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MÉRITE AU CONCILE DE TRENTE : AVANT LA JUSTIFICATION


l’évêque de Yaison eût voulu dire : In nobis per Christum donatur.

Bonne note fut prise de ces diverses remarques, p. 722 : mais l’examen n’en eut lieu qu’à la séance du 2 janvier, p. 753. De la première phrase contestée l’évêque de Bitonto proposa la rédaction qui suit : …Quomimus plene ipsis bonis operibus quæ in Deo simt jacta divinam legem pro humana fragilitate observasse atque ideo vitam a’ternam suo etiam lempore, si tamen in Dei gralia decesserinl, consequendam vere promeruisse eenseantur. La modification la plus saillante était peut-être l’introduction de l’adverbe uere à côté du verbe promeruisse, qui tendait à souligner davantage la réalité du mérite ; elle ne semble pas avoir attiré la moindre observation. Mais le complément pro humana fragilitate déplut à plusieurs. L’évêque de Minori proposa : pro hujus ville statu, en même temps qu’il demandait le retour au verbe satis/ecisse au lieu de observasse. Cette double suggestion fut agréée à la séance du 5, p. 758 ; mais le concile n’accéda pas au désir de l’archevêque d’Armagh, suivi par l’évêque de Bosa, qui souhaitait qu’on revînt à la foi mule du 14 décembre : eo cordis afjectu quem Deus requirit.

A la même séance, le cardinal de Sainte-Croix donna lecture de la seconde phrase du projet, dûment remaniée en ces termes : Quse enim justitia nostra dicitur, quia per cam nobis inhærenlem justificamur, illa eadem Dei est quia a Deo nobis in/unditur per Christi meritum. L’archevêque d’Armagh proposa un texte plus apparenté au projet du 14 décembre : Una est enim justitia, qua per Jesum Christum jormaliter justi efficimur, quæ Dei et nostra dicitur : Dei quidem, quia eam impartiendo juslos nos facil ; nostra vero, quia in nobis est Christi merito nobis donata. Mais cette proposition ne fut pas admise, non plus que celles qui tendaient à introduire après justitia les termes divina misericordia communicata et à doubler le verbe in/unditur du verbe donatur. Il convenait que sur ce point le dernier mot restât au cardinal Cervino, qui avait tant fait pour mettre sur pied ces projets successifs.

Dans 1 intervalle, s’était achevée l’élaboration du canon correspondant, qui passait du n. 30 au n. 32. Le texte qui en fut présenté à la séance du 15 décembre, p. 716, était littéralement celui que nous avons aujourd’hui. Il se distinguait du précédent par le fait que l’ordre des deux propositions dont il se compose était renversé, de manière à obtenir une ordonnance plus logique, et que les divers objets du mérite y étaient exprimés en détail. Quelques Pères émirent l’avis que ces additions étaient superflues, p. 723 ; après vitam œternam, les mots ipsius vitse œlernse consecutionem et glorise augmentum leur semblaient faire double emploi. Ils ne furent pas suivis et le canon fut repris sans le moindre changement à la séance du 9 janvier, p. 778.

Tout était prêt pour la séance de promulgation. Elle eut lieu, avec la pompe liturgique d’usage, le 13 janvier et c’est là que la doctrine catholique du mérite, après ces longs travaux d’approche, allait enfin recevoir, au terme du décret sur la justification, la forme définitive et l’expression solennelle que l’Égiise avait voulu lui donner.

2° Doctrine du décret conciliaire. — Ce qui est sans doute le plus frappant, pour qui a parcouru la suite de ces débats, c’est la simplicité des résultats auxquels ils ont abouti. On s’étonnerait presque qu’il ait fallu tant d’efforts et de tâtonnements pour trouver ces formules dépouillées et limpides que nous lisons maintenant. En tout cas, cette clarté rend facile la tâche du commentateur qui doit dégager la portée doctrinale du décret.

1. Avant la justification. — Bien que le mérite se place proprement après la justification, la logique de la foi catholique devait amener ! e concile à s’expliquer sur les œuvres qui la précèdent. D’une part, en effet, l’Égiise a toujours demandé une préparation humaine à la grâce, tandis qu’elle professe, de l’autre, que celle-ci est le principe nécessaire du mérite. C’est entre ces deux pôles qu’oscille la doctrine conciliaire.

La « nécessité d’une préparation » est affirmée et précisée aux c. v et vi. Denzinger-Bannwart, n. 797798 ; Cavallera, Thésaurus, n. 877-878. Voir Justification, t. viii, col. 2176-2180. Si l’initiative appartient ici nécessairement à l’appel divin, la volonté humaine a le moyen ainsi que le devoir d’y concourir, et les œuvres spirituelles qui en résultent ont le caractère d’une « disposition » au don ultérieur de la grâce : Ut… ad convertendum se ad suam ipsorum justificationem, eidem gratiæ libère assentiendo et cooperando, disponantur, c. v. Un peu plus loin, au cours du même chapitre, il est supposé que, dans ces conditions, l’homme peut movere se ad justitiam. Telle est l’importance de cette « disposition » qu’elle mesure la « justice » qui nous est intérieurement départie, c. vu. Dans les canons correspondants, il est question, en termes encore plus nets, de « se préparer et disposer » ad obtinendam justi ficationis graliam, can. 4, ou encore, can. 9, ad justi ficationis graliam consequendam. Denzinger-Bannwart, n. 814, 819 ; Cavallera, n. 892.

En établissant une aussi stricte corrélation entre la grâce de la justification et les œuvres qui la précèdent, le concile affirme implicitement la valeur de celles-ci. Cependant Je terme de mérite est ici soigneusement évité. Il n’intervient qu’en passant, d’un point de vue négatif et apologétique, pour dire, contre les protestants, que les œuvres faites ante justi ficationem ne sont pas nécessairement des péchés et pourraient seulement odium Dei mereri, can. 7. Denzinger-Bannwart, n. 817 ; Cavallera, n. 892.

Cette valeur de nos actes préparatoires est un fait tellement certain que le concile éprouve le besoin d’en marquer les limites. Déjà le c.v précise, contre les pélagiens, que l’appel divin des adultes se produit nullis eorum existentibus meritis. La question revient un peu plus loin, c. viii, et dans le même sens, quand il s’agit de rappeler, avec saint Paul, la gratuité absolue de notre justification :

… Gratis justificari ideo Nous sommes dits justifiés

dicamur quia nihil eorum gratuitement, parce que rien

quæ justi ficationem præce— deeequi précède la justifica dunt, sive fides, sive opéra, tion, ni la foi, ni les œuvres,

ipsam justi ficationis gra— ne mérite la grâce même de

tiam promeretur. la justification.

Denzinger-Bannwart, n.

801 ; Cavallera, n. 881.

Il n’y a donc pas de mérite proprement dit avant la justification, et le texte applique nommément cette exclusive à toutes les formes de semi-pélagianisme, en l’étendant à la foi non moins qu’aux œuvres : Nihil… sive fides, sive opéra. Mais le verbe promeretur, qui, dans le langage de l’École rappelé encore au cours des débats, voir plus haut, col. 751, répond au mérite strict ou de condigno, est intentionnellement choisi pour marquer discrètement qu’on n’entend pas exclure un mérite de degré inférieur. Par où cet enseignement rejoint celui du c. v, où la valeur dispositive des œuvres est si nettement affirmée.

Ainsi, tout en évitant le terme technique « mérite de congruo », qui soulevait des contestations, le concile en consacre manifestement l’idée. En vain H. Hùckert, op. cit., p. 261, y vcut-il voir l’exclusion absolue de cette doctrine au profit du thomisme pur et simple. Ce ne sont pas seulement les théologiens intéressés à cette thèse d’école, mais les historiens les plus déta-