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    1. MÉRITE##


MÉRITE, LUTHÉRANISME PRIMITIF : LUTHER

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tion fut proprement une lutte contre la doctrine du mérite. »

En effet, la notion de mérite tenait de trop près à celle de justification pour ne pas subir le contre-coup des modifications profondes que le protestantisme imprimait à celle-ci. Cette opposition devait avoir pour résultat, en même temps que de faire surgir une immense littérature de controverse, d’amener l’Église à définir la foi traditionnelle qu’elle avait jusque-là possédée en pleine paix. — I. Doctrine de la Réforme. II. Opposition catholique (col. 728). III. Définition du concile de Trente (col. 735).

I. Doctrine de la Réforme.

Tout le système protestant de la justification par la foi seule, que nous avons exposé’en son lieu, voir Justification, t. viii, col. 2132-2154, entraînait comme contre-partie, sinon comme point de départ, une hostilité radicale envers la doctrine catholique des œuvres et, par conséquent, du mérite qui en est le fruit. Cependant l’inévitable réaction de l’esprit chrétien contre le mysticisme destructeur du premier jour, pour ne rien dire des tempéraments qu’imposaient les nécessités d’ordre ecclésiastique et politique, allait ramener peu à peu ce que la théorie semblait exclure absolument. Adversarii, notait déjà Rellarmin, quamvis inilio v’alde conlemptim loquerentur de operibus bonis, paulatim lamen cœperunt nonnihil eis attribuere. De juslif., t. V, c. i, Opéra, t. vi, p. 343.

De cette évolution la doctrine protestante du mérite porte partout la trace. Au lieu de ce développement rectiligne que la logique faisait attendre et que la ferveur de ses partisans voudrait parfois lui attribuer, elle présente des combinaisons et des retouches, où l’on devine le besoin obscur de satisfaire aux exigences inverses de la foi traditionnelle et des principes nouveaux. Il importe donc ici, plus que jamais, de distinguer, en l’exposant, les époques et les familles, pour y noter ce que chacune, sur le fond commun de la Réforme, peut offrir de plus ou moins grande originalité.

1° Luthéranisme primitif. - — C’est dans les manifestes personnels des réformateurs allemands, soit principalement dans les premiers écrits de Luther et de Mélanchthon, qu’il faut chercher la physionomie originelle du protestantisme, alors qu’il jaillissait en pleine vie de ces âmes passionnées, et ignorait ou dédaignait encore les palliatifs qui viendront bientôt en arrondir les angles trop saillants.

1. Doctrine de Luther.

Élevé dans le triple culte de la foi catholique, de l’ascétisme monacal et de la théologie nominaliste, Luther s’en est peu à peu détaché, sous la pression de ses expériences subjectives, pour y substituer le nouvel Évangile de la justification par la seule foi. Placée par sa nature même au centre de ce drame, la doctrine du mérite ne pouvait qu’en suivre le mouvement.

a) Avant la rupture. — Dans les écrits qui remontent à la période catholique de sa carrière, Luther reflète, avec les principes de la foi commune, les positions essentielles de la théologie médiévale. C’est ainsi, bien entendu, qu’il affirme que notre salut est dû à la pure miséricorde de Dieu. Voluntarie, inquit (Jac, i, 18), gentil nos verbo veritatis…, hoc est gratuito liberoque beneplacito, non nostro merito neque dignitate. Sermon de 1512, dans Luthers Werke, édit. de Weimar (désignée dorénavent par le sigle V.), t. i, p. 10. Dans son commentaire du ps. lxxxiv, il s’élève avec énergie contre les « hypocrites » qui voudraient s’appuyer sur leur propre justice : Veritatem Dei non ex pura gratia promittentis estimant per quam justiftcentur, sed ex merito sue justifie précédente eam requirunt, et il leur oppose le fait de notre rédemption absolument gratuite par l’avènement du Christ :

Quod Christus venit et natus est promissio sola fuit et non meritum. Dictata sup. Psalt., ps. lxxxiv, 12, W., t. iv, p. 17. Mais tout cela ne signifie rien de plus que l’affirmation du dogme catholique de la grâce.

Aussi bien Luther admet-il qu’à l’application personnelle de cette grâce initiale nous pouvons et devons nous préparer. Pour caractériser cette préparation, il accepte sans hésiter le mérite de congruo. Cette expression, qui se trouve incidemment dans ses gloses sur les Sentences, t. II, dist. XXVI, c. viii, W., t. ix, p. 72, est adoptée ex professo et très exactement rattachée à la tradition médiévale dans le commentaire sur le Psautier : Hinc recle dicunt doctores quod homini facienti quod in se est Deus infallibililer dut graliam et, licel non de condigno sese possil ad graliam prseparare, quia est incomparabilis, lamen bene de congruo propter promissionem istam Dei et pactum misericordiae. Dict. sup. Psalt., ps. cxiii, 1, "W., t. iv, p. 262. Voir de même ps. cxviii, 17, ibid., p. 312.

Il est vrai que cette préparation elle-même relève de la grâce pour chacun de nous, exactement comme l’avènement du Christ pour l’ensemble du genre humain : Sicut humanum genus recepit Christum non ut justitiam suam sed ut misericordiam Dei, quantumlibet congrue sese disponebal, ita quilibel graliam ejus gratis accipit quantumlibet sese congrue disponat. Dict. sup. Psal., ps. cxviii, 41, ibid., p. 329. Cf. ibid., 149, p. 376. Mais, sous le bénéfice de cette action divine, la valeur de nos œuvres n’en est pas moins réelle. — A plus forte raison pouvons-nous mériterjla gloire. Sans nul doute, nos mérites ne sont jamais que des dons de Dieu ; Luther semble avoir une prédilection pour le distique médiéval, voir col. 695, qui schématisait cette doctrine augustinienne. Voir ses gloses marginales sur le livre des Sentences, t. II, dist., XXVII, c. vii, W., t, ix, p. 72, et sur les sermons de Tauler, ibid., -p. 99. De même, il n’admet à l’égard de la céleste récompense qu’un mérite de congruo. Dict. sup. Psalt., ps. cxiii, 1, W., t. iv, p. 262. Mais ce nominalisme aigu, qui eut ses représentants aux meilleures époques du Moyen Age, voir col. 690, ne l’empêchait pas de professer l’idée de la plus stricte rétribution. C’est ainsi que la parole du Psalmiste : Rétribue servo tuo, peut fort bien, d’après lui, être entendue dans ce sens : Fac ut rétribuas, ut meritum habeam cui premium fiât et retributio in patria. Dict. sup. Psalt., ps. cxviii, 17, W., t. iv, p. 313.

Cà et là pourtant se manifeste une tendance incontestablement pessimiste : Justitia noslra agnoscatur nihil esse nisi peccalum et pannus menslrualæ ac sic potius justitia Christi regnet in nobis, dum per ipsum et in ipso confidimus salvari, non ex nobis. Ibid., 163, p. 383. Cf. ps. cxLn, 1, ibid., p. 443 : Peto de peccatis redimi… per fïdelilalem promissi lui…, non in merito meo. Dans deux sermons de la même époque (3 et 24 août 1516), Luther éprouve le besoin de critiquer la définition de l’espérance donnée par Pierre Lombard, voir col. 678, et d’opposer la confiancç en Dieu seul à la confiance aux œuvres. Sermons pour les xie et xive dimanches après la Trinité, W., t. i, p. 7071, 84-85.

Son commentaire sur l’Épître aux Romains (avril 1515-octobre 1516) caractérise fort bien cette période de transition. Comme le reconnaît F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 708, après Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. ii, p. 410-412, Luther y admet encore, même pour les païens, une préparation à la grâce : Quicumquc legem implet est in Christo et datur ei gratia per sui præparationem ad eamdem quantum in se est. In Rom., ii, 12, édit. Ficker, Leipzig, 1908, t. ii, p. 38. Cf. ibid., 14, p. 42 : Per aliquam bonam operationem erga Deum, quantum ex natura potuerunt,