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MARONITE (ÉGLISE), PÉRIODE OTTOMANE : HISTOIRE CIVILE

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le qâïmaqâmat druse), la mission d’aller parler de, leurs malheurs aux chrétiens d’Europe et de plaider leur cause devant les gouvernements. Le P. Azar quitta Beyrouth à la fin de mars 1814, Il alla tout d’abord à Rome, puis à Naples. En 1846, il étail en France. Ayant échoué, pour des raisons d’ordre politique, dans sa mission à Paris, il s’adressa à la charité française pour adoucir le sort de ses infortunés compatriotes. A cet effet, on fonda la Société de secours en faveur des chrétiens du Liban. Mais la révolution de 1848 éloigna de Paris et dispersa les dames qui composaient cette société. Cependant, celle-ci, propagée déjà en province, prit, dès 1851, sous le nom d’Œuvre de Notre-Dame de Nazareth, un nouvel essor à Laval, à Angers, à Cæn et dans plusieurs autres villes de Normandie. A un moment donné, l’œuvre cessa d’exister pour être reconstituée plus tard, en 1870, sous un autre titre : Association de Saint-Louis. La nouvelle association, bénie, par le pape le 16 mai 1877, se développa et rendit d’immenses services au peuple maronite. Les maronites, d’après le ms. arabe du R. P. Azar, vicaire général de Saïda (Terre-Sainte), délégué du patriarche d’Antioche et de la nation maronite, Cambrai, 1852, p. 130-132 ; voir aussi, p. 159-161 ; 178-185, 189 ; Louis de Baudicour, La France au Liban, Paris, 1879, p. 48-96 ; 339-343.’Si l’action du P. Azar pouvait alléger un peu les souffrances des maronites, elle n’en supprimait point la cause. Aussi bien, entre temps, on avait songé à l’institution, dans les villages mixtes, d’un wakil (procureur) pour les chrétiens et d’un wakil pour les druses. Ce n’était qu’un palliatif : une seconde guerre civile éclata en 1845. La Porte envoya à Beyrouth Chakîb effendi, ministre des Affaires étrangères de Turquie, et le chargea de rétablir l’ordre. La grande innovation qui résulta de cette mission fut la création d’un madjlis ou Conseil mixte auprès de chaque qàïmaqdm. Les instructions de Chakib (fin octore 1845) déterminent la composition de ce Conseil de la manière suivante : « Un substitut de Kaïmacam (qâïmaqàm), un juge et un conseiller musulmans, un juge et un conseiller druses, un juge et un conseiller maronites, un juge et un conseiller grecs, un juge et i n conseiller grecs-catholiques, et enfin, pour les Mutualis (Métoualis), un seul conseiller, vu que le juge des musulmans leur est commun. » Testa, Recueil des traités de la Porte ottomane avec les Puissances étrangères, t. iii, Paris, 1866, p. 200-202.

Lesattributions du madjlis n’étaient pas limitées aux seules affaires judiciaires ; elles s’étendaient aux affaires financières et administratives. Cette organisation pouvait paraître une mesure libérale, accordant au Liban le bienfait d’un régime représentatif. En réalité, on voulait donner le change. Le madjlis ne représentait qu’une sorte de rouage administratif, entièrement placé sous la coupe des autorités turques. Dès lors, il n’était pas étonnant que cette combinaison fût féconde en difficultés et fomentât de nouveaux troubles. Dans sa lettre du 17 octobre 1846 au P. Azar, Mgr Abdallad Boustani, archevêque de Tyr et de Sidon, a laissé un tableau émouvant de l’étal lamentable dans lequel se trouvaient encore les maronites des régions mixtes après, la nouvelle combinaison. Voir la traduction de cette lettre dans H. Guys, op. cit., t. ii, p. 324-336 ; voir aussi un appel adressé aux chrétiens d’Europe par un comité français de Beyrouth, ibid., p. 337-343, et deux autres appels envoyés aux femmes de France, le premier par Mgr Boustani lui-même, en date du 20 décembre 1846, l’autre par les maronites des districts mixtes, 15 mai 1847, dans l’ouvrage déjà cité : Les maronites d’après le manuscrit arabe du R. P. Azar…

Le plan des autorités turques se réalisait donc

sans trop d’obstacles. L’œuvre des Ma’n et des Chihâb ayant été détruite, la Montagne n’avait plus d’unité politique et son organisation féodale se trouvait fortement ébranlée. Désormais, le Liban, à l’entière discrétion des pachas ottomans, n’est plus qu’un théâtre d’intrigues, de révoltes et de luttes. Voir un excellent tableau de la situation tracé par P. de La Gorce, Histoire du second Empire, t. iii, Paris, 1890, p. 301-304.

Les tristes événements de 1860 sont trop connus pour qu’il soit besoin d’en faire ici l’histoire. Toutefois, pour en rappeler les horreurs, nous citerons les paroles d’un témoin oculaire : « Nous ne voulons pas terminer la portion de notre récit qui se rapporte aux événements dont le Liban a été le théâtre, sans faire une sorte de récapitulation du nombre des victimes et des désastres matériels. Nous l’avons déjà dit dans notre préface, ce n’est pas du roman que nous faisons, c’est de l’histoire. Mais cette histoire est tellement invraisemblable à force d’être odieuse, qu’il est nécessaire de placer des chiffres sous les yeux du lecteur pour lui prouver que nous n’avons rien exagéré… En tout, 7771 personnes de tout âge et de tout sexe, égorgées dans l’espace de 22 jours ! Quant aux dévastations, en voici le relevé : 360 villages détruits ; 560 églises renversées ; 42 couvents brûlés ; 28 écoles détruites, lesquelles comptaient 1830 élèves… Ces chiffres ont une telle éloquence que l’on ne saurait rien y ajouter. » F. Lenormant, Histoire des massacres de Syrie en 1860, Paris, 1891, p. 88-90. Voir aussi P. de la Gorce, loc. cit., p. 302 sq. : un mémoire du patriarche et des évêques maronites à Khourchid Pacha, 10 juin 1860, dans Testa, op. cit., t. vi, Paris, 1884, p. 72-74 ; le P. C. de P.ochemonteix, Le Liban et l’expédition française en Syrie (1860-1861), Paris, 1921, p. 91 sq.

Consterné devant pareille situation, le P. Jean Hadj, membre maronite du madjlis, depuis patriarche, rédigea un rapport contenant le récit détaillé des maux qui fondaient sur son malheureux pays, et le fit répandre en Europe, notamment en France. Nous en avons rencontré une copie manuscrite, revue et corrigée par l’auteur lui-même. Cf. le P. M. El-Hattoùny, Précis historique de la province du Kasrawân (en arabe) 1884, p. 357. L’éloquent appel d’un personnage aussi bien placé que le P. Hadj pour voir et suivre les événements, joint à d’autres informations de source autorisée, souleva d’indignation l’Europe chrétienne. « Une conférence se réunit à Paris et décida une intervention pour secourir les victimes et punir les assassins. La France eut l’insigne honneur de voir ses soldats choisis par l’Europe pour l’accomplissement de cette noble mission. » F. Lenormant, op. cit., p. 127-128. Dans l’intervalle, on imagina à Beyrouth un simulacre de traité de paix entre druses et maronites dans l’intention de procurer l’oubli de ce qui s’était passé, de rendre l’autorité turque maîtresse de la justice en Syrie et d’exclure toute intervention étrangère. Ce traité est du 6 juillet 1860 ; il est signé par les deux qàïmaqàms chrétien et druse, les mokatadjis, les membres du divan, les ouakils (wakils) et les notables. Voir ce traité dans Testa, op. cit., t. vi, Paris* 1884, p. 84-86. Les malheureuses victimes de ce pacte durent le ratifier sous l’empire de la contrainte. Cependant, le P. Hadj, malgré une violente pression exercée sur lui, refusa d’y apposer son cachet. Aussi bien, lorsque ce traité fut présenté à la commission internationale, celle-ci, à défaut de la ratification du juge maronite, le considéra comme non-avenu. Il nous est fort agréable d’enregistrer ce fait si peu connu, tout à l’honneur du clergé maronite. Nous le tenons de la bouche de Jean Hadj lui-même, qui le rappelait volontiers au cours de ses conversations sur les événements de 1860. Cf. le P. M. EI-Hattoùny, op. cit., p. 357-359 ; J. Debs, op. cit., t. viii, p. 759.