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    1. MÉRITE##


MÉRITE, SYNTHÈSE DOCTRINALE : RÉALITÉ DU MÉRITE 778

Ainsi, au iicu d’être étranger à l’ordre moral, le mérite en est, tout au contraire, la suprême expression. Eo ipso, écrit expressément Suarez. quod [opus] bonum est et liberum, habet aliquam dignitatem moralem ratione cujus et est digruim lande et, qualenus’bene fit, eedit aliquo modo in gloriam Dei… Apud Deum autem moralis bonitas præcipue spectatur ex parte operis, quia Deus… ex bonis noslris operibus non qua-rit utilitatem sed gloriam, quæ ex bonitate operum résultat et a nobis dari Deo censetur qualenus propria voluntaie ea libère facimus. Loc. cit., 5 et 7, p. 27-28. En vertu de ce principe, le minimum de moralité est suffisant pour assurer un minimum de mérite. C’est ainsi que Ripalda, avec beaucoup d’autres, admet, contre Suarez, op. cit., c. ii, 7-11, p. 14-15, un meritum puræ omissionis chez celui qui s’abstient seulement de faire le mal. De ente supern., t. III, disp. LXX, t. i, p. 591-608. A fortiori le mérite accompagne-t-il tous nos actes positivement ions : sa perfection en qualité et en quantité, si l’on peut ainsi dire, est fonction de notre attachement à la loi du bien.

Il va sans dire que les œuvres de conseil peuvent aussi donner lieu au mérite ; mais c’est parce qu’elles rentrent, elles aussi, dans la pleine extension de l’ordre moral et religieux. Car ce qui n’est pas proprement imposé sous peine de faute peut cependant être suggéré à la générosité de chacun par cette loi générale, illimitée dans ses applications, qui porte l’âme à se dévouer tout entière au service du Dieu qui lui a tout donné. Ici encore, le mérite de ces œuvres tient, non pas précisément à leur qualité propre, mais à la volonté qui en inspire l’accomplissement. Et si elles nous paraissent avoir plus de mérite — ce qui n’est pas toujours vrai en réalité — c’est uniquement parce que cette propria voluntas qui est le principe de toute vie morale trouve l’occasion de s’y affirmer avec plus d’éclat.

b) Fait du mérite. — C’est dans ce sens que l’Église enseigne la possibilité et la réalité du mérite comme fruit de la justification.

Nous avons fait remarquer en son temps, voir plus haut, col. 757, que ! e concile de Trente s’est contenté de définir que nous pouvons « mériter véritablement » et, de propos délibéré, s’est abstenu de faire entrer dans sa définition les termes d’école qui qualifient cette vérité. La nuance de cet enseignement et l’échelle de valeur qui en découle n’ont pas échappé aux théologiens postérieurs. Homines posse, écrit Suarez, vere et proprie ac simpliciter apud Deum mereri ex gratia seu per gratiam operundo : hœc conclusio sub his terminis est de fuie. De merito, c. i, 5, p. 6. Posse homines mereri apud Deum, absolute loquendo, de condigno et secundum aliquam justiliæ eequitatem : hœc assertio non est de fide, quia sub his lerminis non est definita ; est lamen omnino vera et valde consentanea principiis fidei. Ibid., 10, p. 8. Sans donc interdire à l’École de poursuivre ses déductions sous sa propre responsabilité, l’Église impose seulement à notre foi de reconnaître à nos œuvres une valeur telle que l’on puisse parler d’un véritable mérite devant Dieu.

Avant toute preuve positive, cette doctrine repose sur une évidente analogie de la foi qui suffirait par elle-même à l’établir. La valeur objective des actes humains est, en effet, une des bases les moins contestables de l’ordre moral, et c’est pourquoi la raison est d’accord avec la conscience pour attendre que Dieu leur attache de justes sanctions. Voir S. Thomas, Sum. theol., L-II æ, q. xxi, a. 3-4. Mais, si le mérite appartient ainsi au fond le plus essentiel de la Providence naturelle, ne serait-il point paradoxal au premier chef d’imaginer que l’ordre surnaturel obéisse à d’autres lois ? Le mysticisme de la Réforme se complaît dans cette dissociation : l’Église, au contraire,

admet dans les deux cas la continuité d’un même plan rationnel, et l’on voit tout l’avantage que lui confère cette position devant l’intelligence qui cherche, à construire un système ordonné de l’univers.

De fait, la révélation divine confirme ici de tous points ces postulats de la raison. Sans doute l’Écriture entière tend à exciter le sentiment religieux en inculquant avec force que tout ce que nous pouvons avoir ou recevoir de biens est un bienfait de la bonté divine, et cette conviction, que l’Évangile devait surtout développer, n’est pas étrangère à l’Ancien Testament. Mais, en même temps, l’homme est partout invité à l’effort personnel en vue de conformer sa conduite à la volonté de Dieu et, dans le Nouveau Testament où Dieu est donné comme un père, ce service obligatoire se nuance d’amour sans rien perdre de sa rigueur. Cet appel à la vie morale ne suppose-t-il pas la valeur de ses résultats ?

Voilà pourquoi la notion du mérite humain est expressément comprise dans l’affirmation permanente de la justice de Dieu, qui doit « rendre à chacun selon ses œuvres ». Formule régulatrice de l’ancienne Loi, voir Jugement, t. viii, col. 1735, qui se retrouve à la lettre dans l’Évangile, Matth., xvi, 27, et dans saint Paul, Rom., ii, 6. Aucun fait ne saurait mieux illustrer l’identité de la foi religieuse dans les deux Testaments.

Il n’est pas d’artifice auquel l’exégèse protestante n’ait recouru pour se dérober à cette évidence. Contre l’implacable clarté des textes, on a prétendu qu’il ne saurait y avoir de parité entre la sanction divine du bien et du mal. Véritable paradoxe si la justice est un attribut de Dieu. Plus subtilement on a voulu distinguer entre l’idée de mérite et celle de récompense : comme si l’affirmation de celle-ci n’impliquait pas nécessairement celle-là ! Toutes échappatoires qui sentent le système préconçu et se trouvent condamnées par là-même. Rien ne peut faire qu’en professant la parfaite justice du jugement divin l’Écriture ne donne à la valeur des œuvres humaines sa suprême consécration.

Aussi bien cette vérité est de celles qui se sont maintenues sans progrès réel à travers toute la tradition chrétienne. Sans doute la théologie grecque, moins bien servie sur ce point par les ressources de sa langue, s’en est-elle ordinairement tenue aux simples énoncés de la révélation script uraire. Mais la théologie latine a reçu dès la première heure le terme de mérite, qui a l’avantage de les traduire d’une manière plus nerveuse et, pour ce motif, n’a plus cessé d’avoir cours. Chemin faisant, commençait l’analyse des conditions du mérite, et les spéculatifs, depuis Origène jusqu’à saint Augustin, relevaient la mystérieuse collaboration qu’il demande entre la volonté de l’homme et la grâce de Dieu. La théologie médiévale a recueilli paisiblement ces données traditionnelles pour en faire une plus rigoureuse systématisation. En s’inscrivant avec fougue contre cette doctrine de l’École, la Réforme avouait indirectement sa rupture avec le passé le plus authentique de l’Église elle-même.

Du point de vue théologique, la dignité que procure à l’âme la grâce de la régénération non seulement permet mais impose de reconnaître la réalité du mérite. Car un principe surnaturel agit désormais en elle : Si autem. comme l’enseigne saint Thomas, loquamur de opère meritorio secundum quod procedit’ex gratia Spirilus Sancti, sic est meritorium vitse ; elerme ex condigno ; sic enim valor meriti attend itur secundum virtutem Spirilus Sancti moventis nos in vilain œlernam. Sum. theol., P-II 112, q. exiv, a. 3. Ce qui est dit ici pour justifier le mérite de condigno vaut, à bien plus forte raison, pour expliquer le mérite tout court. Voir de même Suarez, c. i, p. 10 : Sicut gratia habet pro-