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693 MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : ROLE DU MÉRITE DE CONGRUO 694

testait avec force à la créature la possibilité d’acquérir aucun mérite de condigno devant Dieu : Nulla creatura potest a Deo mereri aliquid nisi de congruo, sic quod nihil penitus de condigno. De dominio divino, iii, 4, édition R. L. Poole, Londres, 1890. p. 228. Cf. ibid., 6, p. 2I ! » -256.

Il est bon de se rappeler ces discussions d’école pour comprendre les débats qui devaient se produire chez les Pères de Trente, et apprécier la prudence voulue des termes dans lesquels le concile formule sa définition. Mais, au total, il ne s’agit là que de divergences superficielles. Dans l’ensemble, l’École s’accorde à professer que, si la grâce est indispensable pour le mérite de condigno. elle est suffisante pour l’obtenir.

2. Mérite « de congruo ». — Si les bonnes actions faites en état de grâce peuvent seules prétendre au mérite de condigno, s’ensuit-il que les autres soient sans valeur ? La question se posait surtout pour les œuvres préparatoires à la justification, dont la nécessité était unanimement reconnue. Voir Justification, t. viii, col. 2118-2120. Ce qui obligeait à en admettre jusqu’à un certain point l’efficacité, sans néanmoins compromettre le dogme capital de l’absolue gratuité de la grâce. A ce problème délicat, puis à quelques autres du même ordre, la doctrine du mérite de congruo fournit la solution.

a) Problème de la préparation à la grâce : École franciscaine. — II est classique à cet égard, chez les historiens protestants, de signaler, dans l’ancienne école franciscaine, une tendance particulièrement favorable aux œuvres de l’homme en vue de la justification. C’est là surtout que s’affirmerait le mérite de congruo, au point de représenter ce qu’on appelle un véritable « néo-semipélagianisme ». F. Loofs, Dogmengeschichle, p. 544-547. Cf. Harnack, Dogmengeschichte. t. iii, p. 644.

De fait, Alexandre de Halès attribue au mérite de congruo chez le pécheur le même rôle qu’au mérite de condigno chez le juste : Sicut noluit (Deus] dare gloriam homini quin præcederet in homine quodanvnodo meritum condigni per usum gratiœ…, sic noluit dare gratiam nisi præmbulo merito congrui per bonum usum naturæ, ut sic homo efjiceretur gloriosior et laudabilior. Sum. theol., p. II a, q. xevi, m. 1. Cette réflexion est faite au sujet du premier homme, qui, d’après l’école franciscaine, fut admis à se préparer a la grâce par l’usage préalable de ses dons naturels. -Mais, outre qu’à propos de ce cas particulier Alexandre entend bien formuler une loi générale de la Providence, ce meritum congrui revient ailleurs sous forme de meritum interpretativum, p. III a, q. lxix, m. 5, a. 2, n. 1, qui présente exactement le même sens, quand il s’agit d’expliquer le texte de Zacharie, i, 3 : Convertimini ad me et ego convertar ad vos.

Or les mêmes positions au sujet du premier homme sont adoptées par saint Bonaventure. In II nm Sent., dist. XXIX. a. 2, q. ii, t.n, p. 703. Un peu plus haut, Ibid., dist. XXVII, a. 2, q. ii, p. 665, le Docteur séraphique appliquait le même principe aux bonnes œuvres du pécheur : …Est congruitas sine dignitate et sic peccalor per bona opéra in génère, facta extra caritalem, meretur de congruo primam gratiam.

La valeur du mérita de congruo est fort bien exprimée par l’adage célèbre : Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam. Cette formule n’était pas sans attaches avec la théologie patristique. F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 545, en relève une certaine approximation chez saint Jérôme, Dial. ado. Pelag., m, 6, P. L., t. xxiii (édit. de 1865), col. 601-602 : (Deus] coronat in nobis… quod ipse operutus est : volunlutem nostram quæ obtulit omne quod potuit et laborem qui contendit ut jaceret. Mais on peut remonter plus haut, puisqu’on la trouve déjà chez Origène,

C.ont. Gels., xii, 42, P. G., t. xi, col. 1481. Cf. In Matth., corn, séries, 69, t. xiii, col. 1710. Du beau livre de L. Capéran, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912, p. 91-93, 158, il ressort que cette idée fut admise, en termes plus ou moins analogues, par plusieurs Pères grecs. Voir, par exemple, S. Grégoire de Nazianze, Oral., xviii, 6, P. G., t. xxxv, col. 992 ; S. Grégoire de Nysse, Orat. cat. magna, 30, t. xlv, col. 77 ; S. Jean Chrysostome, In Rom., hom. xxvi, 4, t. lx, col. 642 ; S. Nil, Epist., i, 151, t. lxxix, col. 145. Il n’en est pas moins vrai que c’est au Moyen Age seulement que l’adage commence à devenir classique, et il y a là un nouvel indice des préoccupations nouvelles qui commençaient à se faire jour.

Alexandre de Halès l’accepte dans toute sa plénitude sans la moindre restriction. S ; ’obtulerimus quæ ex nobis sunt, consequemur ca quæ Dei sunt. De ce texte d’origine inconnue, qu’il recueille sous le nom d’Origène, l’auteur déduit : Ergo si Deo ofjerimus nostram voluntatem et ea quæ in nobis sunt, ex natura consequimur quæ Dei sunt, scilicel beatitudinem œternam. Sum. theol., p. III a, q. lxix, m. 1, a. 1. Et un peu plus loin, ibid., m. 5, a. 3, il ne manque pas de faire observer que le facere quod in se est comporte des applica’tions différentes : chez l’infidèle, il ne peut être ques tion que de sa raison naturelle, tandis que le fidèle pécheur bénéficie, en outre, des lumières de la « foi informe » qui agissent toujours en son âme.

Saint Bonaventure adopte également la formule : Facienti quod in se est. Voir In II am Sent., dist.

    1. XXVIII##


XXVIII, a. 2, q. i, t. ii, p. 683. Il en donne même cette variante expressive : Si facit homo quod in se est, Deus facit quod in se est. In IV am Sent., dist. XVI, p. ii, a. 2, q. ii, et dist. XVII, p. i, a. 1, q. iv, t. iv, p. 408 et 424. Et il est acquis sans conteste qu’aux œuvres faites dans ces conditons il attribue un meritum congrui. Voir In III am Sent., dist. IV, a. 2, q. ii, t. iii, p. 107 : Est meritum congrui in quo peccator dicitur gratiam sibi mereri cum ad gratiam se disponit. Cf. In II" m Sent., dist. XXVII, a. 2, q. ii, t. ii, p. 665.

Ni l’un ni l’autre cependant ne méritent le reproche de « néo-pélagianisme » qu’on leur a adressé. Car le Docteur séraphique, ainsi qu’il ressort du dernier texte cité, pense uniquement à une « disposition > à la grâce et non pas à un droit. Cf. In II am Sent., dist.

XXIX, a. 1, q. ii, ad 6um, t. ii, p. 699. Il en est de même chez Alexandre de Halès, p. IID, q. lxix, m. 3, a. 3 : Non prævenit gratiam ut meritum seu meritorie… ; prœvenit tamen actio Ma gratiam ut disponens ad illam…, non sicut causa gratiæ sed sicut dispositio habilitons ad recipiendam gratiam. Voir sur ce point K. Heim, Das Wesen der Gnade und ihr Verhaltnis zu den nalùrlichen Funklionen des Menschen bel Alexander Halesius, Leipzig, 1907, p. 71-74.

Du reste, cette préparation elle-même ne se fait que sous l’influence de la grâce, comme le reconnaissent des protestants impartiaux. Voir Heim, op. cit., p. 117-122, dont les conclusions sont retenues par R. Seeberg, Dogmengeschichte, t. iii, p. 404-405, 415417. La seule particularité est que les docteurs franciscains appellent cette grâce gralia gratis data et la ramènent à la Providence générale de Dieu dont tout homme est investi. Mais, dans ce sens, ils la tiennent, à n’en pas douter, pour indispensable. Ainsi saint Bonaventure, In IP’m Sent., dist. XXVIII, a. 2, q. i, t. ii, p. 682 : Tencndum est igitur quod liberum arbitrium, si excitetur per aliquod donum gralia’gratis datse, potest ad gratiam gratum facienlem se de. congruo disponere ; si autem onmi tait munere conlingat ipsuin destitui, nunquam posset ad illam disponi. Autres références à l’art. Justification, t. viii, col. 21 19. Voir sur ce point l’important mémoire de Fr. Mitzka, Die Lehre des hl. Bonavenlura von der Vorbereitung auf die