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MÉRITE, ÉGLISES RÉFORMÉES : CALVIN


qu’avec plus de fidélité : Fontem ergo efjodimus ex quo bona opéra profluant quuni fidem docemus. Avec saint.Jacques, il repousse donc comme une foi morte celle qui ne s’exprime pas en œuvres et, avec saint Paul, il réclame « la foi qui opère par la charité ». Fidei christianæ expositio, t. iv, p. 62-64.

Étrange construction, dans l’ensemble, où l’obligation pratique des œuvres coïncide avec la négation théorique de leur valeur, où l’on voit des prémisses déterministes s’épanouir en conclusions morales, et qui montre combien fortes devaient être chez l’auteur les exigences de l’esprit clirétien pour s’introduire, en dépit de la logique, dans le système le moins fait, en apparence, pour les autoriser et certainement le moins capablt de les maintenir.

2. Doctrine de Caluin.

Plus importante à tous égards par son ampleur et son rayonnement est l’œuvre doctrinale de Calvin, dont VInslitutio religionis christianæ, publiée en 1536, recevait dès 1539 des remaniements qui la rapprochent de l’état définitif sous lequel elle n’a plus cessé d’alimenter la théologie du protestantisme français. On y trouve un long chapitre De juslificatione fidei et meritis operum, c. x dans l’édition de 1539 et les suivantes (= c. vi dans l’édition de 153C), Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. i, col. 737-802, qui définit bien les positions assez complexes de l’auteur.

a) Pre’misses dogmatiques. — On trouve naturellement chez Calvin, dans toute sa rigueur, la dogmatique protestante de la justification. Justificari operibus ea ratione dicetur in eufus vita reperietur ea puritas ac sanctitas quæ testimonium justilise apud Dei thronum mereatur. 2, col. 737-738. A cette conception l’auteur oppose celle de la justification par la foi seule, qui est essentiellement exclusive de nos mérites : Citra operum meritum, imo extra operum meritum justificari qui fide justificantur. 9, col. 741.

La confiance dans les œuvres, en effet, est également contraire à la gloire de Dieu et à la paix des âmes. 23-25, col. 751-754. Elle est surtout une profonde illusion ; car toutes les œuvres qui précèdent la justification sont mortes comme l’âme qui les produit : Hinc facile cernimus esse maledictum, nec modo nullius ad justitiam pretii sed certi in damnationem merili, quidquid cogitât, meditatur, perficit homo antequam Deo per fidem justificetur. 30, col. 757. Il n’y a donc pour nous de « mérite » — et c’est évidemment à dessein que ce mot est choisi — qu’en vue de la damnation.

Celles qui suivent la justification sont aussi toujours impures à quelque égard : Primum dico quod optimum ab illis [justis] proferri potest aliqua tamen semper carnis impurilale respersum et corruptum esse… Xullum unquam exstitisse pii hominis opus, quod, si severo Dei judicio examinaretur, non esset damnabile. 37-38, col. 761-762. Cꝟ. 43, col. 765 : Fiducia qualibet nos passim depellunt scripturæ quum docent juslitias omnes nostras fœtere in Dei conspectu nisi a Christi innocentia bonum odorem ducant, nihil quam irritare Dei ullionem posse nisi misericordise ejus indulgentia suslineantur.

A l’appui de ce pessimisme, Calvin est heureux de citer l’autorité de saint Augustin, Enarr. in ps. cxxxvii, 18, P. L., t. xxxvii, col. 1783-1784, où il trouve résumées les deux causes essentielles qui nous forcent à nous défier de nos œuvres, savoir la pensée de la grâce qui en est le principe et des péchés que nous y ajoutons. Duas causas ponit cur non ausit sua opéra Deo venditaie : quia, si quid bonorum operum habet, illic nihil videt suum ; deinde quia id quoque peccatorum multitudine obruitur. 47, col. 768.

Il est notoire cependant que, d’après l’Écriture, Dieu tient compte aux fidèles de leurs œuvres pour leur

faire du bien. Sur quoi Calvin d’expliquer aussitôt qu’il s’agit là seulement de « causes inférieures » subordonnées à la miséricorde de Dieu. Nihil obstai quominus opéra Dominus tanquam causas in/eriores compleclatur… : nempe quos sua misericordia œlernæ vitæ hereditati destinavit eos ordinaria sua dispensatione per bona opéra inducit in ejus possessionem. De ce chef, l’antécédent reçoit le nom de cause : Quod in ordine dispensationis prsecedit posterioris causam nominat. Et c’est ainsi qu’une grâce est gradus ad sequentem, jusqu’à la vie éternelle qui est le terme de la série : Mac ratione ab operibus inlerdum vitam ictcrnam deducit. Rien donc ne s’oppose à reconnaître que les œuvres soient alicujus apud Deum pretii, pourvu que Dieu soit, en définitive, l’auteur initial de notre justification. Ibid., 48-49, col. 768-769.

N’est-il pas difficile d’accorder ce « prix » des œuvres, si minime puisse-t-il être, avec ce que l’on a vu plus haut de leur radicale vanité ? Calvin n’en a pas moins associé les deux ; chez lui également, les principes luthériens, si âprement posés dans la polémique, ne vont pas, en réalité, sans de sérieux adoucissements à la manière de Mélanchthon.

b) Application au mérite. — Ces principes commandent la doctrine spéciale du mérite que l’auteur en déduit aussitôt.

Bien qu’il soit courant chez les Pères : Usi sunt, faleor, passim vetusti Ecclesise scriptores, ce mot lui paraît aussi malheureux que possible. Quicumque primus illud operibus humanis ad Dei judicium comparatis aptavit, eum fidei sinceritati pessime consuluisse. Il appartient à cette catégorie d’expressions non scripturaires qui font toujours plus de mal que de bien. Quorsum enim, obsecro, opus fuit invehi nomen meriti, cum pretium bonorum operum alio nomine citra offendiculum explicari posset ? Ibid., 50, col. 769. Calvin ne fait malheureusement pas connaître cet « autre terme », à son sens plus approprié ; mais on voit qu’il tient, ici encore, à sauvegarder « le prix des bonnes œuvres ». Les éléments d’appréciation qu’il propose de retenir à cette fin se meuvent, bien entendu, dans les cadres de la Réforme et semblent tout d’abord mieux faits pour exclure ce « prix » que pour l’affirmer. Lhi fil léger le rattache néanmoins, en fin de compte, à la double considération de Dieu et de l’homme.

Devant Dieu, nous n’avons proprement aucun mérite. L’Évangile, en effet, nous ordonne de nous regarder comme « des serviteurs inutiles s, et la raison en est double. C’est d’abord que tout ce que nous pouvons faire de bien est déjà dû : Quia nihil graluitum impenderimus Domino, sed debitis obscquiis tantum defuncti simus quibus non est habenda gratia. En second lieu, ce bien lui-même est un produit de la grâce : Graliam Dei esse non dubium est quidquid in operibus est quod laudem meretur, nullam esse guttam quam proprie nobis adscribere debeamus. Il n’y pas à nous en attribuer la moindre part ; c’est tout entier qu’il faut le rapporter à Dieu : Bonorum, inquam, operum laudem non, ut sophislæ faciunt, inter Deum et hominem partimur, sed totam integram ac illibalam Domino seruamus. Mais il plaît à Dieu d’appeler nôtre ce qui est à lui, et c’est ainsi qu’il récompense nos bonnes œuvres : Dominus tamen quæ in nos contai it bona opéra et nostra appellat, et non tantum accepta sibi esse testatur sed remunerationem etiam habitura… Placent ilaque Deo bona opéra… ; quin magis amplissima Dei bénéficia remunerationis loco referunt, non quia ita merentur, sed quia dii’ina bonilas hoc illis ex se ipsa pretium statu.it…, quee nihil tale merentia opéra indebitis prsemiis munrratur. Ibid., 51, col. 770-771.

Et l’on voit assurément, dans ces formules énergiques, la plus ferme intention d’exterminer le mérite en tant qu’il serait un titre personnel au chrétien.