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MESSE DANS L’ECRITURE, LE SACERDOCE DU CHRIST


donnait à cette Pâque nouvelle et chrétienne le même agneau qui devait mourir pour notre rédemption à la croix… faut-il donner la géhenne à vos esprits pour vous faire croire qu’il a plu à Notre-Seigneur en l’acte de son testament de se souvenir de sa mort, et en présenter à Dieu l’offrande et l’acceptation volontaire ? » Discours ii, Du sacrifice de la messe célébré en l'Église chrétienne, c. xii, Œuvres complètes, éd. Migne, Paris, 1856, p. 700-702.

/) Est-il démontré encore par l’agonie de Gethsémani que l’acte de la cène a constitué Jésus à l'état de victime pour le sacrifice sanglant ? — Le P. de la Taille, non content de mettre fort bien en valeur l’argument qui précède, op. cit., p. 85-88, croit pouvoir le compléter de la manière suivante.

Après la cène, à Gethsémani, Jésus dit ces mots : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; cependant qu’il ne soit pas fait comme je veux, mais comme vous voulez. » Matth., xxvi, 39 ; cf. Marc, xiv, 36 ; Luc, xxii, 42. Donc, à ce moment, le Christ voit qu’il lui faut boire une coupe dont il désirerait qu’elle s'éloignât. Or, au contraire, avant la cène, il paraissait pleinement libre et très désireux de se donner pour nous. Pourquoi ce changement ? Parce qu’au repas d’adieu, Jésus s’est livré en holocauste à son Père et que cette oblation a été acceptée. Il est donc obligé d’exécuter, quoi qu’il lui en coûte, ce qu’il a promis. Cette explication concilierait des textes en apparence contradictoires, les uns où il est affirmé que Jésus s’est offert librement à une mort que son Père ne lui avait pas imposée par un précepte proprement dit ; les autres qui louent son obéissance dans sa passion et sur la croix. De la Taille, op. cit., p. 89.

Ce raisonnement est ingénieux. Mais peut-on le présenter sans dépasser le témoignage des Synoptiques ? Ils nous affirment que, dans sa prière, Jésus fait appel à la toute-puissance de son Père, qu’il exprime le désir de ne pas boire la coupe de la passion, mais qu’en même temps il déclare soumettre sa volonté humaine à la volonté divine. C’est beaucoup assurément, mais c’est tout. Aussi d’innombrables commentateurs ont lu cette prière sans jamais soupçonner qu’elle affirme le caractère sacrificiel de la cène. Elle ne l’attesterait d’ailleurs que si, avant l’institution de l’eucharistie, Jésus ne s'était pas encore offert à son Père ; si, jusqu'à ce moment, il était libre de s’immoler sur la croix, s’il lui avait été impossible de faire auparavant la prière de Gethsémani. En était-il ainsi ? Les Synoptiques ne le disent pas, ils ne donnent aucune réponse à cette question. Il semble donc impossible de démontrer par la seule teneur de la supplication de Jésus à Gethsémani que la cène fut un sacrifice.

A-) Conclusion. — Force est de le constater : après avoir écouté le langage et vu le geste de Jésus, les Douze durent croire qu’il offrait un sacrifice. Le Christ renonçait, en l’honneur de Dieu auquel il s’offrait, à des biens qui lui appartenaient, à ceux qui étaient davantage sa propriété, à son corps, à son sang et à sa vie. La victime n'était pas une de celles que nommait la loi antique, mais elle avait plus de prix encore, elle était pure entre toutes, elle était celle qu’avait entrevue Isaïe. Comme jadis les animaux étaient officiellement amenés dans le temple, Jésus se présentait solennellement à la face de Jahvé. C'était bien comme toutes les victimes de l’ancienne Loi pour être substitué à autrui : Jésus se livrait pour les Douze, à leur place et à leur profit, il substituait sa vie à la leur. Aussitôt son supplice commençait : la souffrance n'était encore que morale mais déjà, comme toute douleur, elle portait atteinte aux forces physiques de la victime. Bien plus, si Jésus ne versait pas en fait immédiatement tout son sang, si son corps n'était pas aussitôt mis à mort, du moins l’immolation prochaine était annoncée, sym bolisée. Déjà elle était ratifiée par Dieu comme l’avait été le sacrifice d’Isaac avant d'être accompli. D’ailleurs, puisque déjà les Apôtres recevaient un morceau de la victime et buvaient son sang, c’est qu'à cet instant même, d’une certaine manière, l’immolation de Jésus était commencée. De même qu’autrefois sur le Sinaï le sang sacrifié avait aspergé l’autel et le peuple, de même une partie du sang de Jésus devait aller à Dieu et une partie être répandue sur les fidèles qui le buvaient : tel est bien le rite de l’alliance et de l’expiation. Ainsi encore comme en certains sacrifices, tandis que des membres de la victime étaient réservés au feu pour rester la part de Dieu et d’autres consommas soit par les prêtres, soit par eux et les donateurs, admis les uns et les autres à l’honneur d'être les convives de Jahvé et de participer à son festin, de même le corps du Christ était appelé à devenir par une mort volontaire et violente le bien propre du Très-Haut, et ce même corps était servi aux apôtres qui entraient ainsi dans la communion la plus intime qu’il est possible d’imaginer et avec Jésus et avec Jahvé. Les Douze qui furent témoins de la première cène assistaient certes à un a^te inouï, sans précédent. Pourtant ils y retrouvaient ce qu’ils étaient habitués à voir en tout sacrifice, et ils pouvaient comorendre qu'à ce moment même commençait l’immolation rituelle des temps nouveaux.

Autres textes néotestamentaires.

Trouve-t-on

dans d’autres récits d j Nouveau Testament des textes qui confirment ou qui nient le caractère sacrificiel attribué au repas d’adieu par Paul et les Synoptiques ? — 1. Le quatrième Évangile. — Il est certain que les formules de l’institution ressemblent fort à certaines paroles prononcées par Jésus dans le discours sur le pain de vie. Les phrases Mangez, ceci est mon corps. Buvez, ceci est mon sang, concordent avec les mots : Celui qui mange ma chair et celui qui boit mon sang… Joa., vi, 56. De même la promesse : Le pain que je donnerai, c’est mi chair pour la vie du monde, Joa., vi, 51 (52 dans la Vulgate), fait penser à la déclaration de Jésus présentant le pain aux Douze : Cîci est mon corps donné pour vous. Luc., xxii, 19.

Jésus déclare-t-il donc aussi dans le quatrième évangile que sa chair est à la cène offerte en sacrifice ? Les commentateurs et les théologiens qui l’affirment invoquent la promesse citée plus haut : « Le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde. » vi, 51 (52). Cette leçon est celle qui est le mieux attestée, le plus communément admise (Von Soden, Nestlé, Vogels, Loisy, Lagrange). Il en est deux autres. L’une d’elles exprime un mot qui est sous-entendu dans la leçon précédente : « Le pain que je donnerai c’est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » Ce texte qu’on retrouve en certains manuscrits a été adopté par Maldonat et Tischendorf (7e édit.). Une autre leçon rend la pensée plus claire, mais n’est attestée que par le Sinaïticus et Tertullien : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde est ma chair. » Elle est proposée par Tischendorf (8e édit. de Gebhardt) et par Calmes. On est tenté « d’y voir un arrangement pour aboutir à plus de netteté ». Lagrange, Évangile selon S. Jean, Paris, 1925, p. 183.

Que l’on choisisse l’une ou l’autre lecture, il est certain qu’il est parlé en cette phrase de l’eucharistie et de la passion, Lagrange, loc. cit. ; les deux idées sont « étroitement associées ». Loisy, Le quatrième évangile, Paris, 1921, p. 212. Cette affirmation est démontrée dans l’art. Eucharistie, t. v, col. 997-998.

Une relation est établie entre trois termes : pain, chair, vie du monde. — Il en est deux, l’eucharistie et le corps du Christ qui sont donnés pour identiques : pain = chair. Los trois leçons s’accordent à le reconnaître. Mais à quoi doit être rapportée la vie du monde ?