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MÉRITE DANS L’ORTHODOXIE LUTHÉRIENNE

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Plus encore, le mérite est absolument impossible. « Car tout ce que nous sommes, nous le sommes entièrement par Dieu ; dès lors, nous lui sommes redevables et comptables de tout. » Conf. tetrapolitana, 10 (1530), ibid., p. 64.

La position du Catéchisme de Genève (1545) est déjà moins abrupte et dessine une évolution dont nous aurons à relever ailleurs d’autres traces. Si le mérite y est délibérément exclu, c’est avant la justification : Non posse nos ullis meritis Deum prævenire. Après, nos œuvres deviennent agréables à Dieu, sinon par elles-mêmes, du moins par suite de son amour. Placent Mi [opéra] non proprise tamen dignitatis merito, sed qualenus suo favore liberaliter ea dignatur. De cette « faveur » divine la gloire céleste est le terme : Neque enim frustra mercedem Mis Deus tum in hoc mundo tum in (utura vila pollicetur. Verum ex gratuito Dei amore tamquam ex fonte emergit heec merces. Ibid., p. 127-128. On reconnaît ici la doctrine de Cahin, déjà signalée, qui croyait pouvoir associer la négation du mérite à l’utilité des bonnes œuvres en vue de la récompense, sans prendre garde que celle-ci devait logiquement annuler celle-là.

Ce même rapprochement paradoxal se retrouve dans l’a. xvi de la seconde Confession helvétique (1562) : Docemus Deum bona operantibus amplam dare mercedem… Referimus tamen mercedem hanc…, non ad meritum hominis accipientis, sed ad bonitatem vel liberalitatem et veritatem Dei promitlentis alque dantis. Car le pessimisme calviniste oblige à se souvenir qu’il y a toujours, dans nos œuvres, multa indigna Deo, et que nous devons, au total, nous tenir pour des « serviteurs inutiles » : Tametsi ergo doceamus mercedem dari a Deo nostris benefaclis, simul tamen docemus cum Auguslino coronare Deum in nobis non mérita nostra sed dona sua. Et proinde quidquid accipimus mercedis, dicimus gratiam quoquc esse et magis quidem gratiam quam mercedem… Damnamus ergo Mos qui mérita sic hominum defendunt ut évacuent gratiam Dei. Ibid., p. 194-195. On ne peut pas ne pas voir que ces derniers mots prétendent viser les catholiques. Mais, si on se rappelle que le concile de Trente se met déjà formellement en garde contre une semblable prévention et qu’à cette fin il place, lui aussi, sa doctrine du mérite sous le patronage de la théologie augustinienne, serait-il excessif de dire que la différence entre les Églises tient surtout à des questions de mots ?

On rencontre à peu près les mêmes termes à l’a. xxiv de la Confessio belgica (1561) : Facimus igitur bona quidem opéra, sed neutiquam ut iis promereamur. Quid enim mereamur ? Intérim tamen non negamus Deum bona opéra remunerari, verum gratiæ esse dicimus quod coronet suu dona. Ibid., p. 242. Voir de même le Catéchisme d’Heidelberg (1563), q. 63, ibid., p. 699. « Nous croyons, déclare de son côté la Confession gallicane (1559), que toute notre justice est fondée en la remission de nos péchez… Parquoy nous rejettons tous autres moyens de nous pouvoir justifier devant Dieu, et sans présumer de nulles vertus ne mérites nous nous tenons simplement à l’obéissance de Jésus Christ. » Condamner la présomption en matière de mérite n’est évidemment pas la même chose que condamner le mérite tout court, et pourrait presque passer pour le consacrer indirectement. « Au reste, lit-on un peu plus loin, combien que Dieu pour accomplir notre salut nous régénère, nous reformant à bien faire, toutesfois nous confessons que les bonnes œuvres que nous faisons par la conduite de son Esprit ne viennent point en conte pour nous justifier ou mériter que Dieu nous tienne pour ses enfants. » A. xviii et xxii, ibid., p. 226-227. Ici encore, la formule n’atteint, en réalité, que le mérite au sens pélagien. Car, si nous sommes « reformés à bien faire » par la

grâce, c’est sans nul doute que les œuvres faites dans ces conditions ne sont pas sans valeur. Et s’il est vrai qu’elles « ne viennent pas en conte pour nous justifier », il n’est pas dit qu’elles ne nous sont pas comptées autrement après la justification.

Même des formules qui semblent au premier abord tout à fait absolues présentent des finesses de rédaction qui permettent des échappatoires. C’est ainsi qu’on peut lire dans la Confession hongroise d’Erlanthal (1562) : In electis Christi mérita sunt imputative ex donatione et gratia, non causaliler aut meritorie quasi electi propriis viribus meriti sint, ibid., p. 288. Du pur calvinisme qui s’étale à la surface de ce texte le propriis viribus de la fin nous ramène dans les sentiers catholiques. La preuve en est qu’on lit un peu plus haut dans le même document : Opéra sanctorum… habent prsemium causaliter et meritorie… Habent mercedem, prsemium, respectu Christi, se, suam justitiam, sua mérita electis gratis promittentis et indebitam gratiam donanlis. Merces et prsemium igitur debetur electorum operibus ex promissione Dei…, non ex merito hominum, qui per se nihil merentur cum nihil habeant proprium bonum suis viribus acquisitum, sed omnia ex gratia Dei ante et post juslificationem. Ibid., p. 286. De cette phraséologie compliquée il ressort que la grâce est la source principale et la condition sine qua non de notre mérite ; mais, ceci posé, il reste qu’il y a lieu de reconnaître une valeur méritoire aux œuvres des saints.

Tout de même les Bohémiens (1609) reconnaissent que nos sacrifices seront récompensés : lis constitula esse cerlissima, priecipue in vita œterna, præmia. Ibid., p. 461. Les Irlandais (1615) nous invitent à « renoncer au mérite de toutes nos vertus » comme insuffisant, pour « nous fier uniquement en la miséricorde de Dieu et aux mérites de son Fils bien-aimé ». Ibid., p. 531. Pour y « renoncer » encore faut-il tout d’abord en avoir.

La confession de Westminster (1647) semble plus déterminée : Peccatorum veniam aut vitam œlernam de Deo mereri non valemus, ne optimis quidem operibus nostris. En effet, la vie éternelle dépasse le prix de toutes nos œuvres. Celles-ci d’ailleurs sont déjà dues à Dieu et nous y mêlons des imperfections qui les souillent. Mais on voit déjà que ce texte, en rapprochant la rémission des péchés et la vie éternelle, vise plutôt les œuvres qui précèdent la justification. Quant à celles qui suivent, on ajoute que, malgré leur insuffisance, elles seront récompensées, quod Ma respiciens in F Mo suo Deus… acceptare dignetur et remunerari. C. xvi, 5-6, ibid., p. 575-576.

Il n’est pas une seule de ces formules, si fermes en apparence dans la réprobation du mérite, qui ne recèle des possiblités, sinon des intentions, d’accommodement avec une doctrine assez largement comprise pour que le mérite ne soit plus un obstacle à la grâce. Et ceci correspond bien à la position générale prise par les réformés sur le problème des œuvres, qui tranche avec l’intransigeance des luthériens. Voir Justification, t. viii, col. 2196-2198. Ce qui domine d’ailleurs chez les uns comme chez les autres, c’est un sentiment d’irréductible animosité contre la doctrine catholique, qui les empêche de la voir sous son vrai jour, et leur impose d’autant plus l’obligation de la combattre que la force des choses les amène à s’en rapprocher.

Systématisation théologique de l’orthodoxie.


Tant que la Réfoime eut souci d’opposer sa propre tradition doctrinale à celle de l’Église, -ses meilleurs théologiens dépensèrent leur érudition et leur dialectique à défendre et à justifier les principes dogmatiques émis dès la première heure dans ses confessions, officielles de foi.