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(387 MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : DIVERSES SORTES DE MÉRITE 088

vient le même « nom » encore qu’il soit plus imparfait. Car on entend bien que Roland ne veut pas nier le mérite de la créature, auquel il faisait allusion à propos des ailles, ibid., p. 91. De ce mot fugitif il faut seulement retenir la tendance dont il procède : un besoin d’analyse commençait à se faire sentir qui conduisait à soupçonner dans le mérite diverses catégories.

Il est peu probable que cette préoccupation ait été propre à notre auteur. Pour justifier son observation, il se réfère à l’autorité de saint Hilaire, qu’il cite en ces termes : Ad hoc ut quis ve.ro nomine merendi mereatur necesse est ut in se habeat secundum quod possit mereri, et ut se auctore mereatur, et ut habeat pre se a quo possit premiari. En réalité, le texte d’Hilaire auquel il fait allusion est beaucoup moins explicite. Mereri enim, écrit celui-ci, De Trin., xi, 19, P. L., t. x, col. 413, ejus est qui sibi ipsi meriti acquirendi auctor existât. II s’agit donc d’une parole qui s’était déjà transformée chez les glossatcurs qui la convoyèrent jusqu’au xiie siècle. Cette élaboration traduit, par conséquent, un obscur travail théologique dont notre auteur est à la fois le témoin et l’héritier.

En vertu de la même loi, tout porte à croire qu’il eut également des successeurs. Mais l’état actuel de nos informations sur les sources de la théologie médiévale ne nous permet pas d’autres précisions. On lit bien chez Robert Pullus, Sent., i, 14, P. L., t. clxxxvi, col. 702-704 : In corpore agimus, ut post corpus et item receplo corpore condiyna recipiamus. Le pseudo-Hugues de Saint-Victor semble déjà plus précis, quand il écrit sous l’influence de saint Paul : Mérita sanctorum. .. ad tam excellentem gloriam promerendam non sunt condigna. Quiest. in Rom., 202, P. L., t. clxxv, col. 481. Il ne paraît pas cependant que rien ici dépasse encore le sens objectif que 1 on a vu déjà courant chez les Pères.

L’analyse théologique, au contraire, reprend visiblement ses droits chez Alain de Lille, qui frôle déjà les formules aujourd’hui reçues. Après avoir défini le mérite au sens « propre » : Mereri proprie notât exigere, il en distingue aussitôt une variété de second ordre : Notât congruum esse ; unde de beata Maria Virgine dicitur quod meruit portare Salvatorem, non quod hoc exigèrent ejus mérita, sed quia ad hoc ralione innocentiez fuit congrua. Dist. dict. theol., au mot mereri, P. L., t. ccx, col. 857. Deux points sont ici nouveaux, d’abord la distribution du mérite sur deux plans distincts : celui de la stricte exigence et celui de la simple convenance, puis, pour désigner le plan inférieur, l’adoption du terme congru us, qui s’oppose ainsi au terme condignus déjà communément reçu pour le premier. Il ne manquait à notre théologie i que d’instituer entre ces deux expressions la symétrie qui était au fond de sa pensée et de les projeter dans l’abstrait pour toucher le but qu’allaient atteindre les docteurs de l’âge suivant. Il doit du moins être retenu pour s’en être approché plus que personne avant lui.

Vers le commencement du xme siècle, la terminologie que les efforts du xue laissaient entrevoir et tendaient à préparer apparaît d’un usage courant dans l’École, sans qu’on puisse dire, même approximativement, qui s’en est servi le premier. Après avoir défini et analysé le mérite en général comme retributionis obligatorium, Guillaume d’Auvergne ajoute aussitôt ce renseignement : Dixerunt autem magistri et dicunt adhuc quia meritum quod diffinivimus est propric et recte atque stricto ratione meritum, et vocatur hujusmodi meritum condigni. AUa vero intenlione dicitur meritum congrui, et hoc non est nisi dignitas vel ydoneitas qua aliquis dignus vel ydoneus est ut aliquid ei fiât. De meritis, dans Opéra, édition de Nuremberg, 1496, . fol. ccxxix, n. 80 C. L’attestation est ici formelle de la

division binaire qui devait prévaloir et l’on remarquera que l’évêque de Paris la donne tout à la fois comme ancienne, dixerunt magistri, et commune, dicunt adhuc. On n’a pas jusqu’à présent de raison pour contester ce témoignage, pas plus que de moyen pour le vérifier.

Cependant on trouve, à côté, la trace persistante de nomenclatures plus complexes. Saint Bonaventure adopte assez régulièrement la triple division en meritum congrui, digni et condigni. Le meritum digni est celui du juste qui mérite pour un autre et, de ce chef, répond à une catégorie intermédiaire : Ad gratiam alleri promerendam non omnino ex condigno juslus operatur] quia peccator omni bono est indignas, nec solum ex congruo quia justus dignus est exaudiri. In Z™ Seat., dist. XLI, a. 1, q. i, t. i, p. 729. Cf. In 7//um Sent., dist. IV, a. 2, q. ii, t. iii, p. 107.

La même triple division est retenue par le Compendium théologien ? veritalis, v, 11, p. 161, qui la donne comme « générale » : Prsefati 1res modi merendi generaliter habentur. Il en connaît cependant d’autres, ma ! s qui peuvent se ramener à ce cadre : Unde si alii inveniuntur, ad eosdem très reduci poterunt. En effet, Alexandre de Halès, Sum. theol., p. IID, q. xvi, m. 1, parlait aussi de meritum interpretativum pour le cas de celui qui fait une œuvre bonne avec une intention mauvaise, tandis qu’ailleurs cette expression semble, d’une manière plus générale, synonyme de meritum congrui. Ainsi, par exemple, p. III a, q. lxix, m. 5, a. 2 : Meritum interpretativum appellatur quando non est aliqua condignitas in recipienle et tamen ci exhibe ! Deusdonumsuum ex sua liberalilate ac si ille per opéra meruissel. Saint Bonaventure conserve encore la première acception. Elle s’entend assez d’elle-même : si Dieu récompense une action de ce genre, c’est qu’il 1’ « interprète » comme si elle était réellement méritoire alors qu’elle ne l’est pas. In III am Sent., dist. XVIII, a. 1, q. ii, t. iii, p. 383. Mais ce n’est évidemment là qu’une variété du mérite de congruo et l’on peut en dire autant du meritum digni.

Aussi ces subdivisions n’ont-elles pas survécu. Saint.Thomas, qui connaît encore le meritum interpretatum dans son Commentaire sur les Sentences, In III am Sent., dist. XVIII, q. i, a. 2, Opéra, édit. Vives, t. ix, p. 275, ne semble plus en tenir compte dans la suite. Partout ailleurs il s’en tient aux deux espèces actuellement reçues, et sa grande autorité n’a sans doute pas peu servi à accréditer la classification définitive en mérite de condigno et de congruo.

2. Définition théologique.

Sur le concept exprimé par ces termes l’École ne montre pas le moindre désaccord.

Il faut partir de ce principe que le mérite en général est un droit qui relève de la justice, et que la justice suppose une certaine proportion entre un acte humain et ses suites. Quand cette proportion est une égalité, c’est le mérite strict ou de condigno ; sinon, c’est le mérite de congruo. Telle est la notion qu’en donne très nettement saint Thomas. Dicitur aliquis mereri ex condigno quando invenitur sequalitas inler preemium et meritum secundum rectum œstimationem ; ex congruo autem tantum, quando talis sequalitas non invenitur, sed solum secundum libcralitatem dantis munus tribuitur quod dantem decet. In Il am Sent., dist. XXVII. q. i, a. 3, Opéra, t. viii, p. 366-367. La différence essentielle est ici que le mérite de condigno repose sur une valeur objective, tandis que le mérite de congruo, à côté de l’œuvre qui serait insuffisante, fait intervenir les dispositions subjectives de celui qui— la rémunère et par là dépend, en somme, de sa générosité. Du premier on pouvait dire qu’il constitue un titre physique, alors que le second n’est plus qu’un titre moral.

On retrouve une définition de tous points sem-