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MÉRITE, ÉGLISES RÉFORMÉES : ZWINGLE


conlingit, col. 542. La première édition du Commentaire, Wittemberg, 1532, qui n’est pas passée dans le Corpus reformalorum, donne à la même idée cette très heureuse formule, fol. 2, viii v : Ut si quis dicat filium familias non mereri o/Jiciis suis ut sit filius, sed, cum natus sit filius, postea merentur officia ipsius alia prœmiu.

Aq total, il est certain que Mélanchthon n’a jamais entièrement rompu avec le préjugé fondamental de la Réforme. Ce qui le choque chez les papistes, c’est la part qu’ils font aux œuvres humaines dans l’économie du salut au détriment de la foi : Fidem exténuant et vitupérant, et tantum docent homines per opéra et mérita cum Deo agere. Apologia, iv, 60, Millier, p. 97. A l’encontre de ce mythe que la passion de la controverse impose obstinément à son esprit prévenu, il se croit obligé de défendre les droits de Dieu et de sa grâce ; mais, sur cette base, il n’en arrive pas moins à reconnaître que les œuvres du chrétien justifié ont leur prix devant Dieu. N’est-ce pas, en somme, l’essentiel de la foi catholique ? En regard de cet accord fondamental, les différences accusées par les préventions de la polémique pèsent d’un mince poids.

Sans méconnaître la distance qui la sépare de l’Église, il est visible que la pensée réfléchie de Mélanchthon est encore plus éloignée du luthéranisme primitif. Elle témoigne d’une notable évolution dans les conceptions religieuses de la Réforme, et l’histoire doit bien constater que c’est dans le sens des positions du catholicisme tant décrié qu’elle se produisait.

3° Églises réformées. — A côté des grands initiateurs de la Réforme allemande, les réformateurs suisses et français ne sont guère que des satellites, et les symboles officiels de leurs Églises ont, pour la plupart, une origine plus tardive. Il n’en faut pas moins recueillir leur témoignage, qui, dans le concert commun, ne laisse pas de faire entendre çà et là sa note spéciale. On admet assez communément parmi les protestants, voir Justification, t. viii, col. 2153 2154, que la doctrine des œuvres tient plus de place dans les Églises réformées que dans l’Église luthérienne : celle du mérite ne pouvait qu’en ressentir le contre-coup.

1. Doctrine de Zwingle. — Au colloque de Marbourg (septembre 1529), Mélanchthon eut l’impression que Zwingle et les siens « n’affirmaient pas suffisamment la doctrine de la foi et parlaient comme si c’étaient les œuvres qui fussent la justice ». Epist., iv, n 637, Corp. reform., t. i, col. 1909. Impression excessive sans doute, mais qui nous assure que nous sommes, ici encore, en présence d’un protestantisme où la morale garde ses droits.

De fait, Zwingle professe que l’avènement du Christ a pour but de nous inciter à la pratique du bien : Hœc enim duo Christus ubique inculcat, videlicel redemplionem per se et quod qui per eum redempti sunt jam ad ejus exemplum vivere debeant. De vera et (alsa religione (1525), dans Opéra, édit. Schuler et Schulthess, Zurich, 1832, t. iii, p. 324. Cf. ibid., p. 209 : Ejus justitia nostra justifia est, si modo non secundum carnem ambulaverimus sed secundum spiritum. Cependant il refuse d’admettre que ces œuvres aient aucun mérite. Son Antibolon contre Emser (1524) contient précisément un petit dossier de textes scripturaires à l’appui de la thèse négative, terminé par cette conclusion péremptoire : Luce clarius videmus nos sola gratia Dei, non nostris merilis felicitale donari. Il ne peut nier pourtant qu’il ne se trouve dans l’Écriture mulli loci quibus merilum adseri videatur. Mais il faut, assure-t-il, entendre ces passages comme des manières de parler, en ce sens que la bonté divine attribue à nos œuvres ce qui n’appartient qu’à sa giâce, à moins qu’il ne s’agisse d’une accommodation à la faiblesse des simples. Ibid., t. iii,

p, 139-141. Ce qui est une façon de tourner des textes clairs au nom d’un système préconçu.

En réalité, l’opposition de Zwingle à la doctrine du mérite tient à une cause plus profonde, savoir sa théodicée, qui supprime la cause seconde au profit de la Cause première. Voir Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 368. L’auteur laisse entrevoir sa pensée dans son commentaire critique sur le canon de la messe, paru 1 année précédente (1523), où il insère, à propos du texte : quorum meritis precibusque concédas, une petite dissertation contre le mérite des saints et finalement contre le mérite tout court. On y retrouve le pessimisme foncier de la Réforme : Qua igitur via beatitudinem merebimur, cum merilum nosirum nihil sit ? Qui enim fiet ut qui mortuus est aliquid vita dignum agat ? Nous ne sommes sauvés que par le Christ, dont le mérite est una solaque nostrse salutis causa, à tel point qu’il serait sacrilège de vouloir y ajouter les nôtres : Quid attinel de merilo nostro commentari, cum solus Christus sit qui nobis felicilalem mereatur ?… Sine ergo Christi contumelia fieri nequit ut cujusquam meritis fidamus ; nam quantumeumque creaturæ tribuerimus lantum Christo auferemus. Mais à cette dogmatique, qui fait apparaître le mérite humain comme uneimpiété, s’ajoute une philosophie qui le rend impossible : Nobis ipsis nihil tribuamus ; Deus enim est qui operatur in nobis et relie et perficere : ipsius enim sumus opus, ipsius organa… Quid igitur ad nos transcribimus, cum neque consilium neque opus ipsum a nobis proficiscatur ? De canone missæ epichresis, ibid., t. iii, p. 96-99.

Le déterminisme sous-jacent à ces formules éclate dans le De vera et falsa religione déjà cité. Providentia ergo Dei simul lolluntur et liberum arbitrium et merilum. Nam, illo omnia disponente, quæ sunt partes nostræ ut quicquam ex nobis ipsis fieri possimus arbilrari ? Cum autem omnia ipsius opéra fiant, quomodo nos quicquam merebimui ? Ibid., t. iii, p. 283. Pour expliquer les textes contraires — et il reconnaît que ce sont les plus nombreux : Nemo inficiatur in sacris litleris ferme plura esse quæ operibus nostris tribuant merilum quam quæ negent — — Zwingle reprend et pousse à bout sa théorie de l’accommodation. Les « prophètes » ont ainsi parlé in usum eorum qui providentiam non clare agnoscebant. Du moment qu’il y a des hommes assez épais pour ne compter que sur leurs œuvres, Dieu leur tient un langage approprié à leur faiblesse, pour obtenir d’eux par ce moyen les vertus que les autres pratiquent spontanément : Quorum imbecillitate aut polius per fldia Deus abutitur et præmii spe ad bona opéra invitât. Les prédicateurs chrétiens peuvent et doivent imiter sa conduite sur ce point, en s’efforçant d’inculquer à leurs auditeurs la foi qui sauve et stimulant par l’attrait de la récompense ceux qui resteraient sourds à cet appel. Ibid., p. 284-285.

Mais que penser des œuvres saintes dont la foi est le principe ? Ardua quæstio est, dit ailleurs Zwingle, an illa mereantur. Il se rallie, pour son compte, à la réponse négative, au nom du dogme de la rédemption : Nam si merentur opéra nostra beatitudinem, jam non fuisset Christi morte opus. Les textes où la vie éternelle est donnée comme une récompense sont dits humano more pour couvrir d’un voile délicat la réalité du don divin. Quæ ipse (Deus] per nos facit nobis tribuit ac velut nostra remuneratur, quum illius sit non tantum qtiicquid operemur sed etiam quicquid sumus ac vivimus… Constat ergo aut præmii nomen quidem haberi in divinis litteris, sed loco liberalis doni. Loin d’ailleurs de s’opposer aux bonnes œuvres, la foi en la gratuité du salut doit, au contraire, les exciter. Nous sommes comme le fils de famille, qui sait avoir droit à l’héritage paternel par le fait, non de ses mérites, mais de sa naissance, et n’en sert son père