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MÉRITE, NÉGATIONS DE LA RÉFORME


merces, scd tantummodo large, in quantum omne quod redditur in præmium laboris dicitur merces. Ratio autem nu jus est quia hereditas distinguitur a mercede proprie dicta, sicut filius cui debetur hereditas distinguitur ab operario conductilio cui debetur merces. Gloria autem cxlestis redditur fîdelibus sicut hereditas liberis ; propter quod non habet rationem mercedis. Biblia sacra, Bàle, 1507, t. v, fol. 216 v°. Encore faut-il tenir compte que, même pour les fidèles, la gloire est entièrement hors de proportion avec leur nature : Salus œterna excedit totaliter facultalem humanse naturx ; propter quod non potest eam atlingere nisi ex largitate divinæ misericordiæ. In TU., iii, 5, ibid., t. vi, fol. 130 r°. Mais le pessimisme trouvait surtout un aliment tout indiqué dans le texte d’Isaïe, lxtv, 6 : Facti sumus sicut immundus omnes nos et quasi pannus menslruatas universæ justitim nostrm. Nicolas de Lyre l’entend, au sens historique, des Juifs seulement ; mais d’autres lui donnent un sens absolu et l’appliquent aux œuvres des chrétiens.

A ce titre, cette formule réaliste revient très souvent sous la plume de saint Bonaventure. Voir In II am Sent., dist. XVII, a. 2, q. iii, t. ii, p. 667 ; Corn, in Luc, xi, 34, t. vii, p. 287 ; Opusc, xvii : Sermo sup. reg. Fratrum minorum, 19, t. viii, p. 443 ; De sabbato sancto, serm. i, 2, t. ix, p. 268 ; De sanctis Angelis, serin, v, p. 622 ; De Assumptione, serm. v, p. 699. Denys le Chartreux l’interprète, lui aussi, de omnibus quasi generaliler, et voici le commentaire qu’il en donne : Omnia opéra noslra, interiora et exteriora, bona et meriloria, lanlis sunt imperfectionibus vitiisque permixla ut comparari possint panno menslrui fluxii polluto. Et hoc potissimum verum est si referantur justitim nostrm ad sincerissimam atque immensam Dei puritatem. A l’appui de son interprétation, l’auteur de rappeler quelques textes du même ordre, tels que Job, xv, 15 ; xxv, 5-6 ; Luc, xvii, 10. En regard, les textes où nous sommes conviés à la perfection s’entendent de perfeclione et sanctilate secundum modum parDilalis humanm pensata, videlicel humanm conditionis infirmitate, cui modica mquilas reputatur pro magna. Enarr. in Isaiam, art. 93, Opéra omnia, t. viii, Montreuil, 1899, p. 746-747. Cf. Enar. in Lucam, art. 40, t. xii, p. 137 : Quid nobis incumbit, qui in tam multis ofjendimus ut ea ipsa quæ forsan implemus prmeepta tam imper/ecle implemus, ita ut, juxta Isaiam, universm justitim noslree sinl quasi pannus menslrualm ?

Au demeurant, pour ne pas majorer à l’excès, comme l’ont fait trop souvent les théologiens de la Réforme, la portée de ces déclarations pessimistes familières aux mystiques, on ne perdra pas de vue ces observations très judicieuses de Ritschl, op. cit., p. 120-121. « C’est depuis saint Bernard l’originalité du catholicisme latin que d’unir l’appréciation des bonnes œuvres en tant que mérites et la neutralisation des mêmes œuvres par la considération de la grâce. …Voilà pourquoi, chez les catholiques, une double direction est possible : celle de la justice des œuvres, qui se rattache à la première exigence, et celle, inversement, de l’abandon à la grâce de Dieu, qui provient de la seconde. » On n’oubliera d’ailleurs pas que « Tauler, comme les autres ascètes et mystiques du Moyen Age, quand il suggère de renoncer à la valeur de nos mérites, s’adresse à des chrétiens avancés en sainteté et par là-même précisément chargés de mérites .

Il n’y a donc pas lieu d’opposer entre eux mystiques et scolastiques. D’autant que les mêmes auteurs sont souvent, à l’occasion, l’un et l’autre. Les nuances incontestables qui distinguent leurs exposés ne tiennent pas à une opposition de doctrines, mais seulement à une tournure différente des esprits. Étant donné que

le christianisme complet intéresse tout à la fois le sens moral et le sens religieux, n’est-il pas naturel que ses représentants, suivant leur vocation spéciale ou leur ministère, se montrent sensibles de préférence tantôt à celui-ci tantôt à celui-là ? Le Moyen Age a connu ces deux tendances, comme du reste les connurent et les connaîtront toutes les époques ; dans l’École elle-même il y eut des controverses spéculatives, mais sans que personne songeât à se montrer surpris de cette inévitable et bienfaisante variété.

C’est que plus fondamentale encore était l’unité des intelligences et des âmes dans la ferme possession de la foi catholique en la dignité de la grâce, en la valeur et en la nécessité des œuvres qu’elle inspire. Des divergences qui se manifestent à cet égard entre les auteurs et les écoles on peut et doit dire, avec J. Kunze, art. Verdienst, p. 505, qu’elles ne sont que de simples opinions théologiques sans importance, du moment que l’œuvre du Christ est ici conçue, contrairement au protestantisme, non plus comme « la base permanente » — on entendra exclusive de toute coopération de notre part — « mais comme la condition éloignée du salut ». Il fallut, en effet, la Réforme pour briser l’harmonie de ces éléments solidaires que l’Église n’avait jamais cessé de maintenir et que le génie de l’École venait d’organiser en un système cohérent de l’ordre surnaturel.

IV. LA DOCTRINE DU MÉRITE A L’ÉPOQUE DE LA RÉFORME. — Au cours des discussions préparatoires dans lesquelles les Pères de Trente étudiaient le futur décret sur la justification, l’archevêque d’Aix avait l’occasion de constater que le seul mot de mérite était de ceux qui avaient tout particulièrement le don d’exciter l’aversion des luthériens’: …Nomen ipsum meriti lutheranis tam odiosum et abominabile, quelques lignes plus loin : tam execrabile. Séance du 1 er octobre 1546, dans Conc. Trid., t. v, édit. Ehses, p. 449. Cette impression d’un contemporain est un témoignage de premier ordre sur l’attitude des réformateurs à l’égard du mérite.

Il est vrai que, plus, tard, un de leurs plus importants théologiens, Martin Chemnitz, devait dire, Examen conc. Trid. : De bonis operibus, q. iv, édit. de Francfort, 1596, 1. 1, p. 185 : In hanc sententiam nostri etiam a vocabulo meriti non abhorrent, sicut etiam patribus usitatum fuit, et que ce texte est repris sans la moindre réserve par un représentant non moins fidèle de la plus stricte orthodoxie protestante, J. Gerhard, Loc. theol., t. XVIII, c. viii, n. 88, édit. Cotta, t. viii, p. 81. Mais cette affirmation s’entoure chez eux de distinctions telles qu’en conservant le mot ils suppriment visiblement la chose.

On ne saurait contester que la Réforme ne soit historiquement marquée par un mouvement de vive opposition à l’égard du mérite. Et c’est de quoi, bien entendu, ses partisans veulent lui faire honneur. « La Réformation, rétablissant le véritable rapport entre la justification et la sanctification, entre la foi et les œuvres, a ruiné l’idée d’un mérite quelconque attribué à l’homme. Ses théologiens enseignent que la justice personnelle de Jésus-Christ nous est imputée par la foi, c’est-à-dire par la ferme persuasion dans laquelle nous sommes que nos péchés nous sont pardonnés par ses mérites, tellement qu’il suffit d’avoir cette ferme persuasion pour être justifié en effet. Les bonnes œuvres découlent de la foi, comme les fruits de l’arbre, sans qu’elles puissent conférer à l’homme le moindre mérite. Tout en lui, le commencement, la suite et la fin, est l’œuvre de la grâce divine que nous assimilons sola fide. » Art. Mérite, dans F. Lichtenberger, Encijcl. des sciences religieuses, t. ix, p. 90. Cf. J. Kunze, art. Verdienst, p. 506 : « La Réforma-