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701 MÉRITE, SA VALEUR CHEZ LES SCOLASTIQUES : SYSTÈME NOMINALISTE 702

entend, sinon d’une commensuratio per omnimodam œquolilatem. du moins per quamdam convenienlem proporlionabiliUitem sicut frudus dicitur rec’c commensurari semini. Ibid.. ad 4’"", p. 668. La grâce rend possible cette commune mesure : car elle se traduit par la présence et l’action de Dieu en nous : Gratta gratum fæiens… nominat dioinum influentiam per qaam anima habet Deum et Deus habitat in anima. Ibid., q. ru, a. 1, p. 660. Elle donne, en conséquence, un caractère divin à tous les actes faits sous son influence : In quantum ortum habet a gratia, sic, cum gratia reddal hominem acceptum Deo et sit quid dioinum et ad hoc sit ordinata ut ducal ad Deum, opus illud est meritorium merito condigni. Ibid., q. iii, a. 2, p. G67. Cf. ibid., a. 1, q. i, p. 654. D’où cette formule toute réaliste du mérite : [Est] meritum condigni quando jnstus operatur pro se ipso, quia ad hoc ordinatur gratia ex condigno. In I" m Sent., dist. XLI, q. i, a. 1, t. i, p. 729.

Nos docteurs n’oubliaient pas, bien entendu, que tous nos mérites sont fondés sur les mérites du Christ. Mais ceux-ci ne nous sont pas étrangers : tout au contraire, en vertu de la gredia capitis, qui fait du Christ la tête du corps mystique, ils deviennent le principe effectif des nôtres. Voir S. Thomas, Sum. theol., III 1, q. viii, a. 1-3 ; S. Bonaventure, In III am Sent., dist. XIII, a. 2, t. iii, p. 283-293 ; cf. ibid., dist. XVIII, q. ii, a. 1, p. 384. Et si l’on insiste en disant que, malgré tout, nos mérites sont, en fin de compte, une grâce, Guillaume d’Auvergne avait déjà répondu que ce fait augmente leur valeur, loin de la diminuer. Nec propler hoc quoniam gratia est opus bonum vel donum Dei minus meritorium est ; ymmo amplius, quoniam propter hoc et melius est et Deo magis acceptum. De meritis, dans Opéra, fol. ccxxxii r°.

2. Système nominaliste.

Déjà cependant tout leur réalisme n’empêchait pas nos théologiens de reconnaître qu’il faut poser d’abord comme base et condition de nos mérites un vouloir spécial de Dieu. Ce qui les fait nécessairement passer de la catégorie de l’absolu, simpliciler, dans celle du relatif, secundum quid. Voir plus haut, col. 682. Dans cette voie, il arrive même au Docteur angélique de parler d’une acceptation divine : Bonis operibus regnum cœlorum emitur in quantum Deus accipit opéra nostra acceptans ea. In I P’m Sent., dist. XXVII, q. i, a. 3, t. viii, p. 367. Et sans doute tout son système impose d’admettre que cette acceptation est objectivement fondée : il n’en est pas moins vrai qu’une sorte de fissure est ouverte par là dans les flancs du réalisme, que la critique de ses adversaires se chargerait d’élargir.

a) Principe : Doctrine de l’acceptation divine. — Toutes les lignes directrices du nominalisme sont déjà nettement dessinées chez Scot.

Dans le mérite, il y a, d’après lui, deux aspects à distinguer : la substance même de l’acte, qui relève de nous, et son caractère méritoire, qui lui vient du bon plaisir divin qui l’accepte comme tel. In actu meritorio… duo considerare oportel : videlicet illud quod prweedit rationem meritorii, et in hoc gradu includitur et intenlio actus et subslantia actus et recliludo morulis. Vitra hoc considero et ipsam rationem meritorii, quod est esse acceptum a divina voluntate in ordine ad preemium, vel acceptabile esse sine dignum acceptari. A ce dernier point de vue, l’œuvre humaine n’est et ne peut être qu’une « disposition », dont l’ordre du plan providentiel nous garantit cependant l’efiicacité : Complelio in ratione merili non est in potestate mea nisi dispositive, tamen sic dispositive quod ex dispositione divina semper sequitur illud completivum ad ugere meum, sicut semper sequitur animalio ad organizationem factam a causa naturali. Opus Oxon., I. I, dist. XVII, q. iii, n. 24-25, édit. de Lyon, 1639, t. v b, p. 964-965.

Ainsi l’acceptation par Dieu est un élément essentiel de la ratio meritorii. Ce point particulier entre d’ailleurs dans une théorie générale des vouloirs divins ad extra et du rôle de la charité à leur endroit, théorie que le Docteur subtil expose plus amplement dans Report. Paris., t. I, dist. XVII, q. ii, t. xi, p. 96-97. On sait que la même doctrine s’applique également au mérite du Christ, qui ne vaut pour notre rédemption que moyennant l’acceptation divine. Voir sur ce dernier point P. Minges, Beilrag zur Lehre des Duns Scotus ïiber das Werk Christi, dans Theol. Quartalsehri /l, 1907, t. lxxxix, p. 268-279.

Par suite de cette conception, Scot est communément accusé de ramener le mérite, comme en général toutes les relations morales entre Dieu et l’homme, au pur arbitraire divin. Voir A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 653> après R. Seeberg, Die Théologie des Duns Scolus, Leipzig, 1900, p. 312-313, et K. Werner, Die Seholur>tik des spàleren Mittelalters, t. i : Johannes Duns Scotus, Vienne, 1881, p. 424-425. Contre ces jugements excessifs, P. Minges a justement réagi. Voir son article intitulé : Der Wert der gulen Werke nach Duns Scotus, dans Theol. Quarlalsehrijt, 1907, p. 73-93. Remise dans son contexte, cette doc trine signifie seulement que le Docteur subtil entend par là sauvegarder l’absolue indépendance des décrets de Dieu, qui ne saurait jamais rien vouloir pour des raisons étrangères à lui-même, et donc exclure l’idée d’un droit en stricte justice de notre part. Ainsi l’acceptation de Dieu ne serait qu’une forme plus aiguè donnée à cette divina ordinatio que déjà saint Thomas lui-même, voir col. 682, place à la source de tous nos mérites. Mais Scot est si loin de la donner comme dénuée de fondement objectif qu’il exige la grâce sanctifiante à sa base : Propter hanc acceptationem naturx bealifieabilis habitualem, etiam quando non operatur, et propter acceptationem actualem actus eliciti a tali natura oportet ponere unum habituai supernaturalem, quo habens formaliter accepletur a Deo et quo actus elicitus ejus acceptetur tanquim m’ritorius. Opus Oxon., loc. cit., n. 22, p. 963. Cf. Report. Paris., loc. cit., n. 4, p. 96 : Relinquitur quod charilas sit ratio acceptabilitutis in objecto acceplabili.

Il n’en est pas moins vrai que cette analyse tendait à distendre le lien objectif qui unit la grâce à la gloire et, par là-même, le rapport intrinsèque de nos actes méritoires à leur récompense. Scot professe, en eflet, et P. Minges n’en disconvient pas, loc. cit., p. 84, que cet ordre providentiel relève de la potentia ordinata. Report. Paris., loc. cit., n. 10, p. 97, c’est-à-dire ne signifie pas autre chose qu’un pur état de fait. En droit, il pourrait donc en être différemment : Dico quod Deus de potentia absoluta bene potuisset acceptare naturam beatifieabilem acceptation ; spirituali prædicla existentem in puris naturalibus et similiter actum ejus, ad quem esset inclinalio ejus mère naturalis, potuisset acceptare ut meritorium. Opus Oxon., loc. cit., n. 29, p. 968.

Ces positions sont restées, dans la suite, celles de toute l’école nominaliste. Voir Biel, t. ii, col. 820. Chez Ockam, en particulier, l’affirmation de la liberté divine est poussée à son extrême limite. Sans doute il admet qu’il n’y a pas d’acte méritoire sine gratia creata ; mais c’est uniquement de potentia ordinata, c’est-à-dire propter legss voluntarie et contingenter a Deo ordinatas. Rien donc ne s’oppose à ce que cet ordre pût être changé : Sicut Deus voluntarie et libère acceptât bonum molam voluntatis tanquam meritorium, quando elicitur ab habenle caritatem, Ha Deus potentia sua absoluta possel acceptare cumdem motum voluntatis eliamsi non infundat caritatem. In Ium Sent., dist. XVII, q. i et h. Cf. Quodl., vi, a. 1. Il n’y a pas sur ce point de voix discordante chez les divers représentants