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3 MÉRITE. SYNTHÈSE DOCTRINALE : FONDEMENTS DU MÉRITE 774

avoir réservé le meritum excellentise vel, ut a bonis theologis appellatur, meritum de rigore fustitiæ, qui

est propre au Christ, l’auteur restreint son étude au meritum commune seu injerioris ordinis, le seul qui nous soit accessible. Il est d’ailleurs remarquable comme méthode qu’il n’éprouve aucun besoin de s’arrêter au mérite en soi : dès son premier chapitre, l’auteur va directement au mérite de condigno, qui le retient pendant la plus grande partie de son traité, c. i-xxxi, p. 5-222. Une deuxième partie, plus courte, c. xxxii-xxxviii, p. 222-265. porte sur le mérite de congrue, et se développe dans un cadre de tous points symétrique à la première.

Certains protestants ont relevé que Bellarmin parle à peine du mérite de congruo et ont cru y voir un signe d’embarras. Voir D. Charnier, op. cit., t. iii, p. 229. La raison en est plutôt que la controverse, qui reste son point de vue dominant, l’amenait à se concentrer sur le problème proprement dogmatique. Suarez fournit la preuve que l’École ne renonçait pas au mérite de congruo et le fait qu’il se présente chez lui, dans une synthèse théologique bien équilibrée, comme une réalité parallèle au mérite de condigno, celui-ci étant le type idéal dont l’autre est velttti quædam participatio, Præl., p. 5, est, à n’en pas douter, particulièrement propre à en accentuer le relief.

Dang un cadre plus personnel, Ripalda rencontre à maintes reprises le mérite sur son chemin au cours de sa copieuse monographie De ente supernaturali. Il faut signaler d’abord son analyse de la psychologie des actes méritoires, t. III, disp. LXVIII-LXX, édit. Palmé. Paris. 1870, t. i. p. 580-608, qui précède le traité du mérite proprement dit, t. IV, disp. LXXI-XCVI, t. ii, p. 1-296, où tous les problèmes afférents à cette matière sont abordés en long et en large. A quoi il faut joindre ce qu’il dit ailleurs sur la relation de nos œuvres naturelles avec le mérite, soit de condigno, soit rfe congruo, t. I, disp. XV-XVII, t. i, p. 82137. Le mérite de congruo lui paraît admissible poulies actes préparatoires à la justification, mais seulement dans la mesure où ils sont accomplis sous une inlluence surnaturelle, l. IV, disp. LXXXVII, sect. ii, t. ii, p. 187-192, et c’est dans ce sens qu’il interprète ! e fameux adage : Facienti quod in se est, t. I, disp. XX, t. i, p. 150-192.

Ces expositions puissantes de deux maîtres également illustres ont l’avantage de faire connaître les positions prises par l’École, dont chacun se préoccupe de dresser aussi exactement que possible le tableau. On n’y a guère ajouté depuis et c’est à l’une ou l’autre de ces sources que nos manuels puisent, d’une manière plus ou moins prochaine, la plupart de leurs renseignements.

3. Apologistes modernes.

Sans les mettre sur le même plan d’importance que ces maîtres de l’École, il faut accorder une mention spéciale aux vues de quelques modernes dont les protestants ont voulu faire état.

Mœhler est le type de ces apologistes qui, tout en marquant avec énergie les différences qui séparent le catholicisme de la Réforme, s’appliquent à présenter Je dogme de l’Église d’une manière propre à frapper et à retenir l’attention de nos contemporains. C’est ainsi qu’au lieu de parler du mérite comme d’un droit à une récompense extérieure, en vertu de cet organicisme qui caractérise l’école de Tubingue, il se plaît à montrer, dans les œuvres du juste, la vie même du Christ qui est en lui et, par conséquent, l’anticipation réelle de la béatitude céleste. Voir A. Vermeil, Jean-Adam Mœhler et l’école catholique de Tubingue, Paris, 1913, p. 203-209. D’où ces formules de sa Célèbre Symbolique : L’Église ne donne aux œuvres…

le qualificatif de bonnes œuvres que si elles sont accomplies dans une union réelle de vie avec le Christ, et elle ne parle de l’accomplissement de la loi qu’autant qu’on en trouve la force dans l’union avec le Christ… Cette proposition : le chrétien doit mériter la vie éternelle veut dire qu’il doit en devenir digne par le Seigneur ; qu’entre le ciel et l’homme il doit s’établir une liaison intime, un rapport aussi étroit qu’entre le principe et la conséquence, c’est-à-dire entre la sanctification et la glorification. Puisque la justice est inhérente au fidèle, profondément enracinée dans son âme, il s’ensuit que le salut de l’homme, enté sur cette justice, se développe et croît par les bonnes œuvres. » De même l’augmentation de la grâce signifierait que « plus le chrétien pratique le bien, plus il collabore avec la grâce, plus il donne à la grâce prise sur lui… L’exercice d’une faculté en déploie les forces ; et qui n’a pas enfoui son talent, mais l’a fait fructifier, en recevra plusieurs autres. » Die Symbolik, 6e édit., Mayence, 1872, p. 197-203 ; résumé dans G. Goyau. Mœhler, Paris, 1905, p. 229231.

Dans cette manière de ramener le mérite à un rapport organique entre l’acte humain et sa récompense, de subordonner la valeur de l’œuvre à celle de l’ouvrier, H. Schultz, loc. cit., p. 566, a voulu voir « une transformation du dogme de l’Église sous l’influence de la théologie évangélique. » Et il ajoute que, sur ce terrain moral, tous les chrétiens pourraient se trouver d’accord, bien que, pour un catholique, « cette vie dans le ciel doive être considérée comme une condition préalable pour jouir du ciel même », tandis que, pour le chrétien évangélique, elle en est seulement la garantie. C’est dire que l’apologétique de Mœhler respecte le caractère essentiel du dogme catholique et n’est, en somme, qu’une manière de l’exposer avec plus de profondeur, en montrant à quelles réalités répond le vocabulaire extrinséciste dont le langage populaire se contente trop souvent. Voir dans le même sens les vues intéressantes suggérées, à propos du mérite du Christ, par L. Richard, Recherches de science religieuse, 1923, p. 205-206, et retenues par E. Masure, Revue apologétique, t. xliv, 1927, p. 25-26.

Il n’y a donc pas ici de conception proprement nouvelle, moins encore de tendance hétérodoxe. Rien n’est plus classique en théologie que de voir dans la grâce le germe de la gloire. Ce mysticisme ne saurait être surprenant que pour des imaginations protestantes, où domine le préjugé de la corruption humaine. Pour tout catholique conscient de sa foi, c’est une donnée qui s’ajoute aux autres sans les supprimer et dont la théologie du mérite peut à bon droit tirer parti.

Synthèse doctrinale.

Au terme de cette histoire,

il y aurait lieu de placer une systématisation théologique dont ce passé même fournit çà et là tous les éléments. Ce travail a été fait dans une large mesure à l’article Congruo (de), Condigno (de), t. iii, col. 1133-1152. Il nous suffira de rappeler ici, en quelques traits succincts, les principes communs à tous les catholiques sur le mérite en général.

1. Fondements du mérite.

Une notion centrale comme celle du mérite tient forcément à toute la doctrine de l’ordre naturel et surnaturel. Si les protestants lui témoignent une telle hostilité, c’est par suite de leur système dogmatique des rapports entre Dieu et l’homme. Un dogme anthropologique inverse donne, au contraire, à l’Église le droit et le devoir de l’aflirmer.

Tout le protestantisme est dominé par une conception absolument pessimiste de la déchéance originelle. En perdant l’amitié divine, l’homme est tombé dans un abîme de désordre et de corruption. Non seule-