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697 MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : ROLE DU MÉRITE DE CONGRUO 698

Il n’y a donc pas lieu d’opposer le Docteur angélique aux représentants de l’école franciscaine. Tout ce qu’on peut faire observer, c’est qu’il ne met pas la moindre réserve à dire que l’homme ne peut se mériter à lui-même la première grâce, ibid., a. 5 : [Gratia] non potest cadere sub merito non habentis gratiam et que, plus haut, en parlant de la préparation nécessaire à la grâce, q. cxii, a. 2-3, il s’abstient de jamais faire intervenir le mérite de congruo. Il y avait là une nuance, et qui ne devait pas échapper aux disciples fidèles du Docteur angélique ; mais elle ne suffit pas à créer une divergence de fond.

c) Problème de la préparation à la grâce : Témoignages isolés. — En dehors des deux grandes familles, franciscaine et dominicaine, bien d’autres maîtres ont enseigné, qu’on ne saurait grouper en écoles précises. Quelques témoignages suffiront à montrer que leurs doctrines ou du moins leurs tendances n’étaient pas différentes.

L’auteur non encore identifié des Quæstiones in Epislolas Pauli écrit des philosophes païens : Ideo inexcusabiles juerunt, quia non fecerunt quantum potuerunt. Ce qui laisse entendre qu’ils seraient arrivés à la foi s’ils avaient fait tout ce qui dépendait d’eux. Et l’auteur, en effet, de rapporter aussitôt diverses opinions plus ou moins accentuées dans ce sens, dont notamment celle-ci : Tametsi fldem non possent mereri, tamen ex eo quod habebant idonei et apti ad fldem suscipiendam potuerunt fleri. Sans adopter cette solution, il admet pour son propre compte quod Deum gloriflcare potuerunt ex parte elsi nondum per/ecte. Car les pécheurs eux-mêmes peuvent faire bien des œuvres bonnes : Mulla faciunt bona licet ad salutem insuffleientia. In Epist. ad Rom., q. 38-39, P. L., t. cxxxv, col. 440-441. Un peu plus loin, q. 99, col. 459, l’auteur en précise ainsi la portée : Bona opera quæ flunt ante fldem, elsi non prosint ad l’ilam promerendam, valent tamen ad suscipiendam.

C’était la doctrine du mérite de congruo sans le terme, peu usité sans doute, sinon absolument inconnu, à ce moment-là. Guillaume d’Auvergne le prononce expressément : Qui orat Deum ut remittat sibi peccata sua et qui jacit quod suum est vel potest lugendo, dolendo, penitendo, lachrimando, congruil divinse bonitati ut misereatur ipsius. Congruil etiam cordi sic parato ut respiciatur a Deo eique gratiam suam infundat. Merilo ergo congrui dicitur mereri remissionem peccalorum vel gratiam qua Deo gratus et acceplabilis fiât. De meritis, dans Opéra, fol. ccxxix r°.

Pour voir combien la question des œuvres préparatoires à la justification divisait peu la théologie médiévale, il suffit de lire ces lignes sereines du Compendium theol. veritatis, v, 11, p. 161, qui donnent très exactement, si l’on peut dire, la note moyenne de l’enseignement reçu : Nullus meretur sibi gratiam merito digni vel merilo condigni, sed tantummodo merito congrui.

La tendance ne fera que se développer, au xiv » siècle, comme on le verra bientôt, voir plus bas, col. 704, sous l’influence du nominalisme. C’est au point que Thomas Bradwardin († 1349) croyait voir « le monde presque tout entier revenir à l’erreur de Pelage ». Une des formes les plus graves de cette invasion lui paraissait précisément être la doctrine du mérite de congruo. Voici, en effet, les principales thèses où il condense les erreurs de ses contemporains : Quod mérita non sunt caussa principalis graliæ nobis datée, sed caussa sine qua non datur (i, 36). Quod homo non potest ex se mereri proprie gratiam, potest tamen se débite prieparare et tune Deus sibi dubit gratiam suum gratis (i, 37). Deum semper prwvenire pulsando et excitando ad gratiam… et hominem subsequi aperiendo et consenliendo, et hoc ex propriis viribus per seipsum (i, 38). Domines ex solis

propriis viribus gratiam Dei mereri de congruo, non autem de condigno <r, 39). De ces erreurs, la dernière, qui les résume toutes, lui paraît laplus grave tout à la fois et la plus répandue : Et quia iste error est famosior cœteris lus diebus et nimis multi per ipsum in pelagianum prœcipitium dilabuntur, necessarium videtur ipsum diligentiori examine perscrutari. Suit, en effet, une critique qui ne couvre pas moins de quarante pages in-folio. De caussa Dei contra Pelagium, cité dans W. Mùnscher, Lehrbuch der christlichen Dogmengeschichte, 3e édit., Cassel, 1831, t. ii, p. 156, et de là reproduit dans A. Harnack, Dogmengeschichlc, t. iii, p. 652.

Il n’y a pas à tenir compte des alarmes doctrinales de Bradwardin, qui était, comme il en convient, à peu près seul à les formuler et qui versait lui-même, par réaction, dans le prédestinatianisme le plus complet. Voir Augustinisme, t. i, col. 2536-2537. Mais rien n’empêche de retenir son témoignage historique sur la popularité du mérite de congruo dans les écoles de son temps.

d) Quelques problèmes secondaires. — Cette même notion servait aussi à résoudre quelques problèmes de moindre importance. Elle s’appliquait à point nommé, chaque fois qu’il y avait une valeur morale à sauvegarder sans qu’il pût être question de mérite proprement dit.

Ainsi en était-il du mérite pour les autres. L’Écriture signale à maintes reprises l’efficacité de la prière des justes, mais en notant aussi des cas où elle est impuissante : le mérite de congruo fournit à saint Thomas la solution de cette apparente antinomie. Merito condigni nullus potest mereri alteri primam gratiam nisi solus Christus… Sed merito congrui potest aliquis alteri mereri primam gratiam. Quia enim homo in gratia constitutus implet Dei voluntatem, congruum est secundum amicilise proporlionem ut Deus impleat hominis voluntatem in salvatione cdterius. Sum. theol., Ia-IIæ, q. exiv, a. 6. Bien entendu, il est dans la nature d’un tel mérite de n’être pas nécessairement efficace. Cependant le Docteur angélique lui reconnaît, dans son commentaire des Sentences, une valeur plus grande qu’à celui du pécheur qui prie pour lui-même : Est hic plus de ratione meriti quam quando aliquis dicitur sibi mereri gratiam ex congruo. In II am Sent., dist. XXVII, q. i, a. 6, t. viii, p. 371. On a vu que saint Bonaventure et d’autres avaient adopté pour ce cas spécial le terme moyen de meritum digni ; mais, au fond, leur pensée ne diffère pas de celle de saint Thomas.

En dehors de l’accès à la première grâce, l’expérience des âmes aussi bien que les principes de la théologie amenaient à se poser le cas, non moins pratique, du retour en grâce en cas de péché. Un homme peut-il se mériter à lui-même sa conversion éventuelle ? Sur ce point, la réponse de saint Thomas, dans la Somme, I a -ir D, q. exiv, a. 7, est résolument négative : Respondeo dicendum quod nullus potest sibi mereri reparationem post lapsum fulurum, neque merilo condigni, neque merito congrui. fl va de soi, en effet, que le mérite de condigno est ici impossible ; mais le inéiite de congruo lui paraît également exclu. Si, en effet, le succès de la prière faite pour un pécheur se heurte à l’obstacle de son péché, multo magis impeditur ialis meriti eflicaciu per impedimentum quod est et in eo qui meretur et in eo cui meretur ; hic enim utrumque in unam personam concurrit. Cependant le texte Non injustus est Deus ut obliviscatur operis vestri, Hebr., vi, 10, lui suggère ailleurs une solution plus consolante. Après avoir écarté le meritum condigni, il continue : Aliud est quod soli misericordiæ innititur, quod dicitur meritum congrui. Et de isto dicit quod juslum est, id est congruum quod homo qui mulla bona