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MÉRITE DANS L’ORTHODOXIE LUTHÉRIENNE

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1. Chez les luthériens.

Dans les dix-neuf éditi ons successives des Loci communes qui s’échelonnent de 1547 jusqu’à la mort de l’auteur (1559), Corp. reform., t. xxi. col. 567-582, Mélanchthon garde les positions modérées qu’il avait prises dès 1543, voir col. 722, sans autrement se préoccuper du concile de Trente. Au contraire, d’autres s’attaquent au décret conciliaire pour le réfuter, sans préjudice pour les exposés plus personnels où s’affirment leurs opinions. « ) Variations de Chemnitz. — De cette tradition théologique et polémique Martin Chemnitz est le plus insigne représentant. Ses œuvres manifestent d’ailleurs sur ce point un singulier phénomène d’évolution régressive qu’il vaut la peine de relever.

Une modération relative préside à son Examen concilii Tridentini (1565-1573). Outre maintes allusions passagères à propos de la justification en général, l’ouvrage contient un développement spécial sur la question des œuvres et du mérite, où l’auteur rapproche dans une commune critique les c. xi et xvi de la vi° session. Édition de Francfort, 1596, t. i, p. 174-188. Naturellement, il y réclame la pratique des bonnes œuvres comme nécessaire, tout en protestant qu’elles ne méritent pas la justification ni la vie éternelle, p. 176. Mais il ne saurait admettre qu’elles soient capables de donner satisfaction à la loi divine, moins encore qu’il puisse être question d’oeuvres surérogatoires. Là serait, à son sens, una ex præcipuis controversiis quæ magna contentione a pontificiis disputatur, p. 180. C’est pourquoi il en traite à son tour avec une particulière étendue pour insister sur la vitiositas dont nos actes restent entachés, p. 184.

Sur le mérite proprement dit, Chemnitz adopte comme faisant foi le langage de Mélanchthon : In reconciliatis postea bona opéra, cum placeant fide propter mediatorem, habent præmia spirilualia et corporalia in hac vita et post hanc vitam. Aussi, à la différence des réformés de Hongrie, voir col. 702, est-il heureux de dire : Nostri etiam a vocabulo meriti non abhorrent, et de signaler ce terme dans la Confession d’Augsbourg et autres documents de la première heure, p. 185. Il ne pouvait évidemment soupçonner que la Formule de Concorde, dont il fut l’un des auteurs, allait, quelques années après, marquer un retour en arrière des plus caractérisés.

Fort de cet usage, qui représentait un large contact avec la tradition catholique dont il est assez étonnant que son orthodoxie luthérienne ne se soit pas offusquée, Chemnitz réduit à deux les points de controverse. Aux « pontificaux » il reproche d’admettre un vrai mérite par rapport à la vie éternelle, puis de faire, en conséquence, de celle-ci une dette et non une grâce, car il flaire, non sans raison, sous les termes de la définition conciliaire, scholasticorum commenta de mérita condigni. La modération du concile ne lui échappe pourtant pas entièrement : Observel lector quod Tridenlinis patribus nimis impudens uisum fuit vitam lelernum tribuere solis nostris meritis. Ideo, dum aliquam modesiiæ significationem dure studenl, honoris gralia vitam œternam partiuntur inter merilum Christi et nostrorum operum mérita, p. 186. A ce « partage » il oppose le fait de la rédemption, qui fait, à son sens, de la vie éternelle une pure grâce de Dieu : Scriptura enim… adimit glorialionem de vita seterna etiam renatorum operibus, et tribuit gratise seu misericordiæ Dei propter filium mediatorem, p. 187.

A plus forte raison ne saurait-il être question de mériter en justice. Scriptura enim aliquot récitai rationes bona opéra habere præmia, non ex debilo justifiée divinæ propter rationem meriti, sed ex gratuita (lignatione. Et c’est pourquoi il relève avec satisfaction le fait que le mot mérite est absent de l’Écriture.

Son dernier mot est pour opposer la grâce aux prétentions illusoires et funestes du pharisaïsme : Ne pharisaïca superbia persuasione propriæ dignitatis in exercilio bonorum operum renatorum animos occupet, sed ut semper et ubique exuberet et regnet gralia Dei, p. 188.

Malgré les préventions dont il témoigne, il reste que l’Examen se tient, somme toute, dans la ligne moyenne de VApologia. Au contraire, les Loci theologici de l’auteur, écrits en 1591, trahissent par de sensibles nuances, où résonne une note plus agressive, l’influence de la Formule de concorde. Bien que le texte de Mélanchthon en constitue partout la base, Chemnitz s’y montre peu accueillant au terme de mérite et, par conséquent, à l’idée qu’il représente : Appellatio meriti est usitata Patribus, ce qui s’entend sans doute des « Pères » de la Réforme, et nominal merilum opus mandatum a Deo, faclum a renatis in fuie, quod habeat promissiones sive in hac sive in altéra vita. Sed obabusumet propter insidias, et denique quia est vox àypatpoç, non usurpatur a syncerioris doctrinæ studiosis. Édit. de Francfort, 1653, t. iii, p. 10. Plus loin, l’auteur d’expliquer, suivant une distinction déjà connue, que la récompense n’entraîne pas le mérite : Nemo ergo lurbetur vocula mercedis, si quando ea in sacris lilleris tribuitur vitse œternæ. Neque enim ita vocatur quasi ex merilo debeatur, sed quia ex promissione datur. Ibid., p. 76.

Ce qui ne l’empêche pas de tenir à la nécessité des œuvres. Mais il est significatif de le voir devenir réticent au sujet de leur valeur, et l’on peut noter comme un fait assez curieux qu’il se sépare surtout de Mélanchthon dans celui de ses ouvrages qui a précisément pour but de le commenter.

b) Autres témoins. — Cette même hostilité domine également dans la suite les défenseurs les plus considérables de l’orthodoxie luthérienne.

On ne le voit nulle part mieux que dans les célèbres Loci theologici de Jean Gerhard (1610-1622), loc. xviii : De bonis operibus, c. vin : De meritis bonorum operum, édition Cotta, Tubingue, 1768, t. viii, p. 80-168. En abordant cette gravissima disputatio, l’auteur s’abrite bien derrière le témoignage de Chemnitz première manière, n. 88, p. 81, pour dire que la Réforme ne repousse pas absolument le terme de mérite. Mais il ne l’emploie jamais pour son propre compte quand il s’agit des récompenses réservées aux justes, et cela non seulement à propos de la vie éternelle, mais des autres récompenses dont il admet la réalité. Là où Mélanchthon, comme on l’a vii, parlait de mérite, Gerhard écrit en termes, plus réservés : Verissima igitur est nostrorum responsio quod dictis illis [justis] prxmia temporalia et teterna, bonis operibus ex gratia danda, adstruantur, n. 116, p. 134.

Toute sa démonstration, au contraire, est opposée aux « mérites des œuvres », n. 89, p. 82, qu’il expulse longuement, au nom de l’Écriture tout d’abord, p. 82-106, puis de la tradition, p. 107-120. Après la thèse vient la discussion de i’antithesis adversariorum, qu’il emprunte à Bellarmin et dont il discute pied à pied les arguments sur l’existence même du mérite, p. 121-154, et la place qu’il convient de lui faire dans les fins de la vie morale, p. 151-160. Une sorte d’appendice, p. 161-168, est consacrée à réduire les textes script uraires allégués par d’autres écrivains pontificaux.

On retrouve les mêmes positions chez Jean André Quenstedt, qui exclut les bonnes œuvres, non seulement de la justification, Theologiu didaclico-polemica, Wittenberg, 1685, pars III", c. vin : De justificatione, q. viii, p. 559-566, mais aussi du salut. Bien entendu, les œuvres accomplies par ceux qu’il appelle-