Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/420

Cette page n’a pas encore été corrigée

825 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SA NATURE

826

Moïse citée par l'épître est celle-là même que Luc fait prononcer par Jésus : Ceci est le sang de l’alliance. Ces constatations n’obligent-clles pas à reconnaître que l’auteur ne peut parler de la croix sans penser en même temps à la cène et qu’en son esprit un concept appelle l’autre. Rien de plus légitime à ses yeux, puisqu’il affirme que le Christ s’est offert en victime dès son entrée dans le monde, x, 5-9, et que, dès cet instant il a été déclaré prêtre par Celui qui l’a engendré, v, 5-6. Il ne semble donc pas que nous dépassions les affirmations du texte si nous disons que, d’après l'Épître aux Hébreux, à la cène déjà, le Christ commençait l’offrande de son corps et. de son sang pour la consommer sur la croix et au ciel.

Un critique peu suspect de complaisance excessive à l'égard de l’exégèse catholique n’a pas été sans remarquer dans cet écrit la connexion qui relie les deux mystères. Après avoir relevé, comme nous l’avons fait plus haut, les phrases où il est parlé de Voblation du corps du Christ et du sang de l’alliance, Loisy ajoute : « Ces deux idées pauliniennes » « essentiellement liées à la cène eucharistique sont à la base de toutes les spéculations de l'Épître aux Hébreux sur le sacerdoce du Christ et sur son sacrifice unique. » La lettre « part en quelque sorte de l’eucharistie pour interpréter en sacrifice le crucifiement de Jésus, la distinction du corps et du sang étant en rapport avec le rituel de la cène. » Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919, p. 351. Nous sommes loin de l’opinion des théologiens anticatholiques d’après lesquels l'épître ignore l’eucharistie. Si au contraire on soutient que, pour l’auteur, le Christ voulut au repas d’adieu offrir à son Père le corps et le sang qu’une fois pour toutes il immola sur la croix, toute difficulté disparaît, l’auteur pouvant le déclarer prêtre selon l’ordre de Melchisédech, sans avoir à parler du pain et du vin qui en eux-mêmes ne sont pas matière d’un sacrifice. Il n’avait pas à mentionner une oblation de la cène distincte de Voblation unique de la croix, puisque pour lui il n’existait qu’une seule offrande, commencée au cénacle et continuée au Golgatha.

III. La cène chrétienne était-elle tenue pour un sacrifice ? — Pour répondre à cette question, interrogeons successivement Jésus et les apôtres.

1° Le renouvellement du repas sacrificiel d’adieu est ordonné par Jésus. — Saint Paul rappelle aux Corinthiens qu’après avoir dit sur le pain : « Ceci est mon corps pour vous », Jésus ajouta : « Faites ceci en mémoire de moi. » De même après avoir prononcé sur la coupe les mots : « Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang », le Christ conclut : « Faites ceci, toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi. » I Cor., xi, 24-25.

Déjà il a été prouvé que le texte ne veut pas dire : « Faites ce pain en mémoire de moi », comme si l’eucharistie était un simple symbole commémoratif. Eucharistie, col. 1054. Il a été aussi démontré que l’Apôtre n’invite pas ici les Corinthiens à se souvenir du Seigneur toutes les fois qu’ils boivent, c’est-à-dire à chacun de leurs repas profanes. Il est visible qu’il leur demande, comme il le dit lui-même aussitôt après, I Cor., xi, 26, de rappeler la mort du Seigneur, quand ils, mangent de ce pain et boivent de ce vin. Ibid., col. 1055. Le sens des deux formules paraît bien clair : « Faites ce que je viens de faire et faites-le en mémoire de moi. » Berning, op. cit., p. 109-110. Jésus a pris du pain, puis ayant rendu grâces, il l’a rompu et a dit : a Ceci est mon corps pour vous. » Il a fait de même avec la coupe et il a prononcé sur elle une formule semblable. Ainsi le Chiist a offert son corps et son sang à Dieu et à ses disciples. Donc, à son exemple, les Douze doivent présenter la même coupe et le même sang à Dieu et aux disciples de Jésus.

Quelques historiens ont même cru découvrir dans le verbe tcoisïv un ordre exprès de sacrifier. Ils rappellent le texte d’Ex., xxix, 3.S. On lit dans les Septante : « Voici ce que tu sacrifieras, noïqas'.ç, sur l’autel : deux agneaux d’un an… A. coup sûr en cet endroit le mot faire veut dire présenter à Dieu en oblation. De même saint Justin, Dialogue avec Tryphon, 41, P. G., t. vi, col. 563, semble avoir donné ce sens à ce verbe ; « l’offrande du pain… était une figure du pain de l’eucharistie que… Jésus-Christ… nous a prescrit de faire, 7roisïv. » Ces deux exemples autorisent, dit-on, à traduire ainsi le texte de saint Paul : Offrez ce pain, cette coupe en sacrifice. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 219, n. 1, qui nomme un certain nombre de partisans de cette interprétation.

Que 7ço !, eïv signifie sacrifier dans le passage de l’Exode, tout lecteur le constate. Quant au mot de saint Justin on peut se demander s’il n’est pas simplement une réminiscence des paroles de la cène : « Faites ceci en mémoire de moi. » Mais parce que le verbe faire, uoielv, ne reçoit le sens de sacrifier dans aucun passage du Nouveau Testament, parce que les Pères grecs ne paraissent pas le lui avoir donné, parce qu’enfin, si ce mot doit être ainsi compris dans l’Exode, ce peut être uniquemsnt à cause du contexte, cette interprétation, ne semble pas s’imposer rigoureusement. Lebreton, art. Eucharistie du Diction, apol.. t. i, col. 1565.

L’ordre de réitérer la cène n’est pas attesté seulement par la première Épître aux Corinthiens. D’après saint Luc, Jésus après avoir distribué le pain et dit : « Ceci est mon corps »…ajouta : Faites ceci en mémoire de moi. Seul le contexte court (D) ne rapporte pas cette recommandation. Mais contre cette omission militent tous les manuscrits majuscules en dehors du Codex Bezæ (D), la plupart des autres et toutes les versions. Sur l’authenticité du texte long, voir art. Eucharistie, col. 1073-1074. Luc ne fait pas prononcer de nouveau la formule après la distribution de la coupe du vin. Matthieu et Marc ne la mentionnent pas, du moins en termes exprès. Mais, comme on croit l’avoir montré, de ces faits, il est absolument impossible de conclure que Jésus-Christ n’a - pas donné l’ordre de réitérer la cène. Ibid., col. 1091-1094. Le silence de Matthieu et de Marc n’est pas une négation : il se justifie fort bien. Les deux premiers évangélistes laissent même entendre qu’ils considèrent l’ordre de réitérer la cène comme ayant été donné par Jésus. Sur le repas d’adieu, ils n’ont pas voulu tout dire, leur récit est très court. Puisqu'à l'époque où ils écrivaient, on réitérait la cène, puisque, ce faisant, on croyait obéir à un précepte du Christ, Matthieu et Marc ont à bon droit pu juger qu’il était inutile de reproduire la recommandation du Sauveur. De même Luc ne s’est pas cru obligé de relater tout ce qui s'était passé au repas d’adieu. Cette remarque suffirait à expliquer pourquoi il ne cite qu’une fois l’ordre de réitérer la cène. Des hypothèses vraisemblables et qu’il est superflu de discuter ici ont d’ailleurs pu être proposées pour rendre compte de la place où il met la recommandation : « Faites ceci en mémoire de moi. » Ibid., col. 1094.

Ainsi Jésus a prescrit aux Douze de renouveler le repas d’adieu dans lequel ils voyaient, nous l’avons constaté, un sacrifice de communion, d’alliance et d’expiation.

2° La réitération du repas d’adieu d’après le livre des Actes. — A dessein, ne sont pas mentionnés ici les textes où il n’est certainement pas ou peut-être pas parlé de la fraction eucharistique. Luc, xxiv, 13-35 (la scène d’Emmaus), art. Eucharistie, col. 10651066 ; Gal., ii, 12 (les repas d’Antioche), col. 1059 ; Act., xxvii, 35 (sur le bateau), col. 1060.