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01 MÉRITE, ÉGLISE LUTHÉRIENNE : AMENDEMENTS DE MÉLANCHTIION 722

nos mérites. Mais il continue en notant que l’Écriture, quand elle parle de « justice », vult complecti justitiam cordis cum frnrlibus. Ces « fruits » eux-mêmes supposent la justification ; mais à cette condition ils sont agréables à Dieu. Nec legem prius facimus aut facere possumus quam réconciliait Deo, justificati et renati sumus. Nec illa legis impletio placerel Deo nisi propter fidem essemus accepti. El quia homines propter {idem sunt accepti, ideo illa inchoata legis impletio placet et habet mercedem in hac vita et post hanc vitam. Ibid., 244-247, p. 148. Il n’y aurait presque rien à changer dans ces lignes pour que la théologie catholique pût s’y reconnaître.

A n’en pas douter, elle accepterait tout autant ce qui suit pour rappeler que nos mérites ne sont pas indépendants du Christ. Quoties autem fil menlio legis et operum, sciendum est quod non sit excludendus Christus mediator… Quare, quum operibus redditur vita œterna, redditur justificalis, quia neque bene operari possunt homines nisi justificati qui aguntur Spiritu Christi nec sine mediatore Christo et fide placent bona opéra. Ibid., 251, p. 149. On notera néanmoins que le nominalisme aigu et le pessimisme congénital que suppose le dogme de la justification par la seule foi et celui de la justice imputée qui en est la suite, amènent toujours l’auteur à considérer les mérites du Christ comme étant et restant extérieurs à nous, lia Christi mérita nobis donantur ut jusli repulemur fiducia meritorum Christi, quum in eum credimus, tanquam propria mérita haberemus. xxi, 19, p. 226.

Cet extrinsécisme était-il bien conciliable avec ce que Mélanchthon affirmait tout à l’heure de la valeur de nos œuvres devant Dieu : fide placent bona opéra, et des récompenses qu’elles nous obtiennent ? Toujours est-il qu’il affirme les deux avec une égale force, fidèle sur le premier point au dogme capital de la Réforme, mais, sur le second, tributaire bon gré mal gré de la tradition catholique. Et c’est ainsi que VApologia nous offre le paradoxe d’une pensée qui repousse avec indignation la doctrine du mérite, alors qu’elle en conserve, au total, à peu près toute la réalité.

3. Écrits postérieurs de Mélanchthon.

Il ne paraît guère que Luther ait été sensible à ces nuances : après comme avant la Confession d’Augsbourg, il continue à s’élever sans réserves contre la notion de mérite. Voir col. 71^. Les articles de Smalcalde rédigés par lui (1537) affirment plus que jamais la justification par la foi seule, ii, 1, dans Mùller, p. 300. Cf. iii, 13, p. 325 : Quare gloriari ob mérita et opéra non possumus quum absque gralia et misericordia adspiciuntur.

Mélanchthon, au contraire, toujours plus modéré dans ses doctrines et plus circonspect dans ses expressions, allait de plus en plus accentuer la note spéciale de VApologia. Dès 1535, il publiait une nouvelle édition notablement remaniée des I.oci communes, où il expose d’une manière précise son sentiment sur les bonnes œuvres et leur mérite : Etsi remissio peccatorum jusli ficatio personæ et promissio vitæ œternæ donalio est…, tamen opéra in reconcilialis jam habent aliquam dignitatem et sunt meritoria.

Cette « dignité » est à base personnelle plutôt que réelle : Dignilas est quod placent Deo, non quidem propter propriam perfectionem, sed quia persona est in Christo. Oporlet enim prmcedere reconcilialionem ut prius effiiiamur filii et consequamur jus aliquod, ut ila dicam, car postea placeanl opéra. Malgré la légère nuance de réserve qui l’accompagne, ce jus aliquod n’est-il pas de tout point remarquable sous la plume d’un disciple de Luther ? Les « mérites » qui en découlent ne sont, ici encore, que des præmia corporalia et spirilualia hic et in fuluro. Mais le principe reste posé

du prix de nos œuvres avec toutes ses conséquences normales : Poslquam igitur reconciliali pronuntiantur jusli…, placent eorum opéra Deo et merentur promissa prœmia. Corp. reform., t. xxi, col. 313-314. Voir de même col. 432 : Poslquam… et agnoscimus infirmitatem noslram et fide apprehendimus reconciliationem, postea dignilas operum non est exlenuanda. Et l’auteur d’en établir aussitôt la « nécessité » : Etsi uirlules et borne acliones nostræ nequaquam salis excitatæ aut mundæ, tamen ad gloriam Christi pertinent ; ideo magna earum dignitas est. De cette dignité le mérite devient une suite normale : Sciendum est eliam præmia proposita esse bonis operibus, seu bona opéra mereri præmia corporalia et spirilualia, Etsi autem in hac vita eliam mulla præmia sanctis redduntur, tamen, quia Ecclesia subjecta est cruci, præcipua præmia redduntur post hanc vitam. Mais il s’agit toujours de récompenses subordonnées à l’état de la personne et celle-ci doit être, au préalable, justifiée par pure miséricorde : Persona justificatur coram Deo gratis fide, quæ nilitur tantum misericordia ; postea placent Deo bona opéra et merentur mercedem. Ibid., col. 433-434.

En dépit de ses précautions pour sauvegarder la stricte orthodoxie selon la Réforme, on ne sera pas étonné que Mélanchthon ait été soupçonné d’avoir, en ce qui concerne les œuvres, des tendances catholiques : Quæ sententia, notent les éditeurs, ibid., col. 248249, a pluribus tanquam papistica illo tempore est improbata. Et il paraît qu’on parlait déjà, dans les milieux orthodoxes, de sa prochaine sécession. A propos de ces bruits malveillants, il écrivait lui-même à son ami Camérarius : Nihil mihi objicitur nisi quod dicor plusculum laudare bona opéra. Et il convenait implicitement que le reproche n’était pas de tous points injustifié : Qusedam minus horride dico quam ipsi quæ certe et vera et ulilia sunt. Lettre du 30 novembre 1536, Epist., vu, n. 1492, Corp. reform., t. iii, col. 193 ; cf. ix, n. 2883, t. v, col. 332.

C’était d’ailleurs le moment où la controverse antinomiste, voir Justification, t. viii, col. 2153, allait amener Luther lui-même à prendre la défense des œuvres. Et rien n’est moins indifférent que de voir les protagonistes de la Réforme réagir ainsi contre les outrances de leurs débuts.

Mélanchthon persévère plus que jamais dans cette voie en donnant l’édition définitive de ses Loci communes (1543), où il écrit de nouveau : In reconcilialis postea bona opéra, cum placeant fide propter medialorem. .., merentur præmia spirilualia et corporalia in hac vita et post hanc vitam. Et l’auteur d’assurer que l’Écriture est « remplie de promesses de cet ordre ». Corp. reform., t. xxi, col. 778. Il n’entend d’ailleurs pas que nos œuvres aillent jusqu’à mériter la gloire : Nostras virtutes non esse pretium vitæ œternæ sed hanc certo dari propter medialorem, ibid.. col. 780, et il s’applique longuement à réduire, au nom de ces principes, les arguments a légués par les catholiques à cette fin. Ibid., col. 789-800. Sur cette question du mérite, qui, dit-il, col. 798, multas disputationes movit, il veut s’en tenir au mot de saint Bernard, cité col. 674 : Sufficit ad meritum scire quod non sufficial meritum.

On retrouve les mêmes vues et souvent les mêmes termes dans la Summa doclrinæ de jusli ficatione qui ouvre son commentaire sur l’Épître aux Romains (1544), où, après avoir dit des chrétiens : Non merentur vitam œlernam suis operibus seu virtutibus. sed statuere se debent se fieri heredes vitæ œternæ propter Christum gratis fide, Corp. reform., t. xv, col. 526, il ajoute : Etsi vita œterna propler Christum gratis donatur, tamen eliam compensai noslros labores, acliones et œrumnas. Ibid., col. 532. Ce qui suffit pour qu’on puisse parler de « récompense », sicut hereditas simul compensât officia hsredis etiamsi propter aliam causam