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MERITE DANS L’ORTHODOXIE RÉFORMÉE


les irregenili sont sans vaieur devant Dieu. Pars IV a, c. ix : De. bonis opcribus, sect. ii, q. i, p. 312-317. Quant à celles des chrétiens, il commence par en établir la nécessaire imperfection, ibid., q. iii, p. 322326 ; puis, suivant une distinction assez subtile, il montre, en deux thèses successives, qu’elles sont « nécessaires pour les régénérés », q. iv, p. 326, mais non, pas « nécessaires pour le salut » : Bona opéra non sunt nec dici possunt aut debent necessaria ad salulem, vel promerendam per modum meriti, vel acquirendam per modum medii, vel eonsequendam per modum conditionis vel causæ sine qua non, vel oblinendam per modum pervenlionis ad ullimam melam. Q. v, p. 328340.

Dès lors, il ne veut admettre, au regard de la vie étemelle, qu’un mérite au sens large, adeo ut mereri idem sit quod consequi, impelrare, eliam gratis. Le mérite proprement dit est exclu par la thèse suivante : Bona opéra justificatorum nec merentur nec mereri possunt, vere et proprie loquendo, vel auxilium gratiæ actualis, vel augmentum gratiæ habitualis, mullo minus ipsam vilam œlernam neque de condigno neque de congruo, que l’auteur s’efforce d’établir sur les bases d’une copieuse démonstration, dirigée tout à la fois contre les « pontificaux » et contre les arminiens. Ibid., q. vi, p. 340-348.

On voit que les besoins de l’opposition anti-catholique ont amené les représentants les plus caractéristiques du luthéranisme orthodoxe, à refuser au terme et à l’idée de mérite le peu de place que leur Église leur conservait encore au début.

2. Chez les Réformes. — Au premier abord, il ne paraît pas y avoir la moindre différence dans l’attitude des théologiens reformés.

a) Positions de Calvin. — Dès la première heure, Calvin a donné ici le ton, dans son Antidote contre le concile de Trente (1547), par la manière dont il s’efforce de jeter le ridicule sur la doctrine catholique du mérite. Suivant le rite de la controverse, les Pères du concile y sont traités tour à tour de moines ignorants, d’ânes et de pourceaux. Au fond, Calvin leur reproche tria… quæ ferri non debent errata : savoir d’oublier la défectuosité de nos actes, quæ nobis inhæret vitiositas, qui nous oblige d’avoir recours à la miséricorde divine ; de méconnaître qu’une seule faute contre la loi compromet tous les mérites que nous aurions pu recueillir par ailleurs ; d’appuyer sur nos œuvres le principal de notre confiance.

Sans doute le réformateur ne peut ignorer que le concile met précisément le chrétien en garde contre -ce dernier défaut : Verbo uno prohibent ne nobis fidamus. Mais de ce fait il ne tient plus ensuite aucun compte : Terlius error longe deterrimus, quod salutis fiduciam ab operum intuilu suspendant, ou, comme s’exprime, avec un certain pittoresque, la traduction française : « Ils pendent la fiance de nostre salut au croc de nos mérites. » Cependant Calvin ne veut pas .qu’on mette en cou’e la nécessité des œuvres, ni la réalité de la récompense qui leur est promise : Nihil porro controversiæ est quin exhorlandi sint ad bona opéra fidèles, et proposita etiam mercede slimulandi. Acta synodi Tridentinse cum antidoto, dans Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. vii, col. 471473.

Le canon 32 y est pareillement rétorqué au nom de saint Augustin, quia nihil aliud est quod dicitur meritum quam gratuitum Dei donum. Et le concile est naturellement accusé de sacrifier la part nécessaire de la grâce : Non ergo crepare sinamus patres istos meritum a graiia separando perperam lacérantes quod vere unum est. Ibid., col. 485-486. Toutes invectives qui n’ont guère qu’un intérêt psychologique pour .montrer comment les passions de la controverse

ont pour résultat de fermer les yeux à l’évidence des faits.

Ce que Calvin jetait ainsi dans le feu de la première polémique, il l’expose plus didactiquement dans V Institution chrétienne. L’édition définitive de 1559 ne fait ici que reprendre, à peu près textuellement, celle de 1539, sauf à mieux détacher la suite des thèses par une subdivision en chapitres qui portent les titres suivants, c. xv : Quæ de operum meritis jaclantur tam Dei laudem in conferenda justitia quam salutis certiludinem everlere ; c. xvi : Rejutatio calumniarum quibus hanc doctrinam odio gravure conantur papistæ ; c. xvii : Promissionum legis et Evangelii conciliatio ; c. xviii : Ex mercede maie colligi operum justitiam. Inst. relig. christ., III, c. xv-xviii, dans Opéra, t. ii, col. 579613. Un chapitre est ajouté au 1. II pour appliquer et réserver la notion de mérite à l’œuvre du Christ. Ibid., II, c. xvii, col. 386-392. La traduction française, publiée par l’auteur en 1541, a été remaniée définitivement en 1560 sur les cadres de cette dernière édition. Ibid., t. iv, col. 294-343.

On a noté plus haut, voir col. " ; 2 >, le caractère paradoxal de cette doctrine, qui s’oppose violemment au mérite sans parvenir à s’en détacher.

b) Autres témoins. — Il ne semble d’ailleurs pas que cette anomalie ait été aperçue par aucun des successeurs de Calvin, qui continuent à s’en réclamer fidèlement, tout en faisant valoir de préférence, suivant leur tournure d’esprit, l’un ou l’autre de ses aspects.

Le côté négatif domine évidemment la longue exposition du dauphinois Daniel Charnier, dans Panstratiæ catholicæ, 1. XIV : De operibus, Francfort, 1627, t. iii, p. 226-252, où l’auteur discute méthodiquement la doctrine générale du mérite et de ses diverses formes selon les « papistes », pour lui opposer ce qu’il appelle assez curieusement la catholicorum sententia, p. 227, ainsi conçue : Negamus aut extra gratiam esse mérita de congruo, aut in gratia de condigno, imo ullo modo esse mérita nisi abusive atque adeo traducto vocabulo a propria et nativa significatione in aliam ; uno verbo, nullo jure meriti operum teneri Deum aut pcccatorcm vocare ad gratiam, aut vocato, imo accepte in gratiam, sive augmentum gratiæ reddere, sive vitam œternam, sive in vila œlerna augmentum gloriæ.

Cette thèse est d’une limpidité qui n’a d’égale que son intransigeance. Elle représente le calvinisme strict avec une perfection qu’on trouverait difficilement ailleurs.

D’autres, au contraire, reprenaient à la lettre les formules atténuées de Mélanchthon Ainsi Jean Henri Heiddegger, qui commence à porter contre le mérite l’exclusive en apparence la plus absolue : Nos nullum omnino meritum agnoscimus, sive de congruo in justificando, sive de condigno in justificato. Mais, le dogme protestant étant sauf, la réserve suit immédiatement : In reconciliatis equidem bona opéra quæ fiunt ex fide, habent præmia tum spiritualia tum temporalia ex misericordia Dei et palerna acceptatione propter Christum. Et l’auteur doit bien avouer que ces récompenses ont reçu dans le passé le nom dé mérite : Hoc appcllarunt pii Patres meritum, meram nimirum conseculionem præmii. Quant au mérite proprement dit, il ne saurait en être question : De vero autem, proprio et legali mérite, cui merces addicatur ex condignitatc interna, sive dependenler sive independenler a pacte, nos quæstioncm negamus. Conc. Tridentini anatome historico-lheologica, Zurich, 1672, t. i, p. 259. Dans la seconde édition de cet ouvrage, publiée en 1690 sous le titre de Tumulus Trid. concilii, la doctrine conciliaire est longuement discutée dans le même sens. Ad sess. vi, q. xxi-xxiii, p. 516-548.

Le genevois Fr. Turretin veut également distinguer deux sens du mérite et il reconnaît que les anciens