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"19 MÉRITE, ÉGLISE LUTHÉRIENNE : AMENDEMENTS DE MÉL NCIITHON 720

a) Mérite « de congruo ». — Sur les œuvres et mérites préparatoires à la justification l’opposition semble iiréductible.

Car il est entendu que tous les actes naturels de l’homme sont corrompus par la concupiscence et donc essentiellement mauvais. Apologia, ii, 5-14, Mùller, op. cit., p. 78-80. En conséquence, nous ne pouvons être justifiés que par la foi au Christ. Concéder la moindre valeur à nos œuvres serait faire la plus grave injure à son rôle de Sauveur : Si meremur remissionem peccatorum lus nostris actibus elicitis, quid prwstat Christus ? Si iuslificari possumus per rationem et opéra ralionis, quorsum opus est Christo aut regeneratione ?… Itaque, si recipimus hic adversariorum doctrinam quod mereamur operibus rationis… justificationem, nihil jam inlereril inler justiliam philosophicam, aut certe pharisaïcam, et christianam— iv, 12-16, p. 88-89.

L’auteur n’ignore pas cependant que ses « adversaires » n’admettent ici tout au plus qu’un mérite de congruo. Mais il l’écarté avec dédain comme une subtilité sans fondement. Et quod fingunt discrimen inler merilum congrui et meritum condigni, ludunt tantum ne videantur aperte TCôXocYi-avîÇet, v. Du côté de Dieu, en effet, si le mérite de congruo est infailliblement efficace, comment ne constituerait-il pas un droit aussi bien que l’autre ? Nam si Deus necessario dat gratiam pro merito congrui, jam non est meritum congrui sed meritum condigni. Du côté de l’homme, il n’y a pas moyen de les distinguer, puisque la présence de la grâce en nous est toujours incertaine : Quomodo igitur sciunt utrum de congruo aut de condigno mereantur ? Ibid., 19, p. 90.

Cependant Mélanchthon ne veut pas nier que l’accomplissement du bien naturel ne soit tout à la fois nécessaire et jusqu’à un certain point possible : Nos autem de justitia rationis sic sentimus quod Deus requirat eam… Et potest hanc justitiam utcumque ratio suis viribus eflicere, quamquam ssepe vincitur imbe^illitate naturali. Cette justitia rationis n’est pas même dénuée de toute valeur morale : Huic justitise rationis libenter tribuimus suas laudes… ac Deus eliam ornai eam corporalibus prsemiis. Mais on ne saurait admettre qu’elle nous mérite par elle-même la justification. Ibid., 22-26, p. 91. Celle-ci nous vient par la promesse toute gratuite que Dieu nous en fait à cause des mérites de son divin Fils. Et hœc promissio non habet condilionem meritorum, sed gratis offert remissionem peccatorum et justificationem. Ibid., 41, p. 94.

En somme, il reste que l’idée d’un mérite quelconque préparatoire à la justification répugne à l’auteur de Y Apologia, parce qu’il la croit incompatible avec la souveraine grâce de Dieu.

b) Mérite « de condigno ». — Au premier abord, on dirait que la même intransigeance continue à l’égard des œuvres du chrétien justifié.

Il faut, en effet, partir de ce principe que nous ne sommes jamais sauvés que par la foi au Christ. Et c’est à quoi s’oppose la confiance des catholiques en la valeur de nos œuvres : Non docent de mediatore Christo quod propter Christum habeamus Deum propitium, sed propter nostram dileclionem… Prsedicant se legem implere, quum hœc gloria proprie debeatur Christo ; et fiduciam propriorum operum opponunt judicio Dei, dicunt enim se de condigno mereri gratiam et vitam leternam. iii, 24-25, p. 113. Et l’auteur d’ajouter aussitôt : Hsec est simpliciter impia et Dana flducia. Confiance « vaine », à cause de nos persistantes misères : Nam in hac vita non possumus legi salisfacere, quia natura carnalis non desinit malos afjectus parère, etsi his resistit Spiritus in nobis. Ibid. Cꝟ. 39, p. 115 : Illa legis impletio seu obedientia erga legem est quidem justitia quum est intégra ; sed in nobis est exigua et immunda. Mais confiance non moins « impie », puis qu’elle tend à supprimer notre perpétuelle dépendance à l’égard du Christ médiateur : Quia Cliristus non desinit esse mediator postquam renovali sumus, errant qui fingunt eum tantum primant gratiam merilum esse, nos poslea placere nostra legis implelione et mereri vitam œlernam. Ibid., 41, p. 116. Cf. xx, 81, p. 220 : Non ferenda est igitur blasphemia tribuere honorem Christi nostris operibus.

A côté de ces griefs dogmatiques, on voit reparaître, à maintes reprises, les considérations pratiques déjà touchées dans Y Augustana. La doctrine du mérite ne peut que développer la suffisance des médiocres et l’angoisse désespérée des meilleurs. Securi hypocritse. semper judicant se de condigno mereri…, quia naturaliler confidunt homines propria justitia ; sed conscientiss perterre/actee ambigunt et dubilant, et subinde alia opéra queerunt et cumulant ut acquiesçant. Hse numquam sentiunt se de condigno mereri et ruunt in desperationem. iv, 20, p. 90. Rien, au contraire, de plus rassurant pour les âmes que la convict ion d’être justifiées par la foi seule : In hac sententia] habent certam et firmam consolalionem adversus peccali terrores et adversus morlem œternam. Ibid., 85, p. 103. Voir plus loin, vi, 10-12, p. 186, un spécimen de la confession selon la Réforme : …Fateor me peccatorem esse et merilum seternam iram, nec possum opponere meas justifias, mea mérita fuse iras.

Ces diverses considérations sont répétées et réunies, m, 195-200, p. 141 : Hinc eliam intelligi potest quare reprehendamus adversariorum doctrinam de merito condigni. Facillima dijudicatio est quia non faciunt menlionem fidei, quod fide propter Christum placeamus. Secundo, doctrina adversariorum relinquil conscientias ambiguas, ut nunquam pacatee esse queant.

Qui ne croirait qu’avec de telles prémisses les œuvres humaines sont nécessairement vouées à être dépourvues de toute valeur ? Il n’en est rien pourtant et Mélanchthon consent même à leur reconnaître un certain mérite : Docemus operibus fidelium proposila et promissa esse prsemia. Docemus bona opéra meritoria esse, non remissionis peccatorum, gralise dut justificationis…, sed aliorum priemiorum corporalium et spiritualium in hac vita et post hanc vitam. ni, 73, p. 120 ; cꝟ. 245, p. 148. On voit mal ce que peuvent être ces récompenses « spirituelles » qu’il nous est loisible de mériter, « soit dans cette vie, soit dans la vie future », sinon cette augmentation de la grâce sanctifiante ou cette entrée dans la gloire qu’admettait la foi catholique, et moins encore comment un mérite ainsi conçu peut, dans la conception luthérienne, n’être pas attentatoire à la rédemption du Christ. Plutôt que de conclure à une aussi grave inconséquence, mieux vaut sans doute croire qu’il y avait, à la base de l’hostilité protestante contre le mérite, plus de malentendus que de véritables raisons. Toujours est-il qu’il n’est pas banal de voir Mélanchthon relever ainsi d’une main ce qu’il avait détruit de l’autre.

Un peu plus loin, il proclame de même le mérite spécial de l’aumône : Concedimus et hoc quod eleemosynæ mereantur multa bénéficia Dei, mitigent pœnas, quod mereantur ut defendamur in periculis peccatorum et mortis. Ibid., 157, p. 136. Ailleurs, tout en maintenant avec saint Paul, Rom., vi, 23, que la gloire est toujours une « grâce » et, avec saint Augustin, que Dieu ne fait jamais que « couronner en nous ses propres dons », il admet que la vie éternelle soit une récompense : Nos falemur vitam seternam mercedem esse, quia est res débita propter promissionem, non propter nostra mérita. Ibid., 235-241, —p. 146-147. Cette « dette » propter promissionem est-elle tellement loin du mérite secundum quid enseigné par saint Thomas ?


Il est vrai qu’ici encore Mélanchthon a l’air d’exclure