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705 MÉRITE, SA VALEUR CHEZ LES SCOLASTIQUES : SYSTÈME NOMINAL18TE 706

non meritis redditur, dont l’auteur, dans sa réponse, ibid., n. 11, accepte entièrement le principe : Quando dicitur quod gratia non gratis datur si meritis redditur, dico quod verum est si meritis accipientis redditur, t. xi, p. 574 et 577. Cf. Report. Paris., 1, I, dist. XVII, q. i, n. 5, t. xi, p. 94 : Aclio meritoria non est in potestate noslra nec naturalibus meremur, quod erat error Pelagii.

De ces principes on peut voir que Scot fait occasionnellement l’application aux actes bons qui relèvent de notre nature : Existrns in pcecato morlali, quantumcumque se disponat, cum ad hoc se disponere non possil sine gratia, ut dicis, sequitur quod erit obstinatus, quia non potcrit ub illo resurgere sine gratia. Report. Paris., t. III, dist. XVIII, q. ii, n. 2, t..xi, p. 491. Il est vrai que cette assertion est émise à propos de la grâce sanctifiante ; mais le contexte indique assez bien que la grâce actuelle est comprise dans son rayonnement. Ailleurs, du reste, se lit cette déclaration d’une absolue netteté : Prima gratia datur homini si imlt se disponere per liberum arbitrium, quod potest quilibet per adjutorium grati.ï : datum quæ omnibus viatoribus datur. Quiest. miscell., IV, n. 17, t. iii, p. 461. Ces 7>rémisses générales doivent être sous-entendues à tout ce que le Docteur subtil enseigne par ailleurs au sujet du mérite de congruo. Minges, op.cit., p. 88-97.

Il faut, du reste, se rappeler aussi que toutes les préparations que l’homme peut et doit faire ne sont, pour Scot, que de simples dispositions à la grâce. Xon plus enim potest peccator viator malus nisi se disponere et tune dabitur sibi gratia a Deo qua bene poslea agit. Opus Oxon., t. II, dist. VII, q. un., n. 16, t. vi, p. 570. Encore est-il que, pour quelques-uns du moins, ces dispositions elles-mêmes relèvent du mérite de congruo. Cette idée s’exprime dans un passage souvent discuté sur l’attrition naturelle : Aut de peccatis commissis bene se habet [peccator], quantum potest ex naturalibus, vel maie. Si bene, hoc est displicel sibi quantum tenetur ex naturalibus, ex congruo meretur gratiam gratis datam. Et si bene utitur ipsa, cilo dabitur sibi gratia gratum faciens. Report. Paris., t. II, dist. XXVIII, q. un., n. 9, t. xi, p. 377. Sur quoi P. Minges, op. cit., p. 75 et 99, fait observer avec raison que le Docteur subtil ne fait ici que rapporter une opinion émise par Henri de Gand, Quodl., V, q. xx. Mais, dumoment qu’ils’abstient de la combattre, n’estce pas dire qu’elle répond, dans une certaine mesure, à sa propre pensée ? D’où il suit que le mérite de congruo ne s’appliquerait pas seulement aux œuvres antérieures à la grâce sanctifiante, faites avec le secours de la grâce actuelle, mais encore aux actes moralement bons qui préparent et obtiennent l’octroi de celle-ci.

S’il peut y avoir quelques doutes sur la pensée de Scot à cet égard, il n’y en a plus pour la plupart de ses disciples. Comme toujours, Biel est ici particulièrement affirmatif : Anima obicis remotione ac bono motu in Deum ex arbitra libertate elicito primam gratiam mereri potest de congruo. In IIum Sent., dist. XXVII, a. 2, concl. 4. Cf. In IV am Sent., dist. XIV, q. ii, a. 1, n. 2, où l’auteur invoque à l’appui de sa thèse quelques textes classiques de l’Écriture : Zach., i, 3 ; Jac, iv, 8 ; Apoc, iii, 20. De fait, cependant, l’homme reste en tout cela sous l’action de la grâce, tout au moins médicinale ; mais, en soi, les œures moralement bonnes suffisent pour créer à leur auteur un mérite de congruo. Voir C. Feckes, Die Rech/tertigungslelse des Gabriel Biel, p. 37-43, 8485. L’auteur affirme à tort, ibid, p. 39, que « cette doctrine, quoi qu’il en soit de la conviction subjective de Biel, est à peine, ou mieux, pas du tout compatible avec la doctrine de l’Église ».

Du reste, cette conception de Biel lui est commune

DICT. DE THÉOU CATH.

avec les représentants les plus qualifiés de l’école nominaliste. On la retrouve chez Durand de Saint-Pourçain, In Ium Sent., dist. XVII, q. n : au moins une fois chez Ockam, In Ium Sent., dist. I, q. n ; puis chez Roberr Holkot, Adam Wodham, Jacques Almain. En revanche, d’autres docteurs de ce groupe requièrent la grâce actuelle, même pour le simple mérite de congruo. Ainsi Henri de Hesse, In 1I U "’Sent., dist. XXVI, q. ii, c. 1 ; Marsile d’Inghem, qui admet la possibilité naturelle de mériter la grâce seulement pour l’état de nature intègre et non pour la nature déchue. In I Ium Sent., q. xviii, a. 3. Grégoire de Rimini combat formellement l’opinion contraire comme entachée de pélagianisme, In IIum Sent., dist. XXVI-XXVIII, q. i, a. 1 : Nemo potest mereri primam gratiam de condigno nec etiam de congruo contra aliquam sententiam modernorum. Voir sur ce point C. Feckes, op. cit., p. 91-110, 124-138. On devra donc réformer de ce chef les conclusions généralement acquises chez les historiens de la pensée médiévale, qui ne connaissaient jusqu’ici qu’un nominalisme uniforme, schématisé d’après ses représentants les plus absolus.

Il n’en reste pas moins qu’en général la théologie nominaliste restait portée à élargir le plus possible les conditions suffisantes pour le mérite de congruo. Ce qu’elle gagnait en étendue, cette doctrine était d’ailleurs loin, comme bien on pense, de le perdre en fermeté. Tout au contraire, la formule Fucienti quod in se est n’y est pas seulement conservée et commentée, mais glosée d’adverbes expressifs qui en soulignent la valeur. « Généralement parlant », suivant la remarque du P. Weiss, dans Denifle, Luther et Luthéranisme, trad. Paquier, t. iii, p. 171, n. 3, l’adage y est ainsi conçu : Fucienti quod in se est Deus infallibililer ou bien necessario dat gratiam. Voir les textes groupés dans Altenstaig, Lexicon theol., art. Facere quod in se est, et Meritum de congruo, fol. 109 v°-110r°, 193 v°. Dans le même sens, Biel aime présenter l’œuvre humaine comme disposilio ultimata necessitans ad /ormam. Voir C. Feckes, op. cit., p. 41.

Non que cette précision fût chose absolument nouvelle, puisqu’on la trouve déjà chez Alexandre de Halès, Sum. theol., p. III a, q. lxix, m. 5, a. 3, et chez saint Thomas, Sum. theol., Ia-Il 08, q. cxii, a. 3, qui l’interprètent, l’un et l’autre, dans le sens de l’immutabilité propre au plan divin. Ce qui suffit pour mettre la théologie nominaliste à l’abri du reproche d’erreur que lui adresse C. Feckes, p. 43. Mais le fait de sa plus grande généralisation dans la théologie du xive siècle n’en est pas moins significatif d’une tendance. Il doit être particulièrement retenu quand on se rappelle l’influence considérable du nominalisme’sur les premiers réformateurs.

Au total, sous une forme ou sous une autre, le mérite de l’homme a toujours sa place obligatoire dans l’économie du surnaturel, à côté de celui du Christ. Témoin cette affirmation synthétique de Biel : Licet Christi passio sit principale meritum propter quod confertur gratia, apertio regni et gloria, nunquam tamen est sola et totalis causa meritoria. Palet quia semper cum merilo Christi concurrit aliqua operatio lanquam meritum de congruo vel de condigno recipientis gratiam vel gloriam. Coll. in Sent., III, 19, a. 1, concl. 5.

Seuls les protestants peuvent s’offusquer de ce « concours » entre Dieu et l’homme, qui est la base même de tout le dogme catholique.. Il n’en est pas moins vrai que, sur cette foi commune de L’Église, le nominalisme met ici sa marque spéciale, en plaçant sur le même pied d’importance, sinon de valeur, le mérite de condigno et le mérite de congruo comme causes partielles du salut.

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