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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LE SACERDOCE DU CHRIST

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Est-ce immédiatement au pain ? On s’en souvient, c’est ce que prétend la 3e leçon citée plus haut : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Si on l’accepte, on est tenté de soutenir qu'à la cène déjà Jésus s’est offert en sacrifice et qu’en présentant son corps sous les apparences du pain, il l’a livré pour le salut des hommes. Ainsi pense Calmes qui adopte cette lecture. Il conclut : « Dans cette phrase… se trouvent confondues les prédictions de la passion et la promesse du pain eucharistique, et cela sans qu’il y ait équivoque ; car l’eucharistie est, en même temps qu’un sacrement, un véritable sacrifice. un mémorial de la mort de Notre-Seigneur.JésusChrist. » Évangile selon S. Jean, Paris, 1904, p. 252253. Pourtant même sous cette forme : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair », la phrase de Jésus ne pourrait-elle pas faire allusion non à l’oblation de la cène, mais à l’efficacité salutaire du pain eucharistique en chacun des communiants ? Jésus annoncerait alors le sacrement sans parler du sacrifice. On peut poser la question, et il est difficile, à la seule lumière du texte biblique, de la résoudre

Si au contraire on préfère l’une ou l’autre des deux premières leçons, c’est immédiatement à la chair que se rapporte la vie du monde. On lit alors : Le pain que je donnerai, c’est ma chair. Puis on sous-entend ou on ajoute les mots : que je donnerai, et enfin on termine ainsi la phrase : pour la vie du monde. Cette fois ce qui est offert pour le salut des hommes, c’est le corps : le sacrifice de la passion est directement annoncé. Faut-il conclure qu’il n’est pas parlé de l’eucharistie comme d’une oblation ? Ce serait peut-être aller un peu vite. Des exégètes détachés de toute confession religieuse sont d’accord avec les croyants pour reconnaître que dans le contexte domine la pensée du Christ donné en nourriture comme chair et sang dans un état de mort. Il faut en effet observer que dans les versets suivants, 53-56, Jésus insiste sur la séparation des deux éléments, images de son immolation : quatre fois il parle de l’eucharistie comme de l’acte par lequel on mange sa chair et on boit son sang. Pourquoi d’ailleurs associe-t-il dans la même phrase le pain au corps donné pour la vie du monde ? S’il avait voulu seulement affirmer l’identité de cette nourriture avec sa chair réelle, il aurait pu dire : le pain que je vous donnerai, c’est ma chair que vous voyez, ma chair née de Marie, etc. Puisqu’au contraire il assimile cet aliment au corps immolé pour le salut des hommes, c’est, semble-t-il, que l’eucharistie et la passion sont une même chose, donc un même sacrifice ; c’est qu'à la cène comme au Calvaire est offerte à Dieu la chair du Christ, ici sous l’apparence de pain, là sans voile et sous sa forme naturelle. La phrase elle-même semble l’exiger, ajoute-t-on : Qu’il soit sous-entendu (première leçon) ou exprimé (deuxième leçon), le verbe donner s’y trouve en réalité deux fois. Le pain que je donnerai, c’est ma chair que je donnerai (ces trois mots sont sinon expressément répétés du moins exigés par le sens) pour la vie du monde. Or le même verbe employé deux fois à si faible distance doit avoir le même sens dans l’un et l’autre cas. Conclusion : Puisque la chair donnée pour la vie du monde c’est celle qui est offerte à Dieu en sacrifice, donc le pain que Jésus donnera, c’est l’aliment eucharistique offert à Dieu en sacrifice. En d’autres termes, le corps du Seigneur distribué aux Douze est à la cène déjà présenté à Dieu comme la victime qui doit être immolée sur la croix. De la Taille, op. cit., p. 79-81.

Ces raisonnements sont ingénieux, mais un peu subtils. En les admirant, on est tenté de se demander si tout ce qui est ainsi découvert dans le texte de Jean s’y trouve réellement. Jésus insiste sur les deux éléments nourriture et breuvage : ne serait-ce pas tout

simplement parce qu’en fait le fidèle doit accomplir les deux actes : manger son corps et boire son sang ? De ce que le Christ, dans une même phrase, annonce l’eucharistie et la passion, faut-il conclure qu’il enseigne par ces mots l’identité de l’immolation de la croix et du sacrifice de la cène ? Ne peut-on pas expliquer autrement la juxtaposition des deux promesses ? Plus d’une hypothèse peut être imaginée. Le P. Lagrange propose la suivante : « Le pain donne la vie à chacun… L’immolation de la chair… donne la vie au monde. » Op. cit., p. 183. Rien de plus naturel que ce rapprochement dans les discours du c. vi qui décrit les divers moyens par lesquels Jésus nourrit les âmes. Quant à l’impossibilité d’attribuer dans la même phrase au verbe donner deux sens différents et de comprendre ainsi le texte : « le pain que je distribuerai aux Douze est la chair que j’offrirai à Dieu pour le salut du monde », elle existerait, peut-être, si Jean était un écrivain classique, soucieux d'éviter toute redite équivoque et toute obscurité. Veut-on avoir la preuve que les auteurs bibliques emploient à faible distance le même verbe donner pour lui faire signifier deux actes différents, une première fois distribuer aux hommes et une seconde offrir à Dieu, il suffit de se rappeler saint Luc : Jésus « ayant pris du pain, ayant rendu grâces, le rompit et le leur (aux disciples) donna (distribua) disant : Ceci est mon corps donné (offert à Dieu) pour vous. » Luc., xxii, 19.

En réalité, après avoir ainsi pesé le pour et le contre, force est de conclure : D’après saint Jean, pain = chair du Christ = vie du monde. Mais comment le pain est-il la vie du monde, c’est ce que l’auteur ne nous a pas dit en termes exprès.

Il est un grand nombre d’autres termes du quatrième évangile où des critiques, Loisy par exemple, ont cru découvrir des allusions à la cène. Déjà il a été dit quel cas il faut faire de ces rapprochements ingénieux, mais dont la plupart sont discutables. Voir art. Eucharistie, t. v, col. 1068-1069.

Un passage du quatrième évangile doit pourtant êL’e souligné, le c. xvii, qui contient la prière dite sacerdotale. Sans doute, Lagrange a pu écrire à bon droit : « Supposer avec Loisy » que cette supplication « peut être l’eucharistie particulière d’un prophète, c’est se moquer. » Évangile selon saint Jean, Paris, 1925, p. 384. Toutefois, on l’a fait observer : entre ce morceau et les pières eucharistiques de la Didachè (ix-xx) il reste « quelques analogies » et ce chapitre a pu être présenté comme un modèle des anaphores chrétiennes primitives. « Jésus y parle — déjà des Pères de l'Église l’avaient remarqué — comme grand prêtre, comme médiateur entre Dieu et les apôtres. Il expose à son Père qu’il a terminé son œuvre propre et il lui recommande de la continuer par ceux qu’il lui a donnés et qu’il a formés pour cela, dans l’unité de la doctrine qu’il leur a enseignée et dans l’amour que le Père a pour Lui. » Lagrange, op. cit., p. 435. Ce langage et cette attitude sacerdotale, ces paroles qui ont pu inspirer les improvisateurs ou les rédacteurs des antiques liturgies du sacrifice, ne donnent-ils pas à penser qu'à la cène Jésus a vraiment fait acte de prêtre, offert à Dieu pour les siens le corps et le sang (mil devait immoler sur la croix ?

LJne parole de cette prière sacerdotale encourage à le croire. Jésus dit, xvii, 19 : « Je me consacre moi-même pour eux (les Apôtres) afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité. » Le verbe employé est àytâ^w, « rendre sacré », mot qui sert pour désigner la sanctification du pontife et celle des victimes. Aussi des anciens et des modernes s’accordent-ils à reconnaître que par cette phrase Jésus déclare s’offrir en sacrifice. Voir De la Taille, op. cit., p. 88, qui cite comme tenants de cette interprétation saint Jean Chryso-