, 12. A noter surtout l’Exode, où ce terme est employé seize fois pour désigner la table des pains de proposition, c’est-à-dire l’autel sur lequel on les déposait Aussi est-il tout naturel de penser que la table du Seigneur, c’est son autel et de conclure qu’il y a un sacrifice chrétien. De nombreux commentateurs ont fait cette remarque. Voir Lamiroy, op. cit., p. 194-195 ; Allô, op. cit., p. 324.

Il semble bien d’ailleurs que cette tablé du Seigneur s’oppose à l’autel juif, au OuoiaaTYjpiov. x, 18. Sur

la pierre sacrée du temple de Jérusalem étaient immolés à Jahvé des sacrifices : donc sur cette table du Seigneur que possèdent les chrétiens sont placées des victimes.

L’autre antithèse n’est pas moins suggestive. La table du Seigneur est aussi opposée à la table des démons, x, 21. Cette dernière est, d’après l'Écriture, l’autel païen où l’on opère des sacrifices. Isaïe menace les hommes qui « ont oublié la montagne sainte et dressé une table à la Fortune (d’après la Vulgate), ~C> Sat(jLovîcp TpàneÇav (d’après les Septante) pour offrir des libations ». lxv, 11. Le mot désigne donc bien ici l’objet sur lequel on sacrifie. Les auteurs profanes parlent eux aussi de tables qui sont employées comme autels dans le culte privé. Lamiroy, op. cit., p. 202, n. 2. Pour montrer que ce mot désigne un objet sur lequel sont placées simplement non des viandes à manger, mais des victimes à immoler, on peut encore faire l’observation suivante. Dans les papyrus qui invitent à des festins où sont servies des viandes consacrées aux idoles, les convives sont priés de se rendre non à la table, TpârcsÇa, mais sur le lit, xXeîvrj : « Charémon te prie, te convie pour dîner sur le lit, elç xXefcvnv, du seigneur Sérapis, dans le Sérapéion, etc. » Ou encore : « Antonios, fils de Ptolémaios, te prie de dîner sur le lit, eîç x>£tvY]v, du Seigneur sérapis, chez Clodios, fils de Sérapion, etc. » Grenfell et Hunt, The Oxyrrinchus Papyri, Londres, 1898-1904, 1. 1, n. 110 ; t. iii, n. 523.

On est donc amené à conclure que les mots table des démons désignent l’autel des païens où est immolée la victime, et non ce sur quoi elle est placée pour être mangée. S’il en est ainsi, ce qui dans la même phrase lui est expressément opposé, la table du Seigneur, doit être non pas l’objet sur lequel se trouvent le corps et. le sang du Christ, mais celui sur lequel ce corps et ce sang sont constitués à l'état de victime.

Il est impossible de ne voir dans cet autel que la croix sous prétexte que là seulement Jésus fut mis à mort. Car Paul, dans la même phrase où il parle de la table du Seigneur, a d’abord mentionné comme étant sur le même plan la coupe du Seigneur. Or, cette dernière se rapporte à la cène seule et non au Calvaire. Donc, " il faut aussi admettre que la table du Seigneur est ici l’objet sur lequel le corps et le sang du Sauveur sont constitués en l'état de victime pour être ensuite consommés par les fidèles.

Mais ce rapprochement ne crée-t-il pas à son tour une nouvelle difficulté? La table et la coupe du Seigneur sont juxtaposées dans une même phrase, x, 21. Le premier mot ne fait-il pas penser seulement au repas, puisque le second ne désigne qu’un breuvage ? Les idées d’autel, de victime et de sacrifice seraient ainsi exclues. Comme on l’a fort judicieusement observé, même « si le mot TpàrceÇa désigne directement le saint repas composé de la chair et du sang du Sauveur », ce terme fait image et il présente à l’esprit l’idée d’un objet, pareil à celui sur lequel est immolée la victime offerte aux idoles. Le calice d’ailleurs peut fort bien suggérer la pensée d’une coupe de libation comme la table appelle ici la notion du sacrifice.

Rien ne s’oppose donc à ce que ce terme Tp<x7re£a désigne, au moins d’une manière indirecte, « mais réellement et certainement l’autel chrétien », « une table sur laquelle le corps et le sang de Jésus-Christ ont été offerts en sacrifice et sur laquelle les chrétiens viennent recevoir cette divine nourriture. » Mangenot, loc. cit.

Que si enfin bn se refuse à tirer des seuls mots « table du Seigneur » cette conclusion, ou si, ma gré tous les arguments présentés, on ne veut voir en cet objet que ce sur quoi sont déposés le pain corps et la coupe sang de Jésus, on ne peut pas refuser d’admettre ce qui est affirmé non par deux mots, mais par tout le morceau ici étudié. Ce qui est déposé sur cette table est l'équi-