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699 MÉRITE, SA VALEUR CHEZ LES SCOLASTIQUES : SYSTÈME REALISTE 700

fecit mcreatur. Isla cnim miseriordia est adjiincta quodammodo juslitiie plus quam in Mo qui nunquam aliquid fecit. Et isto modo non obliviscitur Deus operis nostri. In Epist. ad Ilebr., vi, lect..’î, Opéra, t. xxi, p. 633. D’où il suit que suint Thomas, comme le concède Chr. Pesch, Pncl. dogm., Fribourg-en-B., 4e édit., 1916, t. v, p. 2(5(i, in hac doctrina sibi conslans non est.

On ne s’étonnera pas que l’opinion la plus favorable à la nature humaine ait les préférences de saint Bonaventurc. Voir In Il" m Sent., dist. XXVIII, bid. ii, t. ii, p. 091 : Si quwratur ulrum uliquis in statu gratiæ existais possit sibi mereri primant gratiàm post recidivum, et hoc orando et petendo ut, si caderel, Deus illum felevarei, dieendum quod non potest ex merito condigni, sed sotum ex merito congrui. A plus forte raison cette doctrine se retrouve-t-elle chez Scot. Voir Opus Oxon., t. I, dist. XIV, q. ii, n. 15, édit. de Lyon, 1039. t. ix, p. 45 : Potest dici quod Deus disponil per atlritionem in aliquo tempore, tan.qu.am per aliquod meritum de eongruo, in aliquo instanti dure gratiam.

11 semble que la même solution doive s’appliquer au problème tout voisin de la persévérance finale. Saint Thomas n’admet pas de mérite à cet égard. Car, dit-il, I a —II æ, q. exiv, 1. 9, illud cadit sub humano merito quod comparaiur ad molum liberi arbitra direcli a Deo movente sicut terminus, non autem id quod comparaiur ad prssdiclum molum sicut principium. Or le don de la persévérance n’a et ne peut avoir son « principe » que dans la grâce : Persevcrantia vise non cadit sub merito, quia dependet solum ex motione divina quæ est principium ornais meriti. La généralité absolue de cette réponse semblerait exclure même le simple mérite de eongruo. Cependant le Docteur angélique reconnaît ici l’efficacité de la prière et équipare le cas à celui du pécheur qui sollicite le pardon d’un autre pécheur : Eliam ea quæ non meremur orando impelramus. Nam et Deus peeccatores audit peccatorum veniam pelentes quam non merentur… Et similiter perseverantias donum aliquis petendo a Deo impclral vel sibi vcl alii, quamvis sub merito non cadat. Ibid., ad lum. Ailleurs, distinguant la via orationis de la via meriti, il donne comme exemple de la première le cas du juste qui obtient à un pécheur la grâce de la conversion : Sicut quod unus homo impetrat alteri primam gratiam. In IVum Senl., dist. XLV, q.n, a. 1, sol. 1, t. xi, p. 366. Or, d’après la Somme, I a —II æ, q. exiv, a. 6, c’est là, comme on l’a vii, col. 698, le type même du mérite de eongruo. Il y a donc tout lieu de croire que le mot seul manque à propos de la persévérance finale, sans que le Docteur angélique prétende par là nier la chose, que toute la logique de son système semble plutôt appeler.

Quoi qu’il en soit, au demeurant, de flottements inévitables, la théorie du double mérite est parfaitement ferme dans la théologie du xme siècle, et les points secondaires qui divisent les docteurs sont de peu d’importance auprès de ceux qui les unissent. Si la valeur des œuvres humaines est inégale suivant qu’elles procèdent ou non d’un principe surnaturel, elles ont toutes leur prix à leurs yeux. C’est pourquoi les historiens protestants leur adressent à l’envi le reproche de semi-pélagianisme, comme d’ailleurs à l’Église tout entière dont ils sont les témoins, et saint Thomas lui-même, bien que censé le plus augustinien de tous, n’échappe pas à ce grief. F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 552, découvre chez lui tout au moins du

crypto-semipélagianisme » et Ad. Harnack, plus

brutal, parle même à son sujet de pélagianisme tout court. Dogmengeschichte, t. iii, p. 650 ; cf. p. 642-643. Jusqu’à travers la passion de dénigrement qui les inspire et les déformations flagrantes qu’ils trahissent,

ces gros mots et ce vain schématisme ne laissent-ils pas apercevoir combien large et harmonieuse, par rapport aux horizons rétrécis de la Réforme, est la vision du plan divin que la foi catholique suggérait à l’esprit médiéval ?

Valeur du mérite.

Sur cet accord fondamental,

on voit pourtant se dessiner dès le xiii’siècle et s’accentuer dans la suite des divergences spéculatives, quand il s’agit de préciser exactement le caractère du mérite et le dernier mot de sa valeur. Les courants généraux qui traversèrent la scolastique allaient ici faire sentir leur action

1. Système réaliste.

Du moment que le mérite signifie essentiellement un droit à la récompense, la conception la plus obvie est assurément celle qui consiste à le tenir pour une valeur, non seulement objective, mais intrinsèquement proportionnée à son résultat. Il suffit pour cela de se représenter la grâce qui en est le principe comme une réalité d’ordre ontologique et c’est ce que toutes les écoles du xme siècle faisaient couramment

a) École dominicaine. — Ce réalisme, qui caractérise toute la doctrine du surnaturel dans saint Thomas, voir Justification —, t. viii, col. 2126, se répercute logiquement sur la notion du mérite.

L’idée fondamentale du Docteur angélique est que le mérite de condigno, le seul auquel soit dû proprement ce nom, suppose une proportion entre l’œuvre humaine et la récompense divine. Or cette proportion existe pour ainsi dire de piano, moyennant la grâce qui est en nous : Quædam proportionis apqualitas invenitur inler Dcum prsemiantem et homimm merenlem, dum tamm… meritum etiam sit per talem actum in quo refulgcal bonum illius habilus qui divinilus in/unditur, Deo nos consignons. In IIum Sent., dist. XXVII, q. î, a. 3, t. viii, p. 367. Cf. ibid., a. 5, ad 3um, p. 370 : Per gratiam infusam constituitur [homo] in esse divino ; unde jam actus sui proportionati efjiciuntur ad promerendum augmentum vel perfectionem gratiæ.

La Somme, I a —II*, q. exiv, a. 1, précise que tout mérite de notre part suppose, au préalable, une orrfinalio’divina. Mais, sur la base de ce décret, nos œuvres surnaturelles ont, sans autre considération, une valeur réelle, parce qu’elles sont le fruit de la grâce. C’est pourquoi saint Thomas expose, ibid., a. 3, que nous pouvons mériter proprement la vie éternelle : Secundum quod procedit [opus merilorium] ex gratia Spiritus sancti, sic est merilorium vitie œternx ex condigno : sic enim valor meriti allenditur secundum virtutem Spirilus Sancti moventis nos in vitam œternam. A côté de l’Esprit-Saint, qui est la grâce incréée, il faut aussi faire entrer en ligne de compte le don créé qu’il dépose en nos âmes : Altenditur eliam pretium operis secundum dignitatem gratiæ per quam homo consors f actus divinee naturæ adoptatur in fdium Dei, cui debetur hereditas ex ipso jure adoptionis. On ne saurait marquer plus fortement le rapport intrinsèque de continuité qui unit nos mérites à leur terme et, par conséquent, mieux exprimer l’absolu réalisme’de leur valeur. Il s’ensuit que nos bonnes œuvres nous donnent une véritable créance sur Dieu. Non pas que Dieu puisse devenir notre débiteur, mais parce qu’il se doit à lui-même d’accomplir son décret. Quia aclio noslra non habet rationem meriti nisi ex præsuppositione divinse ordinalionis, non sequitur quod Deus sfficiatur simpliciter débiter nobis, sed sibi ipsi, in quantum debitum est ut sua ordinatio impleatur. Ibid., a. 1, ad 3um.

b) Ecole franciscaine. — Saint Bonaventure professe un réalisme non moins déterminé. Pour lui également, il existe quædam commensuralio et adœquatio meriti ad præmium. In I I nm Sent., dist. XXVII, a. 2, q. ii, t. ii, p. 664. Cf. ibid., q. iii, p. 666. Ce qu’il