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MERITE AU CONCILE DE TRENTE : ELARORATION DU DÉCRET

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On verra dans la suite que le nouveau projet fut conçu de manière à faire droit à la plupart de ces menues observât ions.

d) Consultation des théologiens sur la justice imputée et la certitude la grâce. — En attendant, un débat complémentaire allait s’ouvrir dont les résultats importaient davantage encore à la question du mérite. Les précédentes discussions avaient révélé des divisions profondes, chez les Pères du concile, sur la justice imputée et la certitude de la grâce. Pour tirer au clair ces deux points, les légats décidèrent de les soumettre à une consultation spéciale des théologiens, qui en délibérèrent du 15 au 26 octobre.

Deux questions précises leur furent posées, p. 523. La première était relative au problème de la double justice soulevé par Séripando, voir Justification, t. viii, col. 2182-2184. Utrum justificalus qui operatus est opéra bona ex gratia et auxilio divino…, ita ut relinuerit inhserenlem justitiam…, censendus est satisfecisse divinæ justitiæ ad meritum et acquisilionem vitæ œternæ ? Il s’agissait de savoir quelle est la valeur delà justice que l’homme peut acquérir ici-bas au moyen de la grâce et si elle est par elle-même un titre à la gloire, ou s’il faut encore qu’elle soit suppltmentée, au dernier moment, par une nouvelle imputation de la justice du Christ. Où l’on voit que le mérite était appelé à servir de pierre de touche pour apprécier le système dit de la double justice. Il devait aussi venir assez naturellement à propos de la seconde question : Utrum aliquis possit esse cerlus de sua adepla gratia secundum præsentem justitiam ? La première touchait au problème théorique du mérite humain, la seconde à celui de son appréciation pratique.

Sur ces deux points, les théologiens abondèrent en longues dissertations, dont il suffit de dégager ici les principaux traits qui concernent la question présente. La très grosse majorité se prononça contre la double justice et la plupart trouvèrent un argument direct à cette fin dans le fait du mérite, en montrant que la réalité de celui-ci serait compromise par la théorie nouvelle. Ce raisonnement est très nettement présenté par le premier d’entre eux, le mineur "Vincent Lunel : Dicere justificatum hujusmodi anle tribunal Christi ad Dei misericordiam et Christi justitiam rursus confugere oporlere est : opéra ex gratia hujusmodi facta, asl vere non esse meritoria vitæ œternæ, quod catholicorum nemo usque hodie asseruil, p. 524. "Voir de même Lainez, p. 615 : Tollitur rêvera meritum ab operibus bonis in caritate factis.

A cette argumentation on pouvait objecter que les mérites humains procèdent de la grâce, et que la tradition angustinienne appliquait ce titre à la gloire elle-même. De fait, cette doctrine fut souvent rappelée par l’un ou l’autre des consultants ; mais l’intérêt réside moins dans cette réminiscence que dans l’usage qu’ils en firent. Le plus simple était évidemment de dire que la grâce n’empêche pas ici le mérite. C’est ce que rappelle le mineur Clément Thomasinus, p. 565, et l’exemple personnel de saint Paul pouvait être ici invoqué, comme le fait le séculier français Gentian Hervet, p. 586. Le servite Laurent Mazochi a même une très heureuse foi mule pour rattacher nos mérites à ceux du Christ : Cujus meritis noslra omnia infirma opéra sublevantur ad meritum, p. 582, tandis que le dominicain Gaspard Rey (a Ftegibus) rappelle avec raison que par la grâce nous sommes greffes sur le Christ et qu’en nos œuvres coule désormais sa sève divine, p. 596. Ainsi également Lainez, p. 619.

Mais il était plus subtil de demander à cette doctrine même un argument contre la double justice : ce fut la tactique adoptée par le mineur l-’rançois Visdomini. Si la vie éternelle est une grâce, c’est, dit-il, p. 533-534, qu’elle est bien la couronne de nos seuls

mérites, toujours dépendants et imparfaits ; avec une application supplémentaire de la justice du Christ, elle serait une véritable dette..Uterna vila nullis operibus promereri potest nisi gratis detur et illa ; si autem supplenti justitiæ daretur, daretur ex debilo : sed gratis datur, quia… ipse peccala condonal, … ipse donat mérita, .. ipse donat præmia.

De toutes façons, il apparaissait que le mérite comporte un titre réel à la gloire : Grégoire Perfectus pouvait dire avec raison que tout le monde était d’accord là-dessus, p. 580, et Laurent Mazochi que le fait était pour tous une prémisse certaine : supponitur tamquam certum, p. 584. Cependant les tendances étaient différentes quand il s’agissait d’en préciser la valeur. Tandis que quelques-uns, tel le dominicain Barthélémy Miranda, p. 551, se contentaient de dire : vere meremur, d’autres avaient des formules plus accentuées, comme celle-ci du carme Vincent de Léon : Jusliflcatis magno jure debetur vita selerna, p. 528, cf. p. 554. Quelques augustins eux-mêmes adoptaient ce langage, tel Grégoire Perfectus, p. 577, et cela même en tenant compte du pacte divin précédemment rappelé par le mineur Jérôme Lombardelli, p. 555. Non solum ratione pacti, affirmait Grégoire, sed ratione eequivalentis quod Deo damus debentur nobis cœlum, vita beata, Deus^ p. 578.

Aussi la formule de condigno devait-elle naturellement venir au terme de ces prémisses. On la trouve chez le dominicain Jérôme d’Azambuja (ab Oleaslro), p. 546. Il est vrai qu’elle est expressément combattue par le séculier espagnol André Navarra, qui aboutit pour son compte à cet ingénieux concordkme : Et ideo, si placet, loquendum ut plures, sentiendum ut pauci, et dicamus opéra facta ex caritate esse de condigno meritoria gratiæ et glorise ad sensum prsedictum ex divino pacto et ordinatione, p. 557. D’autres, s’inspirant du langage de saint Thomas, ne voulaient admettre qu’un mérite secundum quid : ainsi le servite Laurent Mazochi, p. 583, après le séculier espagnol Antoine Solisio, p. 576, et cette position leur paraissait favoriser la théorie de la double justice à laquelle ils étaient gagnés par ailleurs. Telle est aussi l’argumentation longuement développée par l’augustin Etienne de Sestino, dont la formule suivante résume assez bien la pensée : Principalis causa merilorum justorum est favor, acceptatio et divina complacentia, quoniam nullum meritum hominis justi est tantum vel tam grande bonum quantum est vita œlerna, p. 610. A quoi Lainez répondait d’une manière assez topique, p. 624, qu’il ne s’agit pas de disserter sur la chimère d’un mérite absolu que nous imaginerions, mais sur la réalité du mérite que la révélation divine nous promet.

Ces discussions spéculatives sur la valeur du mérite en soi s’accompagnaient çà et là de considérations sur l’état que chacun peut en faire pour ce qui le concerne personnellement. Les pessimistes ne manquaient pas, même chez les adversaires de la double justice : ils insistaient plutôt sur la défiance et l’humilité qui nous conviennent. Ainsi Jean du Conseil, p. 545546, qui se réclame surtout de saint Augustin. Mais les partisans de la justice imputée se complaisaient naturellement plus encore. à développer ce thème. Grégoire Perfectus évoque le minus habens du festin de Balthazar, p. 580 ; Etienne de Sestino pose cet axiome, au nom de l’expérience : Nullus viator, quantumeumque juslus, pcrlcctionem juslilise in se habuit prout viatoris status exigit, p. 607 ; Aurélius Philipputius renvoie ses contradicteurs à Plicure de la mort : /(’taies expectandi sunt in hora mords, in qua pro cerlo habeo quod non dicent : Quia jejunavi, elcemosynas dedi, satisfeci, etc., ideo du mihi mercedem ; sed spero quod potius clamabunt eum Davide : Miserere me'