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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA DERNIÈRE CÈNE


dants s’accordent avec la théologie la plus orthodoxe pour le reconnaître. « L'évangéliste considère évidemment la dernière cène comme une fête pascale ; il voit dans l’eucharistie elle-même une Pàque dont la réalité apparaîtra lorsque le royaume de Dieu sera venu. Les paroles : « Je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu’elle s’accomplisse dans le royaume de Dieu » ne sont pas à prendre pour une simple allusion aux joies du royaume éternel… » ou au salut des hommes dans le ciel. « Mais il s’agit surtout de cette Pàque, de celle que Jésus va célébrer en ce moment, c’est-à-dire de la Pàque eucharistique. C’est celle-là qui a son accomplissement dans le royaume de Dieu. » Loisy, Les Évangiles synoptiques, t. ii, Ceffonds, 1908, p. 526.

Ainsi, à l’agneau immolé sur la croix les Douze participent au cours de la cène. Il faut donc que le corps et le sang de l’eucharistie consommés par eux soient ceux d’une victime. On ne mangeait pas de viandes immolées à la divinité si auparavant l’animal auquel elles avaient appartenu n’avait pas en fait été offert en sacrifice. Or, à ce moment de la cène, le Christ n’a pas encore été mis à mort. Jésus n’a pas rendu son dernier soupir. C’est donc pour un autre motif que déjà son corps et son sang Consommés par les apôtres sont ceux de l’agneau pascal ; c’est parce qu'à cet instant ils ont été offerts à Dieu par le Christ pour l’immolation sanglante du Calvaire.

Ces pensées ne sont pas seulement celles de théologiens croyants. Personne ne les a peut-être exposées avec plus de force et de clarté que A. Loisy, op. cit., p. 523. « L’idée qui domine le récit de la cène dans les Synoptiques est que l’eucharistie devient la vraie Pàque des enfants de Dieu, le vrai sang de l’alliance ; et l’eucharistie est cela, parce qu’elle figure et qu’elle est, en quelque façon, le Sauveur immolé pour le salut des hommes, comme l’agneau pascal a été immolé jadis pour le salut d’Israël… Cette conception de l’eucharistie est déjà dans saint Paul. La notion de sacrifice y est aussi apparente que celle de la communion à Jésus. »

Le Christ est notre Pàque à la cène : donc là déjà il est l’agneau immolé pour notre délivrance. Or, puisqu’il ne l’est pas encore par l’effusion du sang, il l’est par le don de sa vie à son Père pour l’holocauste sur la croix. Rien de plus juste que le mot cité plus haut : l’eucharistie est la vraie Pàque des enfants de Dieu, parce qu’elle est en quelque sorte le Sauveur immolé pour le salut des hommes. Le sang ne coule pas encore ; mais déjà il est versé par le don du Christ et l’acceptation de Dieu.

i) L’acte de la cène est expressément présenté comme une partie intégrante du sacrifice de la passion. — Ne peut-on pas aller plus loin et montrer déjà dans le repas d’adieu un sacrifice, parce qu’il est donné comme le premier acte de la passion sanglante du Christ ?

A coup sûr, la mort de Jésus fut la partie essentielle de son immolation, l’acte qui, selon le mot prononcé par le Sauveur, lui-même, consomma l’holocauste. Joa., xix, 30. Est-ce à dire que le seul moment où le Christ exhala son dernier soupir fut celui où s’opéra son oblation sanglante ? Comme on l’a toujours cru, et ainsi que le prouve le mot traditionnel qui la désigne, comme le montrent à merveille tous les évangélistes, la passion se composa de toutes les souffrances physiques et morales qui amenèrent la mort de Jésus. Saint Thomas, par exemple, la fait commencer à la trahison de Judas. Sum. theol., III a, q. lxxxiii, a. 5, ad 3um.

Or, dans chacun des récits de la cène, la pensée de la passion est mise en un puissant relief. Matthieu et Marc ne font connaître que deux épisodes du repas

d’adieu : l’annonce de la trahison de Judas et l’institution de l’eucharistie. Ils consacrent un aussi long développement à la relation de l’un (Matth., xxvi, 2025 ; Marc, xiv, 18-21) et de l’autre fait (Matth., xxvi, 20-29 ; Marc, xiv, 22-25). Ils les introduisent tous deux par la même formule : Pendant qu’ils mangeaient, comme s’ils voulaient opposer la malice du traître à la bonté du Sauveur. Luc s'étend davantage sur les conversations tenues au cénacle. Mais en premier lieu et aussitôt après la présentation du pain et du vin eucharistiques, il fait annoncer par le Christ la trahison de Judas, xxii, 21-23. Paul ne parle de la cène que pour en rappeler l’origine et la sainteté afin de combattre les abus deCorinthe ; il n’avait donc pas à mentionner les circonstances étrangères à l’institution de l’eucharistie et qui ne confirment en rien sa thèse. Néanmoins, il ne put s’empêcher d'écrire lorsqu’il voulut indiquer la date de la cène : « Ce fut dans la nuit où Jésus fut livré, » I Cor., xi, 23, comme s’il était impossible de séparer le repas d’adieu de la trahison de Judas.

D’autre part, cet événement fit certainement souffrir Jésus. Les disciples eux-mêmes en furent profondément attristés. Le langage du Christ révèle ce qu’il endure : « La main de celui qui me livre est avec moi à cette table… Le Fils de l’homme s’en va, mais malheur à celui par lequel il est trahi, il vaudrait mieux pour cet homme n'être pas né. » Matth., xxvi, 24 ; Marc.xiv, 21 ; Luc, xxii, 21. Impossible d’ailleurs que Jésus soit insensible à cet événement. Rien de ce qui est humain, à l’exception du péché, ne lui est étranger. D’ailleurs aussitôt après la cène, alors qu’il n’a encore été soumis à aucun mauvais traitement, il éprouve de ï'angoisse et il déclare que son âme est triste jusqu'à la mort. Matth., xxvi, 37-3 ->. Pourtant il n'était alors soumis qu'à des souffrances morales, mais elles sont représentées comme très douloureuses. Si le mot passion a un sens, on doit soutenir qu’il peut leur être appliqué. Elles débilitèrent son corps, elles contribuèrent avec tous les supplices postérieurs à le faire mourir, elles furent un des coups qui l’ont tué. A Gethsémani déjà, « la sueur de Jésus, dit l'Évangile, devint comme des gouttes de sang qui coulaient jusqu'à terre. » Luc, xxii, -14.

Ainsi encadrée entre la trahison de Judas et l’agonie du Jardin des Oliviers, l’institution de l’eucharistie donnée par Jésus aux Douze, alors qu’il sait, qu’il déclare devoir être abandonné d’eux, Matth., xxvi, 31, renié par Pierre, Matth., xxvi, 34 ; Marc, xiv, 30 ; Luc, xxii, 34, et trahi par Judas, ne peut pas n’avoir pas été accompagnée d’une profonde tristesse. Non seulement Jésus annonça son immolation, s’offrit en holocauste, institua un mémorial de sa mort et fit participer ses disciples au nouvel agneau pascal ; mais déjà son cœur saigna, déjà ce fut la passion, déjà commença et se continua le sacrifice qui se consommera sur la croix.

C’est là, dit Bérulle aux protestants, « …le premier pas » de Jésus « pour aller à la mort, soit intérieurement en la pensée de son cœur, soit religieusement en la cérémonie qu’il institue, soit extérieurement en partant du cénacle pour aller au jardin où il devait verser son sang… et où l’ennemi avait son rendezvous pour le prendre et le conduire au Calvaire… Vu et considéré que le Fils de Dieu n’aura pas attendu de s’offrir à la mort le seul instant de sa souffrance, et que sa charité aura prévenu et désarmé la malice et la rage des Juifs, et que nous le voyons en ce dernier souper n’avoir autre propos en la bouche avec ses apôtres que de sa mort et de sa passion, et qu’il la voyait présente au cœur et au dessein de Judas qui était avec lui en la même table et qu’il faisait même lors un mémorial perpétuel de cette souffrance, et qu’il