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691 MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : MOLE IH M KRITl DE CONDIGNO C92

non d’ailleurs sans présenter entre eux quelques divergences, à concilier les opinions contradictoires au prix de quelques distinctions.

Après avoir exposé que les uns ont ramené la gloire au mérite de congruo, les autres au mérite de condigno, saint Bonaventure explique pour son compte qu’il y a du vrai dans les deux réponses, suivant le point de vue auquel on se place. Si l’on regarde au seul effet de notre propre volonté, à la libéralité divine qui nous comble de ses dons, au temps dans lequel se produisent nos œuvres, il faut parler de meritum congrui. Mais si l’on envisage la grâce qui est le principe de nos bonnes actions, la promesse que Dieu a faite de les couronner et la difficulté qu’elles présentent, alors il est vrai de dire que la gloire est l’objet d’un meritum condigni. lu 7/um Sent., dist. XXVII, a. 2, q. iii, t. ii, p. 666-C68. Cf. In IIlum Sent., dist. IV, a. 2, q. ii, t. iii, p. 107, où il dit simplement : Meritum eondigni quo quis ex ttmta caritate meretur tantum gloriam.

Ingénieuse solution et tout à fait caractéristique du génie subtil de l’École, qui a l’air de mettre tout le monde d’accord. Mais, en réalité, elle revient évidemment à lâcher ici le mérite de congruo, qui reste une vue théorique de l’esprit, au profit du mérite de condigno pratiquement toujours assuré. On ne voit surtout pas ce qui donne à H. Schultz, p. 276, le droit de dire que saint Bonaventure sacrifierait le meritum eondigni au meritum digni, qui se réalise seulement, comme on l’a vii, dans le cas d’un juste qui intercède pour autrui.

En présence du mime débat, saint Thomas fait preuve d’un semblable éclectisme : Videntur utrique, dit-il, quantum ad aliquid verum dicere. Car il y a lieu de distinguer, à son sens, l’égalité de quantité et l’égalité de proportion. Secundum quantitatis eequalitatem ex actibus virtutum vitam seternam non meremur… ; secundum autem aqualitatem proportionis ex condigno meremur vitam seternam. Mais, non content de cette balance des opinions qui suffisait à saint Bonaventure, le Docteur angélique indique aussitôt de quel côté penche son jugement : llli tamen qui dicunt nos ex condigno vitam seternam posse mereri verius dicere videntur. La raison en est que, s’il ne saurait y avoir de justice commutative entre Dieu et l’homme, il y a du moins justice distrfbutive : In redditione præmii ad mérita magis servatur forma distributionis, cum ipse (Deus] unicuique secundum opéra reddat. Et ceci est suffisant pour rétablir une véritable condignitas. In 71um Sent., dist. XVII, q. i, a. 3, Opéra, t. viii, p. 367.

Cette mime position se retrouve dans la Somme, I 8 —II æ, q. exiv, a. 3, où, après avoir dit que l’œuvre humaine, considérée seulement comme fruit du libre arbitre, ne fonde qu’une congruilas propter quamdam sequalitatem proportionis, il ajoute : Si autem loquamur de opère meritorio secundum quod procedit ex gratia Spiritus sancti, sic est merilorium vitæ œternæ ex condigno. Et il explique aussitôt, ibid., ad 2um, comment il faut entendre le texte célèbre où saint Augustin ramène la vie éternelle à une grâce : Verbum illius intelligendum est quantum ad primam causam perveniendi ad vitam seternam, quæ est miseratio Dei ; meritum autem nostrum.est causa subsequens.

D’après A. Harnack, Dogmengescliichte, t. nr, p. 635-636, la position de saint Thomas manquerait ici de netteté, et il y aurait quelque anomalie à ce qu’ « une même chose soit ex condigno sous un rapport, ex congruo sous un autre ». Au lieu de procéder

’i des affu mat ions massives, l’École, en effet, aime

déployer son esprit de finesse en démêlant jusqu’en des précisions qui nous semblent parfois subtiles ou superflues les divers éléments d’une même réalité. Mais ce besoin de distinctions formelles auquel cède , ici le Docteur angélique ne doit pas faire mécon naître qu’au fond, comme tout à l’heure saint Bonaventure, c’est bien au mérite de condigno que s’arrête sa pensée.

Plus subtilement on a cru voir une opposition entre cette doctrine et la thèse générale rapportée plus haut, voir col. 682, où saint Thomas pose en principe, ibid., a. 1, qu’il ne saurait y avoir de l’homme à Dieu justitia secundum absolutam sequalitatem et que, par conséquent, nous ne pouvons mériter que secundum quid. D’où H. Schultz, toc. cit., p. 275-276, ne craint pas de dire qu’avec de telles prémisses le meritum condigni ne peut être qu’une expression impropre. N’est-ce pas un singulier pédantisme que de taxer d’inconséquence le docteur qui croit pouvoir, sans le moindre embarras, associer ces deux termes à quelques pages d’intervalle ? Pour tout lecteur impartial, il est visible que le mérite secundum quid de l’art. 1 donne, si l’on peut dire, le ton général de nos relations avec Dieu, dont l’art. 3 vient spécifier aussitôt un cas particulier.

D’après saint Themas, en somme, n’étant pas les égaux de Dieu, nous ne pouvons mériter dans l’ordre surnaturel que s’il nous en donne lui-même le droit et les moyens ; mais, sur cette base, aussitôt que nous agissons sous l’influence de la grâce, rien n’empêche que nous puissions mériter de condigno la récompense qu’il nous assigne comme fin.

c) Divergences postérieures. En vertu du même principe, saint Thomas établit ensuite que nous ne sauiions mériter de condigno la première grâce, ni pour nous-mêmes ni pour les autres, ibid., a. 5-6, mais seulement l’augmentation de la grâce déjà possédée. Ibid., a. 8.

Sur ce dernier point, il est en désaccord avec saint Bonaventure, qui n’admet à cet égard qu’un meritum digni. Car, à son sens, il y a ici dignitas cum gradus inferioritate, c’est-à-dire disproportion entre le but et les moyens. Et sic, conclut-il, habens gratiam minorem meretur per bonum usum pervenire ad gratiee cumulum et hic modus merendi, etsi deficial a merito condigno et conlineatur sub merito congrui. maxime tamen… accedit ad perjectionem meriti, et ideo quasi médium tenet inler meritum congrui et meritum condigni. In II am Sent., dist. XXVII, a. 2, q. ii, t. ii, p. 665. Sur quoi les éditeurs s’efforcent de montrer qu’il n’y a là qu’une différence de mots avec la doctrine de saint Thomas. Mais ce sont des mots qui expriment des concepts divergents. Avec beaucoup plus de raison les théologiens impartiaux reconnaissant le désaccord, voir J. van der Meersch, Tract, de divina gratia, p. 374, et ajoutent que ce point est un de ceux où s’accuse la tendance du Docteur séraphique à réduire le mérite de condigno au profit du mérite de congruo.

Des deux conceptions en présence, c’est, à n’en pas douter, celle de saint Thomas qui représente le mieux la pensée générale de l’École. Voir le Compendium theol. verit., v, 15, p. 164 : Sicut liberum arbitrium per gratiam meretur merito condigni augmentum gratia ; in statu viæ, sic etiam meretur merito condigni ipsius complementum in statu patrise. Cependant la doctrine opposée de saint Bonaventure empêche qu’on puisse parler ici d’unanimité.

Même entre les maîtres de l’École, il existait, comme on le voit, de notables nuances. Il n’est pas surprenant que des esprits à tendance plus critique aient repris, à l’égard du mérite, la thèse négative que saint Thomas et saint Bonaventure étaient d’accord pour écarter. C’est ainsi que les éditeurs franciscains de ce dernier signalent, t. ii, p. 668, que Durand de Saint-Pourçain refusait de reconnaître un meritum de condigno stricte et proprie sumptum, videlicet pro actione voluntaria propter quam debetur merces ex justitia sic quod, si non reddatur, ille ad quem perlinet reddere injuste faciat. Plus tard encore, Wyclif con-