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MÉRITE, LUTHERANISME PRIMITIF : LUTHER


meruerunt gratiam ullerius dirigentem eos. Non quod gratia pro tali mérita data eis sil…, sed quia ad eam sese gratis recipiendam sis preparaverunt. Et ceci se réfère à une loi générale de la Providence : Non enim dabitur gratia sine ista agricaltura sui ipsius. lbid., m, 21, p. 93. Cf. iii, 5, p. 71 : Per ipsa tanquam preparatoria tandem apti et capæes fteri possimus justifie Dei ; m. 22. p. 91 : Nec opéra precedentia nec sequenlia justificant…, precedentia quidem quia préparant ad justitiam. sequentia vero quia requirunt jam jaclam justificationem. Il lui arrive même une fois d’employer, à tout le moins au sens large, le mot de mérite : …Sic humiliati et impios… nos conjessi mereamur justificari ex ipso, iii, 17, p. 84.

Mais déjà on voit percer un peu partout le pessimisme le plus radical. Il n’y a que des stulti, des Sawtheologen, pour imaginer « que l’homme puisse par ses seules forces aimer Dieu par-dessus toutes choses et accomplir les préceptes, au moins quant à la substance de l’acte, sinon quant à l’intention de celui qui les a portés. » iv, 7, p. 110 ; cf. viii, 3 et ix, 16, p. 187 et 225. En réalité, invita est [voluntas] ad bonum.prona ad malum… Ideo recte dixi quod extrinsecum nobis est omne bonum nostrum, quod est Christus. iv, 7, p. 114. Aussi nos bonnes œuvres elles-mêmes sont-elles coupables devant Dieu : …Si judicio Dei ojjerantur, peccata sint et invenianlur… Bene operando peccamus, nisi Deus per Christum nobis hoc imperfectum tegeret et non imputaret. D’où il suit qu’il n’y a pas plus de place pour le mérite que pour le péché véniel : Ex quo palet quod nullum est peccatum veniale ex substantia et natura sua, sed nec meritum. lbid., p. 123. Au service de sa thèse, Luther ne manque pas, bien entendu, d’utiliser le texte d’Isaïe, lxiv, 6, ibid., p. 122, et xi, 4, p. 256.

Ces sentiments éclatent au grand jour dans sa fameuse Quæstio de viribus et voluntate hominis sine gratia (1516), où l’auteur énonce cette thèse : Homo, Dei gratia exclusa, prsecepta ejus seruare nequaquam potest, neque se vel de congruo vel de condigno ad gratiam prœparare. D’où il conclut : Homo quando facit quod in se est peccat, cum nec velle aul cogitare ex seipso possit. W, 1. 1, p. 147-148. Voir de même la Disputatio de Heidelberg (1518), ibid., p. 373-374. Dans un sermon de la même époque, on peut lire cette invective contre le mérite de congruo, que naguère le réformateur admettait sans difficulté : Impiissimi sunt qui docent nos paratos esse debere merilo congrui atque ii plus diabolo fugiendi sunt. W., t. iv, p. 612.

Parti du catholicisme traditionnel, Luther a évolué vers une conception personnelle qui enlève aux œuvres humaines toute sorte de valeur. C’est dans cette voie nouvelle qu’il va désormais avancer rapidement.

b) Depuis la rupture. — Tous les principes de Luther devaient, en effet, le porter à la négation du mérite. Un des théologiens protestants qui l’ont étudié de la manière la plus objective met bien en évidence cette logique intérieure de son système. « La grâce est pour lui la souveraine activité de Dieu en tant qu’elle est bonté rédemptrice. Si l’on se met ce fait devant les yeux, on comprend que Luther devait être intimement opposé au concept de mérite. Si Dieu fait tout…, le mérite de l’homme est exclu sous toutes ses formes et dans toutes les directions. Ni on ne peut faire d’actes méritoires de congruo avant la réception de la grâce, ni, après l’avoir reçue, mériter de condigno la vie éternelle… Dieu donne et fait tout, et l’homme reçoit : il n’y a aucune place pour le mérite entre l’homme et Dieu. » R. Seeberg, Dogmengeschichle, t. iv, p. 151-152. Son anthropologie, toute dominée par les sombres perspectives de la chute, ne s’y oppose pas moins que sa théodicée. « De même que le mérite est entièrement exclu par la considé ration de la souveraine activité divine, il l’est aussi par l’idée de la corruption complète de l’homme. » Ibid., p. 168. Il faut en dire autant de sa christologie, ibid, , p. 194, où la satisfaction et les mérites du Christ sont exaltés au point de supprimer les nôtres. On peut y ajouter également sa conception toute nominaliste de la grâce, qui n’est plus une réalité intérieure, mais la simple bienveillance de Dieu, favor Dei, dont lafoi nous donne la conviction. « Dès là que le sentiment de cette « grâce divine » forme et doit former la base durable de toute piété, il n’y a plus aucune place pour des mérites. » J. Kunze, art. Verdienst, loc. cit., p. 507.

Cette logique intérieure du système luthérien n’a pas manqué de porter ses fruits. Dans ses Operationes in Psalmos (1519-1521), ps. v, 12, le réformateur s’élève p’us que jamais contre les justitiarii, qui, à la suite de P. Lombard, veulent faire reposer notre espérance sur le sentiment de nos mérites. Ex qua sententia quid aliud poluit sequi quam ruina universee theologiæ, ignorantia Christi et crucis ejus et oblivio, ut apud Hieremiam queritur, Dei diebus innumeris. W., t. v, p. 163. A quoi il oppose son système de la justification, qui place en Dieu seul tout notre espoir, spes purissima in purissimum Deum. Ibid., p. 166. Non pas qu’il veuille encore éliminer entièrement le terme de mérite, mais la chose y— est manifestement réduite à rien. Sunt itaque mérita et nulla mérita in nobis : sunt quia dona Dei sunt et opéra ipsius solius ; nulla sunt, quia non plus de illis possumus præsumere quam ullus novissimus peccator in quo nondum aliquid operatur Deus. Ibid., p. 169.

Vers la même époque, son premier commentaire sur l’Épître aux Galates (1519) lui fournit l’occasion de dénoncer l’illusion et l’erreur des chrétiens qui s’imaginent pouvoir compter sur leurs mérites et mettent tous leurs soins à s’en amasser. Turbinibus Iradilionum legumque humanarum, deinde indoctorum Scripturee interpretum et concionatorum in mérita nostra trudimur, ex nobis satisfacimus peccatis, et non ad purganda vilia carnis deslruendumque corpus peccati opéra nostra dirigimus, sed velut jam puri et sancti tantum cumulamus ea velut frumentum in horreum, quibus Deum debilorem jaciamus et in cœlo nescio qua allitudine sedeamus. Cœci, cœci, cœci : his omnibus nihil prodest, alio consilio justificant seipsos. V., t. ii, p. 562. Voir de même son explication du Pater (1519), où sur la demande Dimitte nobis débita nostra il greffe cette glose : Nullis rébus quas petimus digni sumus nec quidquam mereri possumus. J. T. Muller, Sumb. Bûcher, p. 360.

En apparence, on pourrait croire que le réformateur n’en veut ici qu’au pharisaïsme de ces âmes mal éclairées qui croient pouvoir placer toute leur confiance dans leurs œuvres propres. Mais visiblement ses critiques atteignent l’usage non moins que l’abus. Il suffit de considérer qu’à cette conception il oppose celle de la justification par la foi seule, pour se rendre compte que la grâce du Christ lui paraît exclure comme un sacrilège l’idée même d’un mérite quelconque de notre part. « . Quant aux fruits obtenus par les justes, note un théologien protestant, il consent bien à ce qu’on leur donne le nom de mérite. Mais, en elles-mêmes et par elles-mêmes, les œuvres des justes n’ont rien à mériter. » J. Kôstlin, Luthers Théologie, 2e édit., Stuttgart, 1883, t. ii, p. 460.

Si Luther ne veut pas entendre parler de mérites après la justification, à plus forte raison pour s’y préparer. Dans son petit traité De abroganda missa privala (1521), où il condamne violemment les principia fldei Parrhisiensium et Papensium, il leur reproche, en particulier, d’enseigner : Hominem passe faciendo quod in se est injallibitzr et necessario mereri gratiam, sed de congruo. Ce qui lui paraît un blasphème