Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/397

Cette page n’a pas encore été corrigée

779 MÉRITE, SYNTHÈSE DOCTRINALE : CONDITIONS DU MÉRITE 780

porlionem cum vita seterna lanquam cum ultimo fine, Ha opéra gratis hubent proportionem et condignitatem cum eodem fuie lanquam média, et Mi maxime proportionata.

A cette doctrine les protestants ne cessent d’opposer les droits de Dieu, auxquels elle ferait concurrence. Mais, s’il en était ainsi, comment pourrait-on admettre, le mérite du Christ ? Calvin a connu de ces extrémistes : Etsi fatentur salulem nos per C.hristum consequi, nomen tamen meriti audire non sustinent quo putant obscurari Dei gratiam. Inst. rel. christ., t. II, c. xvii, 1, Opéra, t. ii, col. 386, et n’en a pas moins affirmé, sous réserve de l’initiative qui revient à la Cause première, la valeur méritoire de l’œuvre du Sauveur. Régula enim vulgaris est, ajoute-t-il avec raison, qu-ts subalterna sunt non pugnare, ideoque nihil obslat quominus gratuita sit hominum juslificatio ex mera Dei misericordia et simul interveniat Christi merilum. On ne saurait mieux dire ; mais la logique n’imposet-elle pas d’appliquer à l’homme le même principe ?

La grâce ne s’oppose pas davantage au mérite du simple chrétien, quand on la conçoit avec l’Église comme une étroite collaboration entre Dieu et l’homme, où d’ailleurs celui-ci est l’agent secondaire et celui-là le principal. Quamvis, comme l’expose en excellents termes Bellarmin, in opère bono quod nos, Deo juvante, facimus nihil sit noslrum quod non sit Dei, neque aliquid sit Dei quod non sit noslrum, sed tolum facial Deus et totum facied homo, tamen ratio cur id opus sit dignum vita seterna tota pendel a gratia. De meritis operum, c. v, Opéra t. vi, p. 354.

Rapprocher, ainsi que le fait A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, t. iv, p. 370, du pharisaïsme grossier ou du pur pélagianisme, qui ne s’attachent qu’à « l’œuvre extérieure », comme une « seconde altération » du principe chrétien, « plus subtile, plus savante et plus spécieuse », la doctrine « qui place la condition de la justification, non pas dans l’œuvre propre. ;, mais dans l’œuvre produite par la grâce » est une de ces déformations que les passions de la controverse expliquent sans les excuser. Car, entre l’œuvre naturelle de l’homme laissé à ses propres forces et celle qui est le fruit de la grâce, ce n’est pas une simple nuance qu’il faut reconnaître, mais une différence du tout au tout. L’activité surnaturelle de l’homme peut et doit être méritoire, parce qu’elle est intrinsèquelent divinisée.

Il n’y a pas lieu, non plus, de voir dans le mérite humain une atteinte portée à l’œuvre rédemptrice ; car celle-ci en est la source et ne montre que mieux son efficacité en devenant féconde. Nam mérita hominum, pour citer encore le même Bellarmin, non requiruntur propter insufjlcienliam meritorum Christi, sed propter maximum eorum efficaciam. Meruerunt enim Christi opéra apud Deum, non solum ut salutem consequeremur, sed uteam per mérita propria consequeremur. Ibid. On retrouve ici une fois de plus cette philosophie générale de la Cause première qui, loin de s’appauvrir, nous révèle davantage sa richesse infinie en associant la cause seconde à sa toute-puissante activité.

En regard de ce plan surnaturel selon la foi de l’Église, où « toutes choses sont restaurées dans le Christ », Eph., i, 10, H. Schultz est bien obligé de concéder à ses adversaires, loc. cit., p. 567, que la conception protestante « manque de grandeur ». Tandis que la rédemption stérile de la Réforme diminue tout à la fois l’homme et Dieu, la doctrine du mérite grandit en même temps l’un et l’autre. Cette perfection intrinsèque n’est pas négligeable et s’ajoute comme un harmonieux complément à l’appui décisif que la foi catholique trouve dans les sources de la révélation.

3. Conditions du mérite.

Encore est-il que n’importe quel acte ne saurait être méritoire. Les conditions requises pour le mérite en achèvent le concept.

A la base, il faut tout d’abord supposer un engagement divin. Dans l’ordre humain déjà, on ne saurait concevoir de mérite qui s’impose auprès de quelqu’un qui n’aurait pas, au préalable, consenti à l’accepter. A plus forte raison en est-il ainsi devant Dieu, et tout particulièrement en matière de biens surnaturels qui dépassent nos capacités natives. Mcritum hominis apud Deum, enseigne saint Thomas, esse non potest nisi secundum præsupposilionem divinse ordinationis, ita scilicet ut id homo consequatur a Deo per suam operalionem quasi mercedem ad quod Deus ei virtutem operandi deputavit. Sum. theol., I » -II æ, q. exiv, a. 1. En termes d’école, l’acte humain ne saurait avoir qu’une valeur in aclu primo : il faut un vouloir de Dieu pour lui donner le caractère formel de mérite in actu secundo. Voir Chr. Pesch, Preel. dogm.. t. v, Fribourg-en-B., 4e édit., 1916, p. 242-243.

Cette divina ordinatio, qui, dans l’ordre naturel, se confondrait avec la constitution même de la destinée humaine, suppose, dans l’ordre surnaturel, un décret spécial de Dieu, que seule la révélation peut nous faire connaître. Voilà pourquoi les théologiens parlent volontiers de « pacte » et le concile de Trente mentionne expressément la « promesse divine » comme fondement de’nos espérances : …Proponenda est vita seterna… tanquam merces ex ipsius Dei promissione reddenda. Sess. vi, c. xvi, Denzinger-Bannwart, n. 809.

Il n’est d’ailleurs pas indispensable d’imaginer que cet engagement prenne une forme contractuelle. On peut le concevoir comme suffisamment inclus dans le fait tout gratuit de notre vocation surnaturelle, dont Dieu nous accorde normalement les moyens en nous l’assignant comme fin. Ut videtur, non requiritur a parle Dei promissio formalis retribuendi quæ esset distincta ab ipsa ordinatione Dei qua nos reddit consorles divinse naturse et ideo concedit gratiæ dona ut opéra nostra sint intrinsece proportionata cum ultimo fine obtinendo. J. van der Meersch, Tract, de divina gratia, Bruges, 1900, p. 354.

Du côté de l’homme, le mérite suppose l’état de grâce. En effet, seule la sève surnaturelle peut fructifier pour la vie éternelle et y donner droit. Voilà pourquoi le concile de Trente n’admet l’homme à mériter que sous la condition d’être « le membre vivant du Christ », c. xvi, et can. 32, Denzinger-Bannwart, n. 809 et 842. Contre Baïus, l’Église a précisé que cette vie divine doit s’entendre d’une possession effective de la grâce sanctifiante. Prop. 12, 13, 15 et 17, Denzinger-Bannwart, n. 1012-1017. De ce fait saint Thomas donne une double raison : raison accidentelle pour l’humanité déchue, propter impedimentum peccati ; raison essentielle, fondée sur l’absolue transcendance de la vie éternelle par rapport aux forces de notre nature. Sum. theol., Ia-IIæ, q. exiv, a. 2. Pour le commentaire de cette doctrine, voir Bellarmin, De meritis operum, c. xu-xiu, p. 366370 ; Suarez, De merilo, c. xiv, p. 81-89 ; Ripalda, t. IV, disp. LXXVIII, t. ii, p. 37-49. — Effet de la grâce sanctifiante, le mérite doit logiquement disparaître avec elle. Cette ruine des titres surnaturels antérieurement acquis est une conséquence certaine du péché grave. On s’est demandé s’ils revivent dans l’âme qui rentre en grâce. Le moins qu’on puisse dire, c’est que rien dans la notion de mérite ne s’oppose, en droit, à cette reviviscence. Quant à la question de fait, elle dépend de la conception générale que chacun adopte sur les lois de la Providence surnaturelle et l’efficacité plus ou moins grande des moyens de relèvement qu’elle met à notre disposition. Il est clair que la doctrine de la reviviscence, en même temps qu’elle