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733 MÉRITE, OPPOSITION A LA RÉFORME : ESSAIS DE COMPROMIS

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Adrien VI. Il pose donc en thèse quod non juslificabitur in conspectu Dei omnis vivens, et cela au regard non seulement de la justice absolue, mais tout autant de cette « justice imparfaite » qui seule est accessible à notre faiblesse. Les preuves en sont demandées aux textes pessimistes, si nombreux dans l’Écriture, qui affirment notre misère devant Dieu : par exemple, dans l’Ancien Testament, Ps., xxxi, 2 ; cxlii, 2 ; Job, ix, 2, et surtout Is., lxiv, 6 ; dans leNouveau, Matth., vi, 12 et I Joan., 1, 8. Controvcrsiarum… explicatio, Cologne, 1541, fol. 37 r°. Non pas que nous soyons dénués de tous mérites, mais ils viennent à nos œuvres de la grâce du Christ et non pas d’elles-mêmes : …Non ex ipsis aut ex nobis, sed ex divina gratia ex qua procédant. .. ; ex Christo cujus asperguntur sanguine ; ex ejusdem Dei hominis meritis quæ nobis ut membris ejusdem communicantur, quibus nostra involvuntur atque induuntur opéra. Ibid., fol. 65 r°.

Dans son édition des lettres du cardinal Pôle, le cardinal Quirini assure que les protestants disaient de Pighius : Totus noster est in causa justifîcationis. Episl. Reg. Poli, t. ii, Diatriba ad Epistolas, p. cxxx, et il s’applique à le disculper de tout reproche. Pour ne parler que de la présente question, si Pighius rattache avec raison le mérite à la grâce, il n’en est pas moins certain que celle-ci ne fait en quelque sorte qu’envelopper et revêtir du dehors des œuvres qui restent insuffisantes et, à bien des égards, mauvaises. Le mérite de l’homme, s’il n’est pas supprimé dans ce système, y est du moins réduit au minimum.

Son élève Jean Gropper semble, au premier abord, le mieux affirmer. Pour marquer la part qui revient à Dieu, il s’en tient aux formules traditionnelles de saint Augustin. Quamquam opéra nostra quadamtenus sint causse crescentis istius justificationis, meriti eliam apud Deum, non temporalium modo verum etiam spiritualium bonorum, imo et vitse seternse, hoc tamen non provenire ex propria eorum sufflcientia, quin potius clementia et dignatione Dei, qui ex mera illa quam non promeremur bonilale dona sua coronat in nobis. Antididagma, Cologne, 1544, fol. xii v°. Cf. ibid., fol. xvi v° : Intelligi debent Scripturse testimonia ita nimirum quod Deus bona opéra remuneret vita seterna ex gratuita dignatione suse clementise.

Mais il reste que ces déclarations sont encadrées dans un ensemble aux termes duquel il n’y a de vraie justice que la justice du Christ qui nous est appliquée par imputation, et d’où le mérite de l’homme sort, par conséquent, fort diminué.

3. Contarini et l’Intérim de Ratisbonne.

Étant donnée cette tendance réservée qui caractérise l’école de Cologne, il n’est pas surprenant que, dans les colloques qui se multipliaient alors en vue de l’union, ses adeptes, un peu de diplomatie aidant, aient cru pouvoir chercher un terrain d’accord avec les Églises fidèles à la Réforme dans l’abandon d’un terme toujours odieux à celles-ci et qui ne représentait plus pour eux-mêmes qu’une réalité très amoindrie. C’est ce qui eut lieu à la célèbre conférence de Ratisbonne (janvier-juillet 1541), à laquelle assistait le légat Contarini et dont Gropper fut le principal conseiller théologique.

L’article v de l’Intérim qui en fut le résultat porte précisément sur la justification, et se termine par un paragraphe où il est question de faire croître en nous la grâce par les bonnes œuvres : Del operam [pjpulus] huic augmenlo per bona opéra. A quoi est ajoutée, en termes d’ailleurs entourés de subtiles restrictions, la mention de la récompense qui nous est promise de ce chef : Reddil Deus etiam bonis o péri bus mercedem, non secundum substantiam operum neque secundum quod sunt a nobis, sed quatenus in ftde fiunt et sunt a Spirilu Sancto…, concurrente libero arbitrio tanquam

partiali agenle. Mais le mot de mérite reste exclu de cette formule alambiquée. Texte dans Th. Hergang, Das ReligionsGesprâch zu Regensburg, Cassel, 1858, p. 104-106.

Comme on peut bien le supposer, cette réticence était trop manifeste pour passer inaperçue. Afin de prévenir les malentendus possibles, Contarini s’en expliquait déjà brièvement, le 3 mai, dans une petite note qui accompagnait l’envoi du document officiel. Texte édité par Th. Brieger, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, 1882, t. v, p. 594-595. Néanmoins, dès avant la fin du colloque, des bruits tendancieux étaient mis en circulation et ses auteurs passaient, dans les milieux romains, pour avoir carrément nié le mérite des bonnes œuvres : Romæ murmur auditur et opinio mullum prævalet contra illos doclores, asserentes eos decrevisse opéra post gratiam non esse meriloria. Lettre d’Alexandre Farnèse à Contarini, en date du 15 juin 1541, dans J. Le Plat, Monument, ad hist. conc. Tridentini ampl. collectio, Louvain, 1783, t. iii, p. 122. Voir une semblable allusion dans la lettre de Bembo à Contarini, en date du 27 mai, éditée par L. Beccadelli, Monumenti di varia letteralura, t. i b, Bologne, 1799, p. 169, et dans la réponse de Contarini à Bembo, en date du 28 juin. Fr. Dittrich, Regesten und Briefe des Cardinals G. Gontarini, Inedita, n. 78, p. 341.

A cette rumeur accusatrice Contarini répondit de Ratisbonne, le 22 juin, par une longue et curieuse lettre au cardinal Farnèse, qui rétablit les faits et nous renseigne exactement sur les intentions de l’assemblée. Il commence par démentir la formule négative qu’on leur impute et qui, de fait, ne figure pas dans l’Intérim. Mais il ajoute aussitôt qu’on y a soigneusement évité les termes trop précis qui pouvaient faire question : Verum quidem illud est… vitari istas voces meritum et meritorium. Caute etiam devilatum est ne diceretur opéra nostra esse meritoria oitee alternée.

Il s’agit donc d’une tactique voulue, dont l’auteur s’empresse de donner la raison à son correspondant. On s’est abstenu du terme « mérite » parce qu’il n’est pas employé dans l’École sans d’importantes nuances. Et l’auteur d’en appeler, après Aristote, à saint Thomas, qui n’admet qu’un mérite secundum quid, et à Scot, qui le subordonne à l’acceptation divine. Voir ci-dessus col. 682 et 701. Voilà pourquoi on n’a pas, dit-il, estimé prudent d’jmposer ce terme d’une manière absolue : Quapropler nos considérantes quod, quando aliqua uox dicitur sine omni additione et limilatione, possit accipi in sensu simplici et absoluto, non est nobis visum esse necessarium ut cogeremus protestantes ut explicarent hsec verba de merito. Les ménagements dont on use envers les Grecs au sujet de formules qui leur déplaisent ne seraient-ils pas, ajoutait-il, de mise à l’égard de chrétientés autrement importantes ?

On n’a pas davantage’voulu dire que nos œuvres méritent la vie éternelle. Car celle-ci nous est attribuée par un vouloir tout libéral de Dieu. Dès lors, parler de mérite à cet égard fait croire aux protestants quod velimus asserere deberi nobis oitam propter opéra, quasi prius nobis non fuisset débita propter gratuitam donationem, quodque doceamus opéra posse mereri oitam eliamsi prius nobis ratione doni débita non fuisset. C’est pourquoi ils n’acceptent pas de mérite au sujet de la gloire elle-même, mais bien seulement de son augmentation : Quare illi bonis operibus potius augmentum felicitalis vilx aeternee tribuunt quam ipsammet vitam œlernam. En vertu des mêmes scrupules, nos théologiens s’abstiennent de cette expression : l’assemblée les a imités sur ce point, ne uideamur ingrate dicere quod vita selerna nobis non fueril prius débita ratione doni sed tantum debeatur nostris bonis operibus. D’où l’auteur conclut : Hisce, inquam, causis, rationibus ac exemplis moti, judicavimus non esse necesse