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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA DERNIÈRE GÈNE


du Christ encore plus de précision et de force. D’après lui, aux mots : « Ceci est mon sang répandu pour plusieurs », Jésus ajoute « en vue de la rémission des péchés ».

Comme tous les Juifs, les Douze connaissaient fort bien les sacrifices expiatoires. Ils savaient que, si le sang remet les péchés, c’est quand il est offert en sacrifice. D’autre part, ils ne pouvaient hésiter à croire que, si Jésus leur annonçait pareille faveur, il la leur accordait. Ils l’avaient entendu dire à des malheureux : « Vos péchés vous sont remis. » Matth., ix, 2 ; Luc, v, 20 ; vii, 47. L’effet avait été produit à l’instant même. Donc les mots : « Ceci est mon sang répandu pour plusieurs en vue de la rémission des péchés » devaient suggérer aux apôtres la pensée que c'était chose faite. Sans doute, la victime n'était pas encore mise à mort ; mais elle se livrait au Père pour que son sang fût répandu en vue de la rémission des péchés. Si déjà cette faveur était obtenue, c’est qu’alors même déjà commençait le hattâ't, le sacrifice expiatoire qui devait être consommé au Calvaire.

d) Les participes « donné, immolé » prouvent-ils que le Christ se donne et s’immole à la cène elle-même ?

Un grand nombre de théologiens et d’exégètes soulignent l’emploi par Jésus non du futur mais du présent : est donné, est immolé, dans toutes les formules que nous ont transmises les divers récits. L’original grec porte en effet : « Ceci est mon corps donné, SiS^aevov, pour vous », et non pas « qui sera donné pour vous » (Luc) ; ' mon sang jwse’pour vous, sx/uvô^evov », et non pas o qui sera versé pour vous. » Donc, font-ils observer, c’est au moment même où Jésus parle que déjà il se livre en sacrifice. « Schanz remarque avec raison, dit Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. 544, la force de ce participe présent. C’est dès maintenant que le corps est donné, évidemment pour être immolé ; et si l’immolation doit avoir le caractère d’un sacrifice, ce sacrifice est d’ores et déjà celui du Sauveur. » De même « le sang est répandu, au présent, représentant le futur quant à la réalité des faits… Mais, dès ce moment, cette effusion est envisagée comme un sacrifice, et c’est en qualité de sang versé que le sang de Jésus figure dans la coupe, le sang dont parle l’Exode à l’occasion de l’ancienne alliance étant le sang des victimes ». Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 355-356.

Cette interprétation est assez communément admise et il faut reconnaître qu’elle s’appuie sur la grammaire : le participe présent ne désigne pas le futur, surtout lorsqu’il est l’attribut d’un verbe qui est luimême au présent. Tel est le cas : « Ceci est, èstw, mon sang répandu, Ix/uvôfisvov »… « Ceci est, Icttw, mon corps…. donné, 8t, 86[jt, evov. » Lamiroy, De essentiel…, Louvain, 1919, le prouve longuement, p. 206208. Il fait appel aux grammaires du Nouveau Testament (Moulton, Robertson, Blass-Debrunner). Il montre que les textes de l'Écriture où on a cru observer que le participe présent était employé pour le futur, ont été allégués à tort. D’autre part, le cardinal Billot, Desacramentis, Rome, 1896, p. 597, fait observer à bon droit que, si la Vulgate a traduit le présent èxyuvojjievov, par le futur efjundetur, on n’est pas obligé de lui donner la préférence : Nous sommes tenus de croire que dans les passages dogmatiques, elle ne contient aucune erreur ; mais nous avons le droit de penser qu’elle ne rend pas toujours la force du texte original.

A cette preuve tirée de l’emploi de participes qui ne sont pas au futur, on a opposé certaines objections. La langue employée à la cène n'était pas le grec, les participes présents, S'.So^evov, èk/uvo^evov, traduisent-ils exactement les paroles de Jésus ? De plus, ia mort du Christ était proche, elle aura lieu quelques

heures plus tard. Le présent ne pouvait-il pas être employé pour désigner un acte qui allait presqu’aussitôt s’accomplir ? D’autre part, à l'époque où les Synoptiques écrivaient, l’eucharistie était célébrée : on y représentait la passion du Christ comme un fait accompli : sous l’influence des formules employées alors, les évangélistes n’ont-ils pas été portés à mettre au présent les paroles de Jésus ? Enfin, il est difficile d’expliquer comment à la cène le sang du Christ fut versé. Aussi le constat e-t-on sans surprise : des hommes qui certes savaient le grec, saint Jean Chrysostome par exemple, Hom. in Matth., P. G., t. lviii, col. 738, donnent ici au participe le sens d’un futur et font parler Jésus du sang qu’il devait verser sur la croix.

Après avoir présenté cette remarque, le P. Lebreton, art. Eucharistie, dans Dictionnaire apologétique, t. i, col. 1564, conclut que « cette discussion a peu de conséquence ; l’une et l’autre interprétation, ajoute-til, sauvegarde et le caractère sacrificiel de l’eucharistie et sa relation essentielle à la mort du Christ ».

Rien n’est plus vrai. Ou bien, on laisse au participe présent sa signification obvie, et alors force est d’admettre que Jésus présente son corps comme déjà immolé au cours même de la cène, son sang comme répandu en sacrifice non seulement sur la croix, mais au cours du repas d’adieu. Ou bien on attribue aux mots : « donné, répandu pour vous » le sens d’un futur. Le Christ annoncerait donc la mort expiatoire du Calvaire ; mais déjà, il ferait savoir à la cène qu'à l’instant même où il parle, il se livre à son Père afin d'être mis à mort pour ses disciples. Offrir ainsi son corps et son sang, c’est poser le premier acte de l’immolation qui se continuera au Golgotha.

e) Le Christ dit-il en termes exprès que le (ait de s’offrir en nourriture le constitue à l'état de victime ? — Jadis, pour le démontrer, Franzelin a proposé un argument ingénieux, mais qui pourtant n’est plus guère présenté aujourd’hui.

Ce théologien fait observer que, d’après certains manuscrits, la formule de Paul sur le pain est la suivante : « Ceci est mon corps rompu pour vous », ÙTtèp ù(jlcôv xvcà[j.Evov. Il croit donc pouvoir construire le raisonnement qui suit : D’après l’Apôtre, Jésus dit : « Ceci est mon corps mis à votre disposition en l'état de nourriture à la manière du pain que partage le père de famille pour le distribuer. » Or, la formule de Paul ne peut contredire celle de Luc, puisque toutes deux expriment une même pensée du Christ ; et cet évangéliste fait dire à Jésus « Ceci est mon corps donné pour vous, 8t.86ji.svov », c’est-à dire « livré pour vous en sacrifice ». Ainsi serait-il démontré que Jésus s’immola non seulement quand il mourut pour nous, mais encore quand il se mit à la disposition de ses disciples en l'état de nourriture. Il fut donc victime à la cène aussi bien qu'à la croix. Comme la passion, le repas d’adieu fut un sacrifice. Franzelin, Tract, de ss. eucharisties sacramento et sacrificio, Rome, 1899, p. 362.

A ce raisonnement, on pourrait faire plus d’une objection. Il suffit d’observer que sa base est peu solide : on s’accorde aujourd’hui à considérer les divers participes, xXœfievov, 8186(j.evov, ajoutés à la formule de Paul : « Ceci est mon corps pour vous », comme des gloses explicatives mal attestées par les manuscrits et qui ont été imaginées pour compléter une finale abrupte, expliquer un texte elliptique. Voir Eucharistie, t. v, col. 1053.

/) Le Christ offre à la cène le sacrifice qui scelle une nouvelle alliance. — C’est au contraire en faveur du caractère sacrificiel du repas d’adieu un argument de la plus haute valeur, qui se dégage du lien mis par le Christ entre l’effusion du sang et la conclusion d’une alliance. Les quatre témoins attestent cette pensée. Selon Matthieu et Marc, Jésus a dit : « Ceci est mon