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679 MÉRITE CHEZ LES SCOL ASTIQUES : ECOLES ET TENDANCES 680

Sans présenter à cet. égard une synthèse de tous points achevée, Pierre Lombard n’en offrait pas moins une première ébauche de groupement matériel dont les suggestions ne pouvaient manquer de porter leurs fruits chez ses commentateurs. La question générale du mérite revient à deux endroits principaux des Sentences : à propos déjà de la prédestination, t. II, dist. XLI, mais surtout dans ces distinctions XXIV-XXVIII du livre II qui constituent comme un premier traité de la grâce. Des applications en sont faites tour à tour aux anges, t. II, dist. V, au premier homme, t. II, dist. XXIX, et plus encore au Christ, t. III, dist. XVIII.

Ces indications du Lombard sont maintenues et accentuées dans le résumé classique de maître Bandinus. Voir en particulier, P. L., t. cxcii, col. 1019, 1056, 1079-1080. Elles donnent naissance à des dissertations en règle dans les grands commentaires postérieurs. C’est ainsi que, sur la distinction XXVII du livre II, saint Bonaventure greffe tout un long article : De gratia in comparationc ad meriti exercilium, édit. de Quaracchi, t. ri, p. 661-672. La distinction suivante : De potestate liberi arbitrii sine gratia, lui fournit l’occasion de préciser la valeur des œuvres préparatoires à la grâce. Ibid., p. 681-692. Sans compter que beaucoup de questions générales relatives au mérite interviennent à propos de l’état du premier homme, dist. XXIX, a. 1, q. ii, p. 687-699 ; a. 2, q. ii, p. 703 ; a. 3, q. ii, p. 706-708, puis encore, plus tard, au sujet de l’œuvre méritoire du Christ. L. III, dist. XVIII, t. iii, p. 380-396. Moins étendu, le commentaire de saint Thomas introduit cependant aux mêmes endroits les éléments essentiels de la théologie du mérite. Voir In Il am Sent., dist. XXVII, a. 3-6 et dist. XXIX, a. 4, Opéra omnia, édit. Vives, t. viii, p. 366-372 et 391-392 ; In III am Sent., dist. XVIII, ibid., t. ix, p. 272 284.

Parallèlement à l’œuvre des sententiaires proprements dits, d’autres, dans ce cadre alors reçu, faisaient œuvre déjà plus personnelle. La doctrine du mérite trouvait naturellement sa place plus ou moins déterminée dans ces premiers essais de synthèse théologique, comme on peut s’en rendre compie chez Robert Pullus, Sent., i, 13-11, P. L., t. clxxxvi, col. 700708 ; cf. V, 36, col. 859 ; chez Alain de Lille, De artic. cath. firlei, ii, 16-20, P. L., t. ccx, col. 608-609 ; Theolog. reg., 71-74, 82-94, ibid., col 657-659, 663671 ; chez Pierre de Poitiers, Sent., III, 1-4, P. L., t. ccxi, col. 1039-1051 ; cf. IV, 14, col. 1192-1196. Guillaume d’Auvergne lui consacre même un véritable petit traité vers la fin de sa Summa de vitiis et virtutibus, édit. de Nuremberg, 1496, fol. ccxxviii v°ccxxxi v°.

Au terme de ces communs efforts apparaissent les Sommes théologiques, où le mérite vient s’insérer en son lieu. Voir déjà, par exemple, Alexandre de Halès, qui pourtant reste plutôt fidèle à la méthode encore un peu dispersée du Maître des Sentences. Sum. theol., p. II a, q. lxxv, m. 5 ; p. HI a, q. xvi et q. lxix, m. 5. Il y a plus d’ordre dans saint Thomas, qui s’en occupe à deux reprises ex professo : une première fois, d’un point de vue philosophique, comme suite normale de l’acte humain, I a —II æ, q. xxi, a. 3-4 ; une deuxième, du point de vue théologique, comme « effet de la grâce ». Ibid., q. exiv.

En même temps qu’elle entrait en son rang dans la construction doctrinale élevée par l’École, la doctrine du mérite était soumise à un travail technique de définitions, de distinctions et d’analyses, qui permettait d’en préciser les différents aspects et fournissait à chaque docteur l’occasion de prendre parti autour de problèmes bien déterminés. Dans la théologie du surnaturel, la question du mérite formait dès lors un chapitre distinct.

2. Systématisation de la joi traditionnelle.

De cette élaboration scolastique le premier et le plus notabD résultat, sinon toujours le plus remarqué, fut de réduire en un système cohérent les éléments de la foi catholique en matière de mérite.

Il y eut sans doute, comme en toute œuvre humaine, des tâtonnements et des divergences. Mais, dans l’ensemble, il n’est pas douteux que la théologie du xme siècle n’ait fourni â la doctrine de l’Église en matière de mérite son cadre définitif. C’est elle, comme nous le verrons et comme d’ailleurs tout le monde le reconnaît, qui a présidé aux définitions dogmatiques du concile de Trente, et c’est encore à elle que les théologiens modernes ont recours pour résoudre les problèmes que soulèvent celles-ci ou les difficultés qu’on leur oppose.

A cet égard, un certain nombre de points planent au-dessus de toutes les controverses, auxquelles on s’attache parfois plus que de raison, et peuvent être considérés comme le patrimoine commun des écoles catholiques sans distinction. Nous ne pouvons mieux faire que d’en emprunter l’énumération à un auteur protestant, peu suspect, dès lors, de complaisances apologétiques : « La doctrine de saint Thomas sur le mérite, écrit H. Schultz, loc. cit., p. 294-295, est, dans ses traits essentiels, restée la doctrine ferme et intangible de l’Église catholique jusqu’à nos jours. Mais il faut aussi se rendre compte que l’aspect particulier que cette doctrine a pris chez Duns Scot et les théologiens nominalistes ne touche pas proprement les conceptions fondamentales. Que tout le concept du mérite repose toujours, au fond, sur la libre volonté de Dieu et n’est donc pas un concept juridique au sens strict ; que tout mérite de condigno procède de la volonté humaine, d’une part, qui peut naturellement se montrer active, même dans la souffrance, et de la charité, d’autre part, c’est-à-dire d’une direction de l’âme vers Dieu considéré comme le souverain Bien, direction que la grâce de Dieu seule peut imprimer à l’homme ; que le mérite peut être acquis par nous dans l’état de « voyageurs » seulement, c’est-à-dire dans l’état "d’une grâce non encore consommée ; que la vie éternelle peut être obtenue comme récompense du mérite : toutes ces thèses et bien d’autres encore sont fermement acquises pour Duns aussi bien que pour Thomas. »

Or thomisme et scotisme sont les deux doctrines rivales entre lesquelles se partagent les théologiens à partir du xive siècle. Il n’est pas sans intérêt de constater que, sur l’essentiel de la tradition catholique, leur accord était parfait.

3. Écoles et tendances.

Cette unité sur les données fondamentales du dogme chrétien et les grandes lignes de son interprétation ne doit cependant pas faire méconnaître à l’historien la diversité que provoquait la concurrence des écoles ou la tournure différente des esprits.

n) Chez les scolastiques. — En présence des grands mystères du surnature], il y eut toujours place, dans les limites de l’orthodoxie, pour des conceptions diverses, plus ou moins consciemment inspirées par les principes philosophiques ou théologiques dont chaque docteur était tributaire. Elles devaient, comme de juste, s’accentuer à mesure que la doctrine du mérite devenait l’objet d’une étude ex professo. Le propre du Moyen Age, l’organisation scolaire aidant et aussi l’esprit de corps des familles religieuses qui en faisaient les principaux frais, fut de les développer en systèmes et concentrer en écoies qui en perpétuaient la tradition.

Au plus bel âge de la scolastique, on sait qu’il y eut une école franciscaine et une école dominicaine, caractérisées, celle-là par un attachement plus fidèle