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703 MERITE, SA VALEUR CHEZ LES SCOLASTIQUES : SYSTÈME NOM1NALISTE 704

du nominalisme. Voir C. Fcckes, Die Recht/erligungslehre des Gabriel Biel und…der nominalistichen Sehule, p. 83, 94, 97, 102-103, 111-119. — Le mérite secundum quid de l’école réaliste achevait, avec le nominalisme, de glisser dans le relatif.

b) Conséquences : Mérite « de condigno ». — De cette conception du mérite découlent des conséquences sur son rôle et sa valeur. Elles achèvent de caractériser les positions de l’école nominaliste au regard de l’histoire et de marquer le sens de son influence.

Il semble tout d’abord que la théorie de l’acceptation doive annuler le mérite proprement dit. En effet, on a pu dire que le nominalisme tendait à ramener toutes nos œuvres au simple mérite de congruo. Tel est le jugement porté par A. Harnack, Dogmengeschichte, t.— ni, p. 653, n. 1, sur la doctrine d’Ockam. Or le même reproche a été formulé à l’adresse de Scot, non seulement par des protestants, H. Schultz, loc. cit., p. 296, mais aussi par des catholiques. J. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, p. 329.

La position exacte de celui-ci est sans doute plus subtile. Car c’est un fait incontestable qu’il admet, lui aussi, à plusieurs reprises et sans la moindre hésitation, que l’homme peut mériter au sens propre du terme. Témoin cette foi mule, où il réclame comme suprême condition de l’acte méritoire Vordinaiio hujus actus ad vitam setemam tanquam merili condigni ad preemium. Opus Oxon., loc. cit., n. 22, p. 963. Cf. Report. Paris., loc. cit., n. 10, p. 97, où il parle de nos œuvres comme d’une cause objective qui nous donne devant Dieu primo habilitalem acceplationi et poslea [acceptalionem ] de condigno secundum potentiam ordinalam. Avec les nuances d’idée et de langage propres au système, le mérite de condigno n’en est pas moins ici conservé.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Scot puisse dire que la rémunération de l’acte méritoire relève, jusqu’à un certain point, de la justice : Cui secundum régulas divinse justifiée judicatur vila œterna reddenda. Opus Oxon., loc. cit., n. 18, p. 958. Cf. Quodlib., q. xvii, n. 3, t. xii, p. 461 : Actum merilorium specialiter acceptât in ordine ad aliquod bonum juste reddendum pro eo. En conséquence, il lui arrive de nous accorder un droit à la gloire : droit suspendu chez le juste qui a péché, secundum jus sed suspensum ; droit de plein exercice chez le juste qui meurt en état de grâce : dignus est propinque quia habens jus non suspensum. Opus Oxon., t. IV, dist. XXII, n. 12, t. ix, p. 461.

Cependant on ne perdra pas de vue que nos titres restent subordonnés à l’acceptation divine et encourent, de ce chef, une indéniable précarité. (Deus] voluil ipsum [actum] esse meritum qui, secundum se consideralus, absque tali acceptatione divina secundum strictam juslitiam non fuissel dignus tali præmio ex intrinseca bonilale quam haberet ex suis principiis. Aussi la récompense est-elle nécessairement supérieure au mérite de celui qui l’obtient : Ideo bene dicitur quod semper Deus præmiat ultra meritum condignum, universaliter quidem ultra dignitatem actus qui est meritum, quia quod ille actus sit condignum meritum hoc est ultra naturam et bonitatem actus intrinsecam ex mera gratuita acceptione divina. Opus Oxon., t. I, dist. XVII, q. iii, n. 26, t. v b, p. 965. Tous les nominalistes sont restés fidèles, dans la suite, à cette doctrine du Docteur subtil. Voir, pour Biel, C. Feckes, op. cit., p. 82 sq. « Vais cette diminution théorique de la valeur des œuvres humaines devant Dieu, comme le fait observer assez exactement, dans l’ensemble, H. Schultz loc. cit., p. 296-297, n’a pas d’autre résultat pratique que d’accentuer la confiance dans le mérite. » En effet, continue l’auteur, « Scot, lui aussi » — — et l’on peut en

dire autant de l’école nominaliste tout entière — « lient fermement d’avance que Dieu a ordonné les choses humaines de telle façon que partout c’est le mérite et la récompense, une règle juridique par conséquent, qui décident de notre béatitude. Le mérite a partout sa place sur les chemins de la vie éternelle… Si donc tout mérite n’est proprement qu’un mérite de congruo et n’obtient sa récompense que par une acceptation de Dieu, toutes les différences disparaissent qui, chez les thomistes, restreignaient encore la confiance en nos œuvres propres. Dieu peut considérer comme mérite un acte, tel que la simple attrition, qui n’est pas inspiré par le pur amour. Toute œuvre morale qui procède de la liberté humaine et de sa grâce, il peut la tenir pour un mérite de condigno, digne de la récompense éternelle. Ainsi s’élargit, en fait, l’importance du mérite… et rien n’empêche que l’homme puisse mériter tout son salut depuis le commencement si Dieu l’a une fois voulu. »

c) Conséquences : Mérite « de congruo ». — Si la doctrine nominaliste de l’acceptation divine n’est pas, à tout prendre, défavorable au mérite de condigno, qui garde dans le système sa place et son importance traditionnelles, elle est certainement favorable au mérite de congruo, qui n’a reçu nulle part un relief aussi accentué.

En effet, la part de la préparation humaine à la grâce est ici de plus en plus large. Voir Justification, t. viii, col. 2128-2129, et l’école nominaliste se montre à ce point généreuse pour la nature qu’on a pu se demander si elle ne compromettait pas la nécessité d’un secours divin surnaturel. Aussi le grief de « néopélagianisme » est-il classique à cet égard chez les historiens protestants. Loofs, Dogmengeschichte, p. 596, 612, 615. Il s’est même trouvé des théologiens catholiques pour le formuler à l’adresse de Scot, Scheeben, Handbuch der kath. Dogmatik, t. ii, p. 414, ou du moins de son école. F. Llùnermann, Wesen und Nolwendigkeil der akluellen Gnade nach dem Conzil von Trient, p. 5.

Non content, en effet, de reprendre les doctrines communes de l’ancienne école franciscaine, voir plus haut, — col. 694, sur le libre arbitre considéré comme une gratia gratis data et sur la communis injluentia de Dieu qui suffirait à fonder le caractère surnaturel d’un acte, le Docteur subtil manifeste partout, à n’en pas douter, l’intention de porter à leur maximum les forces de l’homme et la valeur de ses œuvres naturelles. A cet optimisme la thèse de l’acceptation venait fournir une justification théologique : du moment que nos mérites surnaturels eux-mêmes ne valent que par le bon plaisir de 1 ieu, rien ne l’empêche d’accepter aussi bien les actes de la simple nature qui deviendront méritoires parle fait. C’est à ce point que P. Minges, tout en s’efforçant de disculper Scot des tendances pélagienres ou semi-pélagiennes qui lui sont imputées, se voit obligé de reconnaître que sa doctrine de la grâce actuelle présente beaucoup et de graves lacunes. Die Gnadenlehre des Duns Scolus, Munster-en-V., 1906, p. 88. Il espère cependant pouvoir montrer que sa pensée sur la nécessité et la gratuité du secours divin à la base de nos premiers mouvements vers le bien est « suffisamment correcte ». Ibid., p. 66 ; cf. p. 101.

On doit tenir compte tout d’abord de la position très nette prise à maintes reprises par le Docteur subtil contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme. Voir Minges, op. cit., p. 56-66, et, ici même, Duns Scot, t. iv, col. 1899-1901. Pour lui, comme pour saint Augustin, la grâce est toujours un don essentiellement et nécessairement gratuit… Gra’.ianon esset gratia quia esset ex meriiis. Opus Oxon., t. II, dist. V, q. i, n. 2„ t. vi, p. 505. Cf. Report. Paris., t. IV, dist. II, q. i, n. 1, où se lit cette objection : Gratia gratis datur,