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MÉRITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : TRAITS GÉNÉRAUX

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la terre à son tour réagit pour faire fructifier les germes déposés dans son sein. L. II, dist. XXVII, c. vi, p. -117. De ce chîf, assurément, le rôle principal revient à la grâce, mais sans préjudice du rôle secondaire qui dépend de nous, Gratia gratis data intelligUur ex qua incipiuni bona mérita. Quæ cum ex sola gratin esse dicantur non excluditur liberum arbitrium, quia nullum est meritum in homine quod non sit per liberum arbitrium. Sed in bonis merendis principalitas gratin ; aitribuitur, quia principalis causa bonorum meritorum est ipsa gratia qua excilatur liberum arbitrium et sanatur alque ad/uvatur voluntas hominis ut sit bona. Ibid., c. vii, p. 448.

3. Réalité du mérite.

Aussitôt que ces conditions

sont réalisées, le mérite devient effectif.

Or elles le sont tout d’abord, et d’une manière éminente, dans la sainte humanité du Christ. Voilà pourquoi, alors que le Lombard n’a pas retenu le concept anselmien de satisfaction, il applique au Sauveur celui de mérite, autour duquel s’organise toute sa théologie de la rédemption. L. III, dist. XVIII, p. 628-634. Cf. J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, p. 346-351. — Mais ce mérite du Christ laisse place au nôtre. Sans proprement éprouver le besoin d’en établir la réalité, le maître des Sentences se contente de le déduire de la collaboration que la grâce a pour effet d’instituer entre Dieu et l’homme : Gratia preeveniens… non usus liberi arbilrii est…, qui’nobis est a Deo, non a nobis. Usus vero bonus arbitra et ex Deo est et ex nobis, et ideo bonum meritum est : ibi enim solus Deus operatur, hic Deus et homo. L. II, dist. XXVII, c. xi, p. 450.

Notre mérite a tout d’abord pour objet l’accroissement même de la grâce : Ipsa enim gratia non est otiosa ; sed meretur augeri, ut aucta mereatw et perfici. Ibid., c. i, p. 444. Cet achèvement réside dans les récompenses de la vie présente et de la vie future : Isti boni motus vel affectus mérita sunt et dona Dei, quibus meremur et ipsorum augmentationem et alia quae consequenter hic et in futuro nobis apponuntur. Ibid., c. viii, p. 449. En particulier, les mérites acquis ici-bas marquent la mesure dans lequelle les défunts peuvent profiter des suffrages des vivants. L. IV, dist. XLV, c. ii, p. 1006.

Tout ceci ne peut être vrai que des fidèles. Les infidèles cependant ne sont pas incapables de tout bien. L. II, dist. XXVI, c. iv, vii, et dist. XLI, c. i-n, p. 441, 443, 523-525. Pierre Lombard, qui leur reconnaît expressément cette faculté, ne doit-il pas logiquement admettre que ce bien ne reste pas sans récompense ? D’aucuns attribuaient à ces œuvres une certaine valeur en vue de la justification : … Aliqui non adeo mali sunt ut mereantur sibi graliam non impertiri. Nullus enim gratiam mereri potest perquam justificatur ; potest tamen mereri ut non upponatur, ut penilus abjiciatur. .. Alii vero ita vivunt ut, elsi non mereantur graliam juslificationis, non tamen merentur omnino repelli et gratiam sibi subtrahi. L. I, dist. XLI, c. ii, p. 256. On a parfois attribué au maître lui-même, par exemple H. Schultz, p. 266, cette opinion dont il se fait le rapporteur, alors qu’il l’écarté pour son compte en ces termes péremptoires : Sed hoc frivolum est. Sans qu’il ait précisé nulle part son point de vue, on peut croire qu’il n’admettait, lui non plus, pour les infidèles que cette récompense terrestre que ne leur refuse pas saint Augustin. Il n’y a donc pas lieu de ranger Pierre Lombard parmi les ancêtres du mérite de congruo. Mais on retiendra qu’il témoigne de la tendance naissante qui allait bientôt accréditer ce concept.

4. Valeur du mérite.

Chaque fois que le Maître des Sentences parle du mérite, c’est, tout naturellement, comme d’un titre aux faveurs divines. Il tient ce titre

pour nécessaire autant que pour efficace. Sans lui, en effet, l’espérance serait une vaine présomption : Est enim [spes] certa exspectatio futures beatitudinis veniens ex Dei gratia et ex meritis præcedentibus… Sine meritis enim aliquid sperare non spes sed præsumptio dici potest. L. III, dist. XXVI, ci, p. 670-671. Mais avec lui l’âme peut se tenir en paix, puisque, au dernier jour, le juste juge doit rendre à chacun secundum mérita. L. IV, dist. XXVI, c. i, p. 1013.

Aussi Dieu est-il appelé distri butor et judex meritorum. Ibid., c. ni, p. 1015, 1016. Cf. c. v, p. 1017 : Requirendo mérita justiliam exhibebit. Le mérite a tellement d’importance dans l’économie providentielle que les anges eux-mêmes, chez qui la récompense a précédé le mérite, n’en sont pas moins appelés, suivant une opinion qui a les préférences du Lombard, à la mériter ensuite rétrospectivement per obsequia nobis exhibila ex Dei obedientia et reverentia. D’autres allaient plus loin et voulaient qu’ils l’eussent méritée en vertu de la grâce même de leur confirmation. L. II, dist., V, c. vi, p. 329.

Bien que Pierre Lombard n’exprime nulle part de réservé sur la valeur de nos œuvres, il n’en recueille pas moins la doctrine augustinienne, déjà bien connue, selon laquelle nos mérites sont des dons de Dieu et la vie éternelle elle-même, en définitive, une grâce : … Ex gratia, quee non est meritum sed facit, … proveniunt mérita nostra… alque bona opéra quæ Deus rémunérai in nobis, et hme ipsa sunt Dei dona. L. II, dist. XXVII, c. x, p. 449-450. Les principaux textes de l’évêque d’Hippone sont également par lui rapportés m extenso dans son commentaire de l’Épître aux Romains, vi, 21-23, P. L., t. cxci, col. 14121413. Cf. ibid., x, 16-17, col. 1479 ; In I Cor., xv, 10-19, col. 1676.

Sur la doctrine du mérite comme sur les autres, le Maître des Sentences a bien réuni tous les éléments essentiels de l’ancienne tradition, avec çà et là une première amorce des questions qu’ils commençaient à poser devant la réflexion des spéculatifs. Les matériaux étaient prêts et les plans dressés pour l’édifice doctrinal que la grande scolastique allait entreprendre de bâtir.

IL Période d’apogée. — Comme tant de doctrines restées jusqu’alors à l’arrière-plan des préoccupations théologiques, celle du mérite allait, à partir du xm* siècle, faire l’objet d’une étude méthodique, d’où elle sortirait avec sa physionomie à peu près définitive. Ici peut-être encore plus qu’ailleurs, les résultats obtenus par l’École se sont tellement bien incorporés à notre enseignement actuel, qu’à les retrouver dans l’histoire chacun éprouve l’impression de parcourir un terrain déjà familier. Quelques indications générales suffiront, en conséquence, à marquer ce qu’ils peuvent offrir de neuf.

1° Traits généraux de la théologie scolastique du mérite. — Dans le développement historique de cette doctrine, la période scolastique se caractérise par quelques traits distinctifs qu’il faut tout d’abord relever. Ils expriment sur ce point particulier le progrès général que représente la théologie médiévale par rapport à celle des siècles antérieurs.

1. Élaboration didactique de. la doctrine du mérite. — Tant chez les Pères que chez les premiers scolastiqucs, la doctrine du mérite ne se rencontre jamais qu’à l’état épars, au cours d’expositions théologiques ou exégétiques d’un autre ordre, et comme une notion plutôt supposée connue que proprement étudiée. D’où il suit nécessairement que l’analyse en reste incomplète et sommaire. La scolastique allait mettre fin à cette double infériorité.

Et d’abord elle assure au mérite la place cj ni lui revient dans l’inventaire’méthodique des vérités de la foi.