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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA DERNIÈRE CÈNE


rend grâces, il est impétratoire et a une vertu de propitiation : par lui on entre en communion avec la divinité.

Mais pourquoi l’usage du sang, pourquoi en tout sacrifice est-il entièrement réservé pour l’autel, pourquoi dans les rites expiatoires sert-il à de si nombreuses et solennelles aspersions ? La réponse est dans l'Écriture : « L'âme de la chair est dans son sang. » Lev., xvh, 11, 14. Voir aussi Gen., ix, 4 et Deut., xii, 23 : « Le sang, c’est la vie », don immédiat de Dieu qui seul a le pouvoir et le droit de le donner et de l'ôter. Elle est d’une manière indiscutable le plus précieux des biens. On comprend aussitôt pourquoi aucune autre offrande ne semblait plus apte à honorer Dieu et à exalter sa puissance, à le remercier et à concilier ses faveurs aux îhortels.

Mais le sang apparaît surtout doté d’une vertu expiatoire. C’est encore l'Écriture qui l’affirme. « L'âme de la chair est dans le sang et je vous l’ai donné pour l’autel », dit le Seigneur, « afin qu’il servît d’expiation pour vos âmes. » Lev. : xvii, 11. Le coupable par sa faute a mérité un châtiment. Repentant, il le reconnaît et, pour exprimer son regret, pour payer sa dette, pour satisfaire à la justice divine, il condamne un animal à la mort qu’il devrait lui-même subir ; le sang, c’est-à-dire la vie de cette victime, remplace auprès de Dieu le sang, la vie du pécheur. C’est ce que montre bien le rite de l’imposition des mains : l’homme transfère sur la victime sa faute, sa culpabilité, son obligation de subir la peine capitale. Ce geste montre qu’il y a solidarité entre l’offrant et le donateur, que la vie de l’animal est substituée à celle de l’homme. C’est ainsi que les contemporains de Jésus comprenaient la vertu expiatoire du sang. Médebielle, L’expiation dans l’Ancien et le Nouveau Testament, Rome, 1924, 1. 1, p. 125-158.

Pour eux donc aucun doute n'était possible. Il y avait sacrifice quand, pour honorer Jahvé, un Israélite renonçant à ses droits sur un animal déterminé par le rituel lévitique et se substituant cette victime par l’imposition des mains, la tuait pour répandre son sang à l’autel et offrir à son Dieu par la flamme la totalité ou une partie de ses chairs. Que le donateur fût ensuite invité à manger une portion de ce qui était mmolé, il entrait alors dans l’intimité de Jahvé, en communion avec lui. Le sang pouvait aussi, moyennant des aspersions déterminées du Saint des Saints et de l’autel, avoir une vertu expiatoire.

Oui, mais pour les contemporains de Jésus la victime ne devait-elle pas être un animal ? Le sacrifice humain était sévèrement condamné comme une abomination cananéenne. Deut., xii, 29-31.

Cependant tout Israélite le savait : un jour Dieu luimême avait exigé d’Abraham qu’il lui offrît en sacrifice son fils unique Isaac. Et parce qu’il n’avait pas hésité à le faire, Abraham avait été béni, avait obtenu une nombreuse postérité en laquelle devaient être bénies toutes les nations de la terre. Gen., xxii, 16-18. Sans doute, un bélier avait été substitué à Isaac. Mais, comme le fait observer la littérature rabbinique (voir Médebielle, op. cit., p. 261 sq.), le sacrifice avait été en fait admis par Dieu et Abraham avait bien offert le sang de son fils unique. L’exemple donné par le père des Juifs ne pouvait être oublié, il ne le fut jamais.

On pouvait même trouver dans les Écritures l’annonce d’un autre sacrifice humain. On lisait dans Isaïe le récit des souffrances et de la mort du serviteur de Jahvé. lui, 3-12. Pourquoi, victime « d’un jugement inique », est-il « humilié », « châtié », « maltraité », « transpercé », « broyé » ; pourquoi cet « homme de douleurs, familier de la souffrance » est-il « arraché de la terre des vivants et mis à mort » ; pourquoi

est-il « compté parmi les pécheurs » et « frappé de Dieu » ? Ce n’est pas à cause de ses fautes : « il n’y a pas d’injustice en ses œuvres, ni de mensonge en sa bouche », il est « innocent ». Le prophète le répète douze fois de suite : le serviteur de Dieu a souffert pour autrui. « Il a offert sa vie en sacrifice pour le péché », il « s’est chargé des iniquités des multitudes », « et il a intercédé pour les pécheurs ». Alors Jahvé a fait « retomber sur lui l’iniquité de tous ». C’est ainsi que ce juste « a pris sur lui nos souffrances », » s’est chargé de nos douleurs » et « s’est livré à la mort ». Voilà pourquoi il a été « transpercé pour nos péchés, broyé pour nos iniquités ». En réalité « le châtiment qui nous sauve, a pesé sur lui ».

On le sait, l’exégèse et la théologie juives n’ont pas accordé à cette prophétie l’attention que lui donnent les chrétiens. Elles n’y ont pas vu l’annonce de la mort rédemptrice du Messie. Voir Médebielle, op. cit., p. 283 sq. Cependant l’oracle d’Isaïe n'était pas inconnu de la première génération chrétienne. Les allusions et les citations des livres du Nouveau Testament suffiraient à le démontrer. Ce texte pouvait donc préparer les contemporains de Jésus à ne pas rejeter la pensée d’un sacrifice pour le péché, dont la victime aurait été un juste se substituant aux pécheurs.

Ce concept d’ailleurs était déjà certainement accueilli dans certains milieux juifs. Le second livre des Machabées relate cette prière du plus jeune des sept martyrs : « Quant à moi, ainsi que mes frères, je livre mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d'être bientôt propice envers son peuple : puisse en moi et en mes frères s’arrêter la colère du Tout-Puissant, justement déchaînée sur toute notre race. » vii, 37. Dans un ouvrage non canonique, mais qui nous relate les croyances des Juifs au ie siècle de notre ère, dans le IV » livre des Machabées, cette pensée se trouve exprimée en termes plus clairs encore. Éléazar adresse à Dieu la prière suivante : « Tu le sais : alors que j’aurais pu me sauver, je meurs pour la Loi, dans les tourments du feu. Sois propice à ton peuple, en te contentant du châtiment que nous souffrons pour eux. Fais de mon sang l’instrument de leur purification et prends ma vie en échange de la leur. » IV Mac, vi, 28-29. Aussi l’auteur du livre, pensant à ce martyr et à ses émules, les sept frères et leur mère, fait leur éloge en ces termes : « Par eux le tyran a été châtié et la patrie purifiée, car leur vie a été comme la rançon du péché du peuple, et par le sang de ces hommes précieux, par leur mort expiatoire, la divine Providence a sauvé Israël auparavant accablé de maux. » xvii, 21-22.

Si un contemporain des Apôtres et des premiers chrétiens a exprimé de telles pensées, il faut bien admettre qu’il n'était pas impossible aux disciples de Jésus de comprendre ou de recevoir pareille doctrine, d’admettre l’existence d’un sacrifice où le sang versé serait celui d’une victime humaine, d’un juste s’offrant à la mort pour le salut de ses frères.

Deux problèmes doivent être étudiés ici, à la lumière des textes bibliques pris en leur sens littéral et expliqués par eux-mêmes : Au cénacle la veille de sa mort, au cours d’un repas d’adieu pris avec ses disciples, Jésus institua-t-il un sacrifice ? — Trouvet-on dans les premières communautés chrétiennes un rite qui était tenu pour un sacrifice ?

IL Le repas d’adieu du Christ fut-il un sacrifice ? — Pour répondre à cette question, nous interrogerons tant les récits de la cène que d’autres passages du Nouveau Testament.

Les récits de la cène.

1. Saint Paul, I Cor., xi,

23 sq. (années 55-58). — 23. Pour moi, j’ai appris du Seigneur et je vous l’ai aussi enseigné. Le Seigneur