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MÉRITE, LUTHÉRANISME PRIMITIF : MÉLANCHTHON


contre le Christ Rédempteur. W., t. viii, p. 467-468.

Dans l’intervalle, Léon X avait fulminé la bulle Exsurge Domine (15 juin 1520), où il condamnait les principales doctrines du novateur. Si aucune de ces propositions n’est directement relative au mérite, quelques-unes visent le pessimisme spirituel qui lui interdisait de le reconnaître. Ainsi les propositions 3132,. Denzinger-Bannwart, n. 771-772 : « Dans toute œuvre bonne, le juste pèche mortellement » et les mieux faites sont au moins « un péché véniel ». La proposition 36, ibid., n. 776, exprime le principe de tout le système : « Après le péché, le libre arbitre n’est plus qu’un vain mot et, en faisant ce qui dépend de lui, il pèche mortellement. » Cette condamnation ne fit qu’exaspérer la résistance de Luther, qui prit désormais contre le mérite une position de plus en plus agressive. Dans son traité De seruo arbilrio (1525), il critique déjà le concept de mérite. W., t. xviii, p. 693695 et 769. Mais le spécimen le plus complet de sa pensée est sans doute fourni par un excursus inséré dans son second commentaire de l’Épître aux Galates, professé en 1531 mais imprimé seulement en 1535, qui devient une véritable dissertation sur le mérite. W., t. xl a, p. 220-238.

La thèse énoncée dès les premières lignes est une réprobation formelle de la doctrine catholique : Damnanda est perniciosa et impia opinio papistarum qui tribuunt operi operato meritum gratiæ et remissionis peccatorum. P. 220. Et pour bien marquer son sentiment, Luther commence aussitôt par exposer la doctrine reçue, qui se résume en ces deux membres solidaires : mérite de congruo avant la justification, mérite de condigno après. Il écarte résolument l’un et l’autre comme également contraires à la grâce : Quare cum Paulo in totum negamus meritum congrui et condigni, et certa fiducia pronuntiamus istas speculationes esse mera ludibria Satanæ, … inania figmenta et speculabilia hominum otiosorum somnia de rébus nihili. P. 223. La raison en est que toutes nos œuvres sont mauvaises : Vera christianismi ratio hœc est quod homo primum per legem agnoscat se esse peccatorem, cui impossibile sit ullum bonum opus facere. Ibid. Seul le Christ a fait opéra et mérita congrui et condigni. P. 232. Quant à nous, il nous appartient seulement de nous les approprier par la foi. Itaque per fidem Christi donantur nobis omnia : gratia, pax, remissio peccatorum, salus et vita seterna, non per meritum congrui et condigni. P. 236. Les prétendues œuvres méritoires du catholicisme sont abominabiles blasphemise Dei, sacrilegia et abnegationes Christi. P. 237 ; cf. ibid., p. 291, 302-303. Voir de même ses commentaires sur la Genèse, viii, 21, W., t. xlii, p. 348-349.

On retrouve les mêmes conceptions dans les sermons populaires sur saint Matthieu imprimés par Luther en 1532 : « Quand on parle de ce point essentiel dans le christianisme…, c’est-à-dire de savoir comment on devient pieux devant Dieu, comment on obtient le pardon de ses péchés et la vie éternelle, il faut écarter entièrement tout mérite de notre part. Celui qui veut en faire état, il faut le fouler aux pieds et le condamner à l’enfer avec le diable, comme adversaire de la grâce et négateur du Christ. » W., t. xxxii, p. 538-540. « C’est, écrit H. Schultz, loc. cit., p. 554, le besoin d’opposition à l’ensemble constitué par les notions de mérite et de satisfaction qui représente proprement la force religieuse et l’élan d’où sortit la Réforme. Il est, en tout cas, certain que cette réaction anticatholique fut, pour le premier des réformateurs, sinon l’origine de son système, du moins la plus ardente et la plus constante de ses inspirations.

2. Doctrine de Mélanchthon. — A cette matière en .fusion que Luther déversait au cours d’écrits puis sants et tumultueux, non d’ailleurs sans y mêler en abondance les scories de la polémique, il manquait encore la forme qui fait les systèmes : Mélanchthon eut pour rôle de la lui donner. Les Loci communes, dont la première édition parut en 1521, allaient être pendant de longues années le bréviaire de la Réforme. Or on y retrouve l’expression méthodique et modérée des thèses radicales déjà relevées chez Luther. Et le fait est d’autant plus significatif que les éditions postérieures leur feront subir de notables atténuations.

a) Avant la justification. — Bien entendu, c’est l’idée d’une préparation à la grâce par les œuvres naturelles de l’homme qui est tout d’abord et le plus vivement critiquée.

Mélanchthon, en effet, pose comme postulat l’absolue perversion de la nature par le péché origine). Il s’élève contre les novi pelagiani, qui, etsi non negent esse peccalum originale, negant lamen eam esse vim peccati originalis ut omnia hominum opéra, omnes hominum conatus sint peccala. Corpus reformatorum, t. xxi, col. 99. Pour lui, il condense, au contraire, sa pensée dans cette formule : Omnes homines per vires naturæ vere semperque peccatores sunt et peccant. Ibid., col. 101. Ce qu’il s’efforce d’établir par de nombreux textes pris dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Parmi les conclusions finales qu’il donne comme le résumé de sa doctrine, col. 114, se trouve celle-ci, qui reflète très fidèlement le pessimisme de Luther : Ita fit ut homo per vires naturales nihi ! possit nisi peccare.

D’où il suit que tout mérite est impossible : Tu vero certo sic sentias nihil neque boni neque meritorii fteri posse ab homine per vires naturæ. Col. 103. En conséquence, le mérite de congruo est âprement combattu comme une invention sophistique : Jam quæ prodidere sophistæ de merito congrui, scilicet quod operi bus moralibus, id est quæ viribus naturæ nostræ facimus, de congruo, sic loquuntur, mereamur gratiam ipse leclor intelligis blasphemias esse in injuriam gratiæ Dei ementitas ; etiam cum naturæ humanæ vires citra Spirilus Sancti adflatum non possint nisi peccare. Et l’auteur de conclure : Quid merebimur nostris conatibus nisi iraml Ibid., col. 110.

Non seulement le mérite de congruo, mais l’idée même d’une préparation à la grâce lui paraît inadmissible. Quare tantum abest ut gratiam per eas [bonas inlentiones] impelremus ut nihil sit quod perinde gratiæ adversetur alque illæ pharisaïcæ præparationes… Quis est enim misericordiæ locus si respectus est nostrorum operum ? Quæ est gratiæ gloria, ut paulinis verbis utar, si debetur nostris operibus 1 Ibid. Sous peine de renier la grâce, il faut donc admettre la complète inutilité des œuvres humaines en vue de la justification. Et cette vanité elle-même a sa source dans leur foncière et incurable malice : Quid igitur opéra ? Quæ præcedunt justificationem, liberi arbilrii opéra, ca omnia maledictæ arboris maledicti fructus sunt. Ibid., col. 177.

b) Après la justification. — Or la grâce même de la justification ne change pas cette situation déplorable de notre nature déchue.

Il faut se rappeler, en effet, que, dans l’orthodoxie selon la Réforme, la concupiscence coupable persiste tout entière dans l’âme justifiée. Un principe mauvais ne cesse d’agir en elle, qui en vicie radicalement toutes les œuvres. Aussi n’y a-t-il pas de différence à faire, suivant Mélanchthon, dans l’appréciation de notre état réel avant la justification et après. Quæ vero opéra justificationem consequuntur, ea, lamelsi a-Spiritu Dei qui occupavil corda justificatorum, tamen, quia fiunl in carne adhuc impura, sunt et ipsa immunda. Ibid., col. 178. Dans ces conditions, il ne saurait plus être question de mérite. C’est ce que l’auteur conclut avec