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    1. MÉRITE##


MÉRITE, OPPOSITION A LA RÉFORME : RÉACTION CATHOLIQUE

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acceptatur. Conj. pont., i, 4, dans C. A. Hase, Libri sijmbolici. Leipzig, 18-16, p. i.vii.

Un des auteurs de la Ccnfutatio, Jean Cochlée, nous a laissé, Philipp., m. 10. Leipzig, 1534, le texte de la déclaration formelle qu’il lit dans le même sens devant l’empereur. Sine gratia Dei, ex viribus, meritis aut operibus propriis justificari non possumus… Etenim a meritoriis operibus nostris nusquam secludimus fulem, nusqaam graliam Dei. Assertion qu’il appuie sur quelques citations topiques prises dans l'Écriture, dans saint Augustin et dans la liturgie. Sur quoi il continue avec fermeté : Injuste igitur calumniantur catholicos… lutherani quasi ex propriis viribus aut meritis absque gratia Dei aliquid facere velint aut præsumant qucd vitam promereatur aiernam. Son ista dicunt catholici, sed pelagiani. Voici, au contraire, quel est l’enseignement catholique : Gratia Dei prævenit voluntatem, movet voluntatem, perficit voluntatem, ita ut opéra quæ alioqui nulla essent, assistente Dei gratia, aliquid sint et meritoria fiant.

Qu’il suffise de citer encore, à l’appui de cette évidence, Jean Eck, Loci communes, Cologne, 1532, v, 2 : Opéra aliquid esse, id est meritoria vitse œlernæ ex divina pr&ordinatione et gratia Dei acceptante… Adverte hic opéra ex suo génère bona esse Deo grala œlernseque vitse meritoria id accipiendum esse de operibus vivis, hoc est quæ procedunt ex vitse spirilualis principio quod est gratia et charitas. Voir de même Conrad Wimpina, Anacephala’osis, ii, 9, fol. 87 a : Ipsa mérita nequaquam ex nobis sed ex Deo existunt, Esaïa perhibente (xxvi, 12) : Omnia opéra bona in nobis tu operatus es, Domine. C’est avec la plus entière raison qu’un controversiste contemporain, Jacob Hochstrate, Aliquot disput. cont. Luther., i, 5, 1, Cologne, 1526, fol. 62, pouvait rendre témoignage que « tous les théologiens sont unanimes, tous proclament d’une seule voix que la vertu méritoire des œuvres a sa source dans la passion du Christ ».

2. Affirmation du mérite : Témoignages privés. — Mais avec la même énergie nos théologiens affirment la réalité du mérite dont précisément la grâce est le fondement.

Omnino sacris lilteris adversatur negare meritoria opéra nostra, déclare la Confutatio pontificia, i, 4, dans Hase, op. cit., p. lvii. Et les auteurs de le prouver en citant quelques textes bien choisis, qu’accompagne ce principe d’interprétation : Ubi enim est merces, ibi meritum. Le contraire leur paraît du manichéisme. Mais il faut bien entendre que le mérite de nos œuvres leur vient de la grâce de Dieu et non pas d’ellesmêmes : Atlamen omnes catholici falentur opéra nostra ex se nullius esse meriti ; sed gratia Dei facit illa digna esse vila œlerna. Ibid., p. lviii.

La même nuance se retrouve dans la réponse de Jean Cochlée, Phil., iii, 10 : Non sane ex virtute propria [meritoria fiant opéra], sed per gratiam et misericordiam Dei promiitentis et per meritum passionis Christi, mediatoris et advocali nostri. Voir de même les exposés populaires de Jean Dietemberger, Der Bauer. Obe die Christen mùgen durch iere gùten werck das hymelrecich verdienen, 1523, et surtout de Berthold Firstinger, évêque de Chiemsee, Tewlsche Theologeij, lxxjx, édition Heilhmeier, Munich, 1852, p. 549-554, qui, après avoir exposé le fait du mérite et ses conditions, ne manque pas d’ajouter, ibid., 7, p. 553 : « Par-dessus tout il faut bien penser et retenir qu’aucun homme ne peut mériter, pour lui-même ou pour les autres, si ce n’est par le moyen des mérites du Christ. >) Cf. J. Hochstraten, Epitome de fide et operibus, c. 10, Cologne, 1525, fol. d. 1, qui s’approprie largement les textes classiques de saint Augustin où le don de la vie éternelle est ramené à la grâce.

Quoiqu’il ne faille pas exagérer la valeur propre à

l'œuvre humaine jusqu'à la rendre indépendante de Dieu, il reste néanmoins qu’elle est une réalité, et qui devient, l’action divine étant toujours supposée, une véritable source de mérite. Cum optirnus creator noster, explique Wimpina, op. cit., fol. 87 a, ita nos prædestinaverit qui debeamus ex fide per dilectionem operari ac per hoc vitam œternam assequi, permittit pientissimus ille ut ipsius dona sint nostra mérita, ejus quod ctiam bona opéra… nostra supputentur. Et si la part de l’homme peut sembler ici un peu mince, elle s’affirme plus nettement un peu plus loin, ibid., fol. 91 a, quand l’auteur précise la voie moyenne du catholique entre les deux hérésies pélagienne et prédestinatienne : Tu média via tutissimus ibis, nil tibi absque Deo arrogando… sed neque lamen opéra bona inlermitlendo…, cerlo certius habens quia facienti quod ex Deo gratuito movente in se est merendi vis suppediletur, qua vitam œternam ex miserentis Dei gratia tandem assequatur. Rien donc ne permet d’oublier la grâce ; mais, dans l'économie du surnaturel selon l'Église, c’est la grâce elle-même qui nous fournit le moyen de mériter.

3. Affirmation du mérite : Témoignages officiels. — Aussi les gardiens de la pensée catholique s’attachaient-ils, avec une rigueur qui est un signe des temps, à ne pas laisser s’introduire la moindre équivoque à ce sujet.

En commentant le cas du jeune homme riche, qui vient consulter le Seigneur sur le moyen d’aboutir à la vie éternelle, Matth., xix, 16-17, Érasme avait incidemment glissé cette remarque : Atqui nullus mortalium absolute bonus est, nec ullum est opus hominis quod ita bonum sit ut mereatur prsemium œternæ vitæ. In Evang. Matthœi paraphrasis, c. xix, Bâle, 1522, p. 129. L’Université de Paris trouva dangereuse cette assertion quillet 1526), au point de lui infliger la censure suivante : Quamvis vita œterna suapte natura tantum sit bonum ut absque divina gratia non possit quis illam mereri, asserere tamen hominem cum divina gratia illam non posse promereri est hæreticum et sanctis scripturis contrarium. Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, t. ii, col., 64.

Cette collaboration de Dieu et de l’homme est exprimée en termes très heureux dans ï'Inslructio publiée contre Mélanchthon par la même Université de Paris (1535). Après avoir rappelé que la grâce et la liberté sont les deux principes conjoints de toute notre activité surnaturelle, les auteurs en tirent la conclusion suivante au sujet du mérite : Sic quoque nostra mérita Dei dicuntur ut primarii auctoris, cui debetur primatus meritorum et principalis actio. Nostra itidem dicuntur mérita ; cooperalores enim Dei sumus qui adjuvat imbecillitatem noslram et mercedem quisque accipiet secundum suum laborem. Il faut assurément tenir compte que cette valeur de nos œuvres par rapport à la céleste récompense suppose une libre et toute gracieuse promesse de Dieu, mais toujours à condition que notre liberté lui apporte son concours : Firmiter tenendum est dignitatem operum meriloriorum non ex fide solum quam in Christum habemus procedere, sed etiam ex gratuita Christi promissione et convenlione ejusdem, modo non sit otiosum liberum arbilrium, verum etiam ejusmodi bona opéra efficiat ex charitale. Instr. in artic. Melanchthonianos, 10-11, dans Duplessis d’Argentré, t. i a, col. 399-400.

Ainsi la pensée catholique est assez souple pour embrasser tout à la fois la grâce et le mérite, sans compromettre ni l’une ni l’autre. Ces principes étaient acquis depuis longtemps : les premiers adversaires de la Réforme n’eurent qu'à reprendre le bien commun de la foi et de la piété traditionnelles. En effet, comme veut bien le concéder A. Hitschl, Die christliche Lehre von der Rechtfertigung und Versohnung, Tubingue,