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827 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SA NATURE

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1. A Jérusalem (Act., ii, 42-46). — Après avoir raconté le premier discours de Pierre à Jérusalem, le livre des Actes ajoute : ii, 41 : « Ceux qui reçurent la parole… furent baptisés ; et ce jour-là le nombre des disciples s’augmenta de trois mille personnes environ. 42. Ils étaient assidus à entendre la prédication des Apôtres, à vivre en communauté, « participer ù la fraction du pain, t'Î) xXàaei toû &pTou, et aux prières.

Il a été démontré, Eucharistie, col. 1000-1068. que les mots fraction du pain désignent ici l’accomplissement du rite de la cène, l’eucharistie. « Cette opinion est celle de presque tous les exégètes catholiques et de quelques protestants. » Jacquier, Les Actes des Apôtres, Paris, 1920, p. 87. Voir aussi Thomas, art. Agape, dans Suppl. du Diction, de la Bible, t. i, col. 142-143.

Au même chapitre, quelques phrases plus loin, le livre des Actes, dans Une description de la vie des premiers chrétiens, insère ce trait, ii, 40 : « Chaque jour ils étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompant le pain à la maison, xXwvxsç te xoct’oïxov ôcp-rov, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, glorifiant Dieu et trouvant grâce devant le peuple. » De nouveau donc apparaît la locution employée quatre versets plus haut pour désigner l’eucharistie. Aussi un certain nombre de commentateurs croient que cette fois encore les mêmes mots ont le même sens. L’auteur déclarerait que d’une part les premiers fidèles allaient encore prier dans le Temple, et que d’autre part dans leurs maisons privées ils célébraient la cène chrétienne, la fraction eucharistique. Ou bien, on unit les mots rompant le pain à « ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur ». On conclut que la cène se célébrait au cours d’un repas collectif, marqué au coin d’une sainte joie et dépourvu de tout faste. Ou bien, on distingue les deux locutions : rompre le pain et prendre la nourriture. Le livre des Actes raconte alors que les premiers chrétiens prient au Temple, et que dans leurs maisons ils rompent le pain, c’est-à-dire célèbrent la cène. Puis l’auteur ajouterait que « ces deux devoirs accomplis, les fidèles recueillent le fruit de leur double fidélité. Le nouvel Israël mange son pain en liesse, glorifiant Dieu et uni à son peuple. » Rongy, La célébration de l’eucharistie au temps des apôtres, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, 1920, p. 183, Louvain, 1927. D’après l’une et l’autre explication, la fraction du pain désignerait ici la cène. C’est l’interprétation proposée déjà dans ce Dictionnaire, Eucharistie, col. 1067, et à laquelle l’auteur reste fidèle. L’opinion contraire était signalée, op. cit., col. 1068, et il faut reconnaître qu’elle est celle d’un grand nombre d’exégètes. Le livre des Actes ferait seulement savoir ici que les premiers fidèles prenaient leur repas en commun dans plusieurs maisons avec joie et simplicité de cœur. Pourtant si Luc ne voulait ici parler que de la nourriture ordinaire, il eût été assez inutile de dire que les chrétiens ne mangeaient pas au Temple mais dans leur maison. Rongy, toc. cit. ; VOlker, op. cit., p. 31.

2. A Troas (Act., xx, 7-11). — Vers l’an 58, l’Apôtre est à Troas avec des compagnons de voyage. « 7. Or, le premier jour de la semaine, comme nous étions réunis, cuvT.yiiivcov, pour rompre le pain, xXâaou apxov, Paul, devant partir le lendemain, s’entretint avec ceux ci (les disciples) et il prolongea son discours jusqu'à minuit… 11. Paul rompit le pain et mangea, puis il parla longtemps encore jusqu’au jour ; après quoi il partit. » Sur ce texte, voir Eucharistie, col. 10591000. L’auteur le marque en termes exprès : on est réuni (c’est la synaxe) pour la fraction du pain, xx, 7. Sans doute, Paul parle pendant toute là nuit. Rien n’est plus naturel : les chrétiens de Troas sont heureux

de l’entendre le plus longuement possible, car il part le lendemain. Il s’entretient donc familièrement avec eux, SteXéysTO, d’abord jusqu'à minuit. Puis, après la chute et la résurrection d’Eutychus, de nouveau, la fraction du pain une fois faite, Paul converse, ôquXJj<mç, jusqu'à l’aurore avec les fidèles qu’il allait quitter. Mais quel qu’ait été Je prix et l’intérêt de cet entrelien pour les disciples de Troas, le livre des Actes dit formellement que la réunion eut lieu à cause de la fraction du pain. Cet acte mentionné deux fois est présenté comme l’essentiel. Des discours de Paul il est dit seulement qu’ils eurent lieu à cette occasion. Ce qui est au centre, c’est le rite eucharistique, la réitération de la cène.

Il faut observer que cette fraction n’est pas un acte extraordinaire, exceptionnel et qui s’accomplit uniquement à cause du passage de l’Apôtre. Le contraire est affirmé en termes exprès : « Le premier jour de la semaine, est-il écrit, comme nous étions réunis pour rompre le pain, » Ces mots ne permettent aucun doute : l’acte s’accomplit régulièrement une fois par semaine. C’est Paul qui le préside, il rompt le pain. Puisqu’il accomplit lui-même ce geste, à Troas, on voit que l’acte lui était familier, ne lui paraissait nullement étrange, mais tout naturel. Déjà par la lecture de ce seul texte on est amené à conclure que la fraction du pain s’opérait dans toutes les Églises où passait l’Apôtre.

Conclusion. — Assurément, le livre des Actes ne nous renseigne pas au gré de nos désirs sur ce qu'était la fraction du pain. Son témoignage est pourtant des plus précieux.

D’abord nous constatons que l’action est en usage aux tout premiers jours de l’existence de l'Église, alors qu’elle fréquente encore le Temple. Déjà les chrétiens ont un rite particulier. Ils l’accomplissent à Jérusalem dans les milieux judéo-chrétiens, et aussi dans les Églises fondées par Paul et où sont admis les païens. L’usage est donc universel. Or, l’auteur même des Actes nous apprend dans son Évangile ce que rapporte aussi la première épître aux Corinthiens, c’est que Jésus, après avoir rompu le pain à la dernière cène, avait ordonné à ses disciples de faire cet acte en mémoire de lui. Nul doute, la fraction des premiers chrétiens est la reproduction de celle du repas d’adieu. Si la première fut un acte sacrificiel lié à l’immolation du Calvaire, la seconde l’est donc aussi. Cette conclusion admise, on s’explique à merveille l’importance de ce rite, on comprend pourquoi avec « la prédication des apôtres et la vie en communauté », il donne son originalité au nouveau peuple de Dieu. Act., ii, 42 De même, l’antithèse entre les prières du Temple et la. fraction du pain se justifie à merveille : ici les sacrifices lévitiques, là ce qui les remplace, l’oblation nouvelle. « Chaque jour les chrétiens étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompaient le pain dans leurs maisons… » Si vraiment ce geste est l'équivalent du sacrifice juif, on explique mieux que par toute autre hypothèse les heureux efïets que le livre des Actes attribue à ce rite : il glorifie Dieu, il ménage aux fidèles joie et simplicité de cœur. Act., ii, 40. Enfin, on comprend pourquoi cet acte se répète si souvent, « chaque jour », Act., ii, 40, ou du moins une fois par semaine, Act., xx, 7 : il tient la place des sacrifices qu’Israël répétait perpétuellement. Aussi, même si la communauté a la bonne fortune de recevoir un grand apôtre, elle ne supprime pas la fraction pour pouvoir consacrer tout le temps où elle demeure avec lui à recevoir ses enseignements. Ce rite s’accomplit comme d’ordinaire et c’est lui-même qui le préside.

Reprenant une opinion déjà soutenue (Brandt et Goguel), Lietzmann, op. cit., p. 239, conclut de l’emploi des seuls mots fraction du pain dans le Livre des