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689 MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : ROLE DU MÉRITE DE CONDIGNO 690

bjable chez saint Bonaventure. Tune est meritum ex

comiigno quando ratio merili reperitur ibi perfecte et plaie, et tune est quædam ommensuratio et adœquatio merili ad præmium… Meritum aillent congrui dicitur in quo est aliqua dispositio congruilalis respectu ejus ad quod ilta dispositio ordinatur, quæ lamen déficit a rationc condignilalis. In IIum Sent., dist. XXVII, a. 2, q. ii, t. ii, p. 661-665. Pour qualifier le mérite de congruo, le Docteur séraphique insiste ici davantage sur la moindre valeur de l’œuvre qui le constitue par rapport au mérite de condigno, celui-ci étant un titre de plein droit et celui-là un titre inférieur. Mais un peu plus loin, ibid., q. iii, p. 667, il fait appel, lui aussi, ad largitatem dispensantis.

En réunissant la note objective soulignée par saint Bonaventure et la note subjective marquée par saint Thomas, on a la notion complète du mérite de congruo. Il se caractérise par l’idée d’un rapport de convenance et par là s’oppose au mérite de condigno qui implique un rapport de justice. Tels sont les concepts qui se sont transmis à travers la scolastique tout entière, comme on peut s’en rendre compte par le dossier de textes réuni dans Altenstaig, Lexicon theol., aux mots Meritum ex condigno et Meritum de congruo, édit. d’Anvers, 1576, fol. 193 r° et v. Qu’il suffise de citer comme spécimen la définition du premier, que l’auteur emprunte à Gerson : Meritum pro quo exigitur prœmium ex debito, et celle du second prise dans Biel : Actus libère elicitus, acceptalus ad aliquid retribuendum non ex debito justitiæ sed ex sola acceptantis liberalitate.

Ce double aspect du mérite ainsi dégagé par l’École n’était d’ailleurs pas une simple distinction verbale. Il répondait, au contraire, à un besoin réel d’analyser la dignité très inégale des œuvres humaines et, de ce chef, allait servir à en préciser plus exactement la valeur, suivant les cas, dans l’économie totale du surnaturel chrétien.

Rôle du mérite.

Étant admis en principe que

l’homme peut mériter quelque chose devant Dieu, il est clair que la situation est très différente suivant qu’il s’agit d’œuvres faites avec ou sans le secours de la grâce. Depuis saint Augustin surtout, l’attention se portait de préférence sur la première catégorie et l’on ne pensait guère qu’à l’état du chrétien justifié, Mais ne fallait-il pas envisager aussi le cas de l’infidèle ou du pécheur en marche vers la justification ? La théologie de l’École s’est ouverte à ce problème et c’est la distinction entre les deux sortes de mérites qui fut le fil conducteur de la pensée médiévale à travers ce monde nouveau.

1. Mérite « de condigno ». — Parce qu’il signifie une valeur stricte et se fonde sur une proportion intrinsèque de l’œuvre à la récompense, le mérite ne saurait exister de condigno, quand il s’agit de l’ordre surnaturel, qu’au moyen de la grâce sanctifiante. Actus perducentes ad finem oporlet esse fini proporlionalos, suivant le principe posé par saint Thomas, Sum. theol., I » -II ffi, q. cix, a. 5. Cf. S. Bonaventure, In IP l’n Sent., dist. XXVII, a. 2, q. iii, t. ii, p. 667 : In quantum ortum habet a gratia, sic, cum gratin reddat hominem acceplum Deo et sit quid diuinum et ad hoc sit ordinala ut ducat ad Deum, opus illud est merilorium merito condigni.

Voilà pourquoi il ne peut absolument pas être question pour l’homme de mériter la vie éternelle sans la grâce, S. Thomas, ibid., q. cix, a. 5, et q. exiv, a. 2, pas davantage de se mériter à lui-même la première grâce. Ibid., a. 5. Sur ces deux points fondamentaux, il ne pouvait y avoir et il n’y eut de fait aucune hésitation.

Mais, étant donné que la grâce est nécessaire pour le mérite de condigno, ne peut-on corrélativement se demander si elle est suffisante ? C’est la question capi tale du rapport de nos œuvres à la récompense céleste. Depuis longtemps posée, elle ne fut pas toujours résolue de la même façon.

a) Le problème au début du XIII’siècle. — Plusieurs Pères depuis Origène, voir col. 627, ont contesté que la gloire céleste pût jamais nous être due en justice et le dernier mot de saint Augustin à cet égard est pour dire qu’elle se ramène, en somme, à la grâce. Voir col. 650. Abélard avaitde nouveau soulevé le problème, voir col. 670 ; il était normal qu’il s’affirmât de plus en plus nettement à mesure que la théorie du mérite se faisait plus précise.

Or la réponse à cette question fut souvent négative. Telle est clairement, au début du xme siècle, laposition prise par Alain de Lille. Après avoir établi en principe que toutes nos actions sont dues à Dieu, De art. cath. fidei, u. 5, P.L., t. ccx, col. 606, il en conclut logiquement qu’il n’y a pas de place pour le mérite proprement dit et que les rémunérations de Dieu sont pour nous une grâce et non un salaire : Bene enim mereri proprie dicitur qui sponte alicui benefacil quod facere non tenelur… Ergo meritum nostrum apud Deum non est proprie meritum, sed solutio debiti. Sed non est merces nisi meriti vel debiti præcedenlis. Sed non meremur proprie : ergo quod dabitur a Deo non erit proprie merces sed gratia. Ibid., 18, col. 608. — Ailleurs l’auteur invoque, pour aboutir à la même conclusion, la nécessité de la grâce, qui fait que toutes nos œuvres sont, en définitive, des dons divins : Boni operis homo auctor non est auctoritate, sed solo ministerio. Unde non proprie dicitur mereri vitam œternam. Seul donc le Christ a « proprement mérité la vie éternelle », tandis que nous n’avons de vrai droit qu’au châtiment. Cependant, en dernière analyse, il ne s’agit là que de nuances et l’auteur n’entend pas nier que nous ayons un mérite à l’égard de la vie éternelle, mais seulement dire que ce mérite est moins strict qu’à l’égard de la peine. Bona opéra proprie, nostra non sunt… Opéra vero mala nostra sunt proprie… Sic ergo, inspecta rationc merendi, magis proprie dicitur homj mereri pœnam quam præmium. Theol. reg., 82, ibid., col. 663.

C’est sans doute vers le même temps qu’il faut placer l’auteur inconnu de ces Quæstiones in epistolas Pauli qu’on ne peut plus attribuer à Hugues de Saint-Victor. Voir ici t. vii, col. 248. Quæritur, écrit-il à propos de Rom., viii, 18, an mérita sanctorum sufficiant ad futuram vitam consequendam ? La lettre de l’Apôtre lui suggère une réponse où l’on sent l’intention de préciser et de sauver le mérite des saints sans le transformer en droit strict : Non negat Apostolus quin mérita sanctorum ad consequendam gloriam suffi’ciant, sed ad tam excellentem gloriam non sunt condigna. In Epist. ad Rom., q. 202, P. L., t. clxxv, col. 481. Cf. ibid., q. 62, col. 449.

En regard du même problème toujours pendant, Guillaume d’Auvergne prend une semblable attitude. Contre ceux qui n’accordent à nos œuvres aucune valeur proprement dite en regard de la gloire, il établit quod gratis debetur gloria. Mais il n’admet pas pour autant le mérite de condigno entendu comme strietum meritum vel debitum, et la raison en est quoniam operi nihil debetur ad præmium nisi ralione gracie ex qua est aut rationc divine promissionis sive conventionis. Opéra, fol. ccxxxi, r° et v°.

Il semble que jusqu’ici le mérite de condigno ait rencontré plus d’adversaires que de partisans.

b) Positions affirmatives de la grande scolastique. — En plein xiiie siècle, les Commentaires de saint Bonaventure et de saint Thomas sur le livre des Sentences témoignent également que la génération suivante se posait toujours la même question et que les esprits se divisaient à son endroit. Tous deux se sont employés,