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MÉRITE, OPPOSITION A LA RÉFORME : RÉAGTION ÇATHOLIQ1 E


Mais n’est-ce pas le ramener indirectement que d’affirmer que ces bonnes œuvres, qui, par hypothèse, ne « méritent » rien, nous obtiennent néanmoins une récompense, et cela parce qu’elles sont agréables à Dieu ? On pourrait, à la rigueur, imaginer la récompense comme un acte divin purement arbitraire ; mais comment en dire autant de la complaisance qui la précède et la justifie ? On ne peut pas reculer devant la conclusion qu’il y a, dans nos œuvres, quelque chose qui vient de nous et qui constitue pour une part leur valeur. Le nominalisme théologique de Calvin, pour aiguë que soit son opposition au mérite, n’arrive, en réalité, qu'à supprimer un mot dont, bon gré, mal gré, il conserve implicitement la substance.

II en va de -même de son pessimisme anthropologique. A l’homme il ne veut attribuer qu’une part, celle de gâter l'œuvre. divine : Tantum hoc homini assif/namus quod ea ipsa quæ bona erant sua impuritale polluit et contaminai. Nihil enim ab homine exit, quanlunwis per/eclo, quod non sit aliqua macula inquinalum. En soi, nos bonnes œuvres ne peuvent donc qu’irriter la colère de Dieu, au lieu d’attirer sa bienveillance ; mais, à côté de la justice, il faut, ici encore, faire place à la miséricorde : Porro Scripturæ doctrina est aspersa esse perpeluo sordib’us multis bona noslra opéra, quibus merilo Deus ofjendatur ac nobis succenseat… ; quia tamen illa pro sua indulgenlia non jure summo examinât, perinde accipere ac si bona essent ideoque, licet immerita, inflnilis beneflciis remunerari, tum præsenlis vilse, tum etiam futuræ. Ibid., 51-52, col. 771-772. Cꝟ. 70, col. 786.

Encore estil que Dieu ne pourrait user de cette « indulgence » si nos œuvres étaient entièrement mauvaises. Le fait qu’en laissant de côté son « droit strict » il peut les voir d’un œil favorable prouve qu’elles ont quelque chose de bon et qui en fait un titre, précaire sans doute mais non pas absolument nul, à ses récompenses dans cette vie et dans l’autre.

Si elles dépassent, en apparence, la pensée de Calvin, ces déductions ne font pas autre chose que dégager la portée dernière de ses principes. La preuve en est qu’il écrit lui-même par manière de conclusion : Quidquid ergo nunc in salutis adminiculum piis confertur, tum ipsa beatitudo, mera est Dei beneficentia. Tamen et in hac et illis testatur se operum habere rationem. Ibid., 52, col. 772. Ainsi donc la grâce et la gloire sont des actes de « pure libéralité » ; mais, pour l’une aussi bien que pour l’autre, Dieu y veut « tenir compte de nos œuvres ». C’est donc que la ratio operum ne s’oppose pas essentiellement à la mera beneficentia, et n’est-ce pas ainsi que la théologie catholique entend le concept de mérite ?

Au nom de ces prémisses, Calvin entreprend ensuite une longue réfutation des arguments que les catholiques opposent à la thèse protestante. On y retrouve, à maintes reprises, la trace de la même incurable ambiguité. Il réclame avec énergie les bonnes œuvres : Non enim aut fldem somniamus bonis operibus vacuam aul justificationem quæ sine iis constat. 57, col. 776. Il est vrai que l'Écriture les recommande citra meriti mentionem, 59, col. 777 ; mais n’est-ce pas que, dans ces conditions, le mérite va de soi, sans avoir besoin d'être spécialement mentionné? En effet, il faut reconnaître que l'Évangile change les conditions spirituelles de l’humanité : Non efficiunt modo [promissiones evangelicœ] ut ipsi Deo accepti simus, sed ut operibus quoque nostris sit sua gratia… Opéra (Deus], non œstimata eorum dignitate, paterna benignilate atque indulgenlia hune honoris attollit ut alicujus prêta habeat. 63, col. 781. Ce « piix » est tel qu’elles ont la vie éternelle pour récompense. Ordinem consequenliæ, note subtilement Calvin, magis quam causam indicat . ista loquulio. Mais la « conséquence » est nécessaire

et réglée par Dieu : In ejus [oitœ] possessionem ipsos deducil per bonorum operum stadium ut quo destinavit ordine suum in illis opus impleat. 11, col. 792-793. Comment comprendre un « ordre » providentiel dont la vie éternelle est le terme et l'œuvre humaine le moyen si celle-ci ne comporte un mérite à l'égard de celle-là?

Ainsi les positions de Calvin, comme aussi celles de Zwingle, se trouvent rejoindre celles de Mélanchthon, et toutes ensemble ont pour commun caractère de réagir sur l’intransigenance systématique du protestantisme initial. Il s’agit pour tous de rétablir la doctrine des œuvres et le fait d’en requérir la nécessité les amène forcément à leur concéder quelque valeur.

En somme, les réformateurs ne sont restés irréductibles que sur la préparation à la grâce, d’où toute part de l’homme, à plus forte raison tout mérite de congruo, est exclu au profit de la justification par la seule fois Quand ils en viennent au chrétien déjà justifié, ils continuent, d’ordinaire, à repousser le terme de mérite — et encore Mélanchthon ne craint-il pas de l’accepter — mais, sous cette forme ou sous une autre, ils aboutissent à conserver la chose. Leurs critiques s’adressent au mythe, dont leur imagination polémique est obsédée, d’un mérite qui créerait à l’homme un droit indépendant de Dieu, alors que, malgré le pessimisme profond de leur théologie, ils ne peuvent échapper à l'évidence d’une valeur morale dont la grâce devient le principe. Pour fuir l’antinomisme, c’est vers le catho icisme que, sans le vouloir ni peut-être le croire, ils se trouvent finalement ramenés.

Néanmoins cette convergence de fond, outre qu’elle restait tout à la fois très incomplète et très peu logique, n’allait pas sans de très graves divergences de surface, qui s’exaspéraient sous la violence des polémiques et pouvaient légitimement faire croire à une opposition de principe au mérite tout court. Les extrémistes ne manquaient d’ailleurs pas qui entendaient maintenir le luthéranisme primitif dans toute sa pureté. C’est pourquoi, dans la solennelle exposition de sa Joi que l'Église allait dresser à rencontre des erreurs ou des équivoques protestantes, le mérite devait obtenir et obtint en réalité sa part.

IL Opposition catholique a la Réforme. — Cependant la théologie catholique n’avait pas attendu le concile pour prendre position à l'égard du protestantisme. Entre l’explosion de la Réforme et l’ouverture de l’assemblée, toute une génération de controversistes s'était élevée contre les novateurs. Leur doctrine a le double intérêt de marquer une fois de plus l’attitude des diverses écoles sur la question du mérite, qui passait alors au grand jour de la controverse, et d'éclairer le milieu immédiat dans lequel le concile allait se tenir.

1° Réaction doctrinale. — Il était normal que le premier mouvement des défenseurs de l'Église fût de mettre en lumière la doctrine catholique traditionnelle, rejetée si violemment et, à cette fin, si gravement calomniée par les prétendus réformateurs. Von là-dessus le dossier réuni par H. Làmmer, Die vortridentinisch-katholische Théologie, Berlin, 1858, p. 161169.

1. Affirmation de la grâce.

Du moment que l'Église était accusée de pélagianisme, il fallait tout d’abord mettre in tuto la nécessité de la grâce à la base du mérite humain.

C’est ce qu’affirme nettement la Con/utatio pontificia (1530), officiellement opposée par les théologiens catholiques à la Confession d’Augsbourg. Quod… pelagiani damnantur, qui arbitrati sunt hominem propriis viribus, seclusa gratia Dei, posse mereri vitam œlernam tanquam catholicum et antiquis conciliis consentaneum