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717 MÉRITE, ÉGLISE LUTHERIENNE : CONFESSION D’AUGSBOURG 718

une implacable précision : Proinde quod in lus etiam operibus immundum quiddam est, justitiæ adpellationem non merentur et, qaaqua te verteris, sive ad opéra prsecedentia justificationem, sive ad ea quæ sequuntur justificationem, nullus nostiîo merito locus est. lbid.

Ainsi notre rachat est l’œuvre de la seule miséricorde divine : Solius misericordicc opus esse justifitionem necesse est. La foi qui nous en donne l’assurance exclut par là-même tout égard au mérite humain. Ergo, eum fldei justificatio tribuitur, misericordiæ Dei tribuitur ; humanis conatibus, operibus, meritis adimitur. Car la miséricorde est exclusive du mérite : Misericordia liberalis favor est, qui meriti noslri nullam habet rationem. Ibid.

Cependant n’est-il pas question maintes fois dans l’Écriture de récompenses promises à nos bonnes œuvres ? Mélanchthon n’en disconvient pas ; mais il entend que c’est là une promesse toute gracieuse et qui ne signifie aucun mérite de notre part. Respondeo : merces est debeturque non merito ullo nostro ; sed quia puter promisit, jam vlut obstrinxit se nobis ar debitorem fecit iis qui lile nihil meruerant. Et il ne manque pas d’invoquer à l’appui de sa thèse les textes classiques de l’Évangile, Luc, xvii, 9-10, et de saint Paul, Rom., vi, 23. Quid enim clarius, conclut-il, adversus mérita noslra dicit potuit ? Ibid., col. 179.

Pour excessives qu’elles puissent être, ces déclarations des premiers réformateurs ont du moins l’avantage de la logique et de la clarté. Elles traduisent une hostilité sans réserves à tout mérite sans distinction. Il semble bien, en effet, que les principes du nouvel Évangile ne comportaient pas d’autre attitude. Mais l’expérience allait bientôt montrer que cette intransigeance des débuts n’était pas incapable de se prêter à quelques accommodements.

2° Protestantisme officiel : Église luthérienne. — Tant qu’il ne s’agissait que de partir en guerre contre le catholicisme, il était relativement facile aux réformateurs de railler et de repousser la doctrine du mérite. Mais comment ne pas voir que le discrédit dont on le voulait frapper devait atteindre, par répercussion, les œuvres qui en sont le principe et, avec elles, menacer par la base le caractère moral du christianisme ? Cette évidence ne tarda pas à s’imposer, lorsque la Réforme dut prendre, à son tour, figure d’Ég ise et, tandis que ses organisateurs conservaient ou rétablissaient un minimum d’observances en vue d’assurer la cohésion du nouveau corps ecclésiatique, ses théologiens s’appliquaient à la tâche ingrate de combiner l’esprit des origines avec ces nécessités de la vie. De ces combinaisons on retrouve la trace dans les symboles officiels et dans leurs commentaires autorisés.

1. La Confession d’Augsbourg (25 juin 1530t. — Destinée à fixer devant l’empereur les positions dogmatiques de la nouvelle foi, la Confession d’Augsbourg s’exprime sur le mérite avec une remarquable discrétion.

Le terme y est couramment conservé pour qualifier l’œuvre du Christ Rédempteur. Voir Conf. Aug., i, 2, 20 et ii, 4-5, dans J. T. Millier, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lulherischm Kirche, 11e édit., Giitersloh, 1912, p. 39, 44, 54-55. En ce qui nous concerne, la justification par la foi seule y est positivement opposée aux mérites humains : Docent quod homines non possint justificari coram Deo propriis viribus, meritis et operibus, sed gratis juslificentur propter Christum per fidem. Ibid., 4. Cꝟ. 5 : …Donatur Spiritus Sanclus, qui fidem efficit… in iis qui audiunt Evangelium, scilicet quod Deus non propter noslra mérita sed propter Christum justificet hos qui credunt.

Il ne s’agit en tout cela que d’exclure un mérite antérieur à la justification. Une fois que la grâce est

ainsi reçue gratuitement, les bonnes œuvres deviennent nécessaires pour la faire dûment fructifier. Item docent quod fides Ma debeat bonos fructus parère et quod oportcat bona opéra mandata a Deo facere propter voluntatem Dei. Sans doute le texte continue en écartant toute idée de mérite : A’o/i ut confîdamus per ea opéra justificationem coram Deo mereri. Mais c’est seulement, comme on le voit, en vue de la justification : ce qui suppose qu’elle n’est pas encore obtenue et n’interdit pas absolument, ou du moins pas avec la même rigueur, la perspective d’un mérite qui la suivrait. Cette déclaration est assez subtilement conçue pour exclure le mérite sans lui fermer entièrement les portes.

L’article relatif aux bonnes œuvres est formulé dans le même sens. Nostri de ftde sic admonuerunt Ecclesias : principio quod opéra nostra non possint reconciliare Deum aul mereri remissionem peccatorum et gratiam et justificationem. Ibid., 20, p. 44. Cf. p. 46.

Dans l’intervalle, les réformateurs se sont élevés contre de notoires abus, qu’ils imputent gratuitement aux catholiques : Rejiciuntur et isli qui non docent remissionem peccatorum per fidem contingers, sed jubent nos mereri gratiam per satisfactiones nostras. Ibid., 12, p. 41. Parmi ces « satisfactions », ils ont réprouvé avec une particulière acrimonie les observances d’institution ecclésiastique : Admonentur etiam homines] quod traditiones humanæ instilutae ad placandum Deum, ad promerendam gratiam et salisfaciendum pro peccatis adversentur evangelio et doclrinae fidei. Quare vota et traditiones de cibis et diebus cet. instilutae ad promerendam gratiam et salisfaciendum pro peccatis inutiles sint et contra evangelium. Ibid., 15, p. 42. Tous anathèmes qui sont aussi vigoureux sur l’accessoire que réservés sur le principal.

Chemin faisant, on saisit çà et là les principaux motifs de cette aversion pour la doctrine du mérite. Il en est de dogmatiques : affirmer le mérite humain, c’est mépriser le mérite du Christ. Qui confidit operibus se mereri gratiam, is aspernatur Christi merilum et gratiam et quæril sine Christo humanis viribus viam ad Deum. Mais il en est aussi de pratiques : Olim vexabantur conscientise doclrina operum… Quosdam conscientia expulit in desertum, in monasteria, speranles ibi se gratiam meriluros… Alii alia excogitaverunt opéra ad promerendam gratiam… Ideo magnopere fuit opus hanc doclrinam de ftde in Christum tradere et renovare, ne deesset consolatio pavidis conscienliis. A quoi s’ajoute la grande autorité de saint Augustin : Nam Augustinus multis voluminibus défendit gratiam et justiliam fidei contra mérita operum. Ibid., 20, p. 44-45.

D’où l’on voit combien est ancienne chez les protestants la manie d’infliger le reproche de pélagianisme à toute doctrine qui n’est pas la leur. Autant est nette, dans la Confession d’Augsbourg, cette position agressive contre l’Église, autant, en somme, sa doctrine positive l’est peu. Si elle écarte le mérite des œuvres avant la justification, elle a plutôt tendance à biaiser sur leur valeur après. Il faut se rendre compte de cette foncière indécision sous l’apparente rigueur des formules pour comprendre les interprétations, à première vue surprenantes, qu’elle devait susciter chez ses plus fermes défenseurs.

2. « Apologie » de la Confession d’Augsbourg. — Mélanchthon, qui avait rédigé ï’Augustana, prit aussitôt la plume pour l’expliquer et la défendre. Sans avoir la valeur du document officiel, son Apologia en reste le commentaire pour ainsi dire officieux, et les protestants eux-mêmes lui accordent pratiquement la même autorité. Il n’est donc pas de texte plus propre à nous fixer sur les positions doctrinales que la Réforme a voulu tenir.