Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/344

Cette page n’a pas encore été corrigée
673
674
MÉRITE, ANALYSE THÉOLOGIQUE : SAINT BERNARD


Suer, avec saint Paul, Phil., ii, 13, le penser, le vouloir et le faire. Le premier vient de Dieu seul ; le dernier peut souvent procéder de mobiles peu moraux ; c’est dans le second que consiste essentiellement le mérite : Tantum médium nobis reputatur in merilum. Notre vouloir, en effet, est toujours nécessaire et, sans tomber dans l’exagération commise par Abélard, voir col. 670, l’abbé de Clairvaux admet sans peine lui aussi, qu’il peut parfois être suffisant : Valet itaque i nient io ad merilum, actio ad exemplum. lbid., xiv, 46, col. 1026.

C’est que le don de la grâce a pour effet de restaurer notre liberté. Entre la creatio et la consummatio, il y a place pour la re/ormatio ; et c’est là que gît notre mérite, parce qu’à la différence des deux autres ce moment de notre histoire spirituelle comporte un élément qui dépend de nous : Sola quæ nobiscum quodammodo fit propter consensum voluntarium noslrum in mérita nobis repulabitur re/ormatio. De là procèdent, en effet, les diverses œuvres saintes : Hœc, cum certum sit divino in nobis actilari Spiritu, Dei sunt munera ; quia vero cum noslræ voluntatis assensu, noslra sunt mérita, lbid., 49-50, col. 1027-1028.

Mais, dans l’ensemble, c’est la part de Dieu qui domine. Car la gloire ne nous est due que parce qu’il nous l’a promise : Promissum quidem ex misericordia, sed tamen ex justitia persolvendum. La « couronne de justice i dont parle l’Apôtre, II Tim., iv, 8, s’entend « de la justice de Dieu et non de la sienne propre » : Justum quippe est ut reddal quod débet ; débet autem qnod pollicitus est. Et hœc est justitia de qua præsumit apostolus promissio Dei. De même, la bonne volonté qui nous a fait participer à cette justice et mériter cette gloire est encore un don de Dieu : Si ergo a Deo volunlas est, et meritum… Deus igitur auctor est meriii qui et voluntatem applical operi et opus explicat voluntati. Pris en eux-mêmes, « ce que nous appelons nos mérites « , ea quee dicimus noslra mérita, ne sont que des germes d’espérance, des indices de prédestination et, au total, via regni, non causa regnandi. lbid., 51, col. 1028-1030.

Tout en reconnaissant, avec l’Église, que la vie surnaturelle résulte d’une coopération entre Dieu et l’homme, on voit que saint Bernard s’applique de toutes ses forces à faire ressortir la prédominance de celui-là sur celui-ci. Autant sa théologie de la grâce laisse place au mérite, autant il est certain qu’elle la réduit à son minimum.

c) Valeur du mérite. — Ces principes spéculatifs expliquent l’attitude pratique de dépréciation dont l’abbé de Clairvaux ne se départ presque jamais à l’égard du mérite humain.

Avec tous les mystiques, il détourne l’âme de s’appuyer sur elle-même : Periculosa habilalio eorum qui in meritis suis sperant ; periculosa quia ruinosa. In Ps. xc, serm. i, 3, t. CLXxxiii, col. 188. A l’encontre de ce pharisaïsme, il prêche l’abandon total à Dieu : Prœtendat aller merilum… ; mihi autem adharere Deo bonum est, ponere in Domino Deo spem meam… Hoc enim lolum hominis merilum, si totam spem suam ponat in eo qui lolum hominem salvum fecit. lbid., serm. îx, 5, et xv, 5, col. 218-219, 246.

Ce mysticisme ardent, où l’œuvre de l’homme s’efface devant celle de Dieu, s’exprime en accents particulièrement vifs dans ses sermons sur le Cantique des cant iques. Aon est quo gratia intret in quo meritum occupavil… Xam, si quid de proprio inesl, in quantum esl, graliam cedere illi neces.se est.Deesl graliæ quidquid meritis députas. Nolo meritum quod gratiam excludat. Horreo quidquid de meo est ut sim meus. In Cant., serm. lxvii, 10, ibid., col. 1107.

Dans le sermon voisin, les mêmes vues s’appliquent à l’Église : Félix in sua uniuersitate Ecclesia

D1CT. DE THÉOL. CATHOL.

eu jus omnis gloriatio impar est causse… Nam et de meritis quid sollicita sit, cui de proposito Dei firmior suppetil securiorque gloriandi ratio ? A sa suite et à son exemple, chacun doit s’en remettre à Dieu, qui saura toujours accomplir ses desseins : Faciet, jaciet, nec deerit suo proposito Deus. Sic non est quod jam quæras quibus meritis speremus bona… Sufpcit ad merilum scire quod non sufjiciant mérita. Mais l’orateur d’ajouter, comme pour parer à un reproche de quiétisme, que nos mérites n’en sont pas moins nécessaires : Sed, ut ad merilum satis est de meritis non prœsumere, sic carere meritis salis ad judicium est… Mérita proinde habere cures : habita, data noveris… Perniciosa paupertas penuria merilorum ; præsumptio autem spiritus fallaces divitiie… Félix Ecclesia, cui nec mérita sine præsumplione, nec prsesumplio absque meritis deest. Mais de ces deux dangers que sont l’indigence et la présomption, il semble bien que l’abbé de Clairvaux redoute surtout le dernier, puisqu’il continue : Habel unde præsumat, sed non mérita ; habel mérita, sed ad promerendum non ad præsumendum. Ipsum non prsesumere nonne promereri est ? Ibid., serm. Lxviii, 6, col. 1111.

En dehors de ces considérations, qui sont plutôt d’ordre moral et pratique, saint Bernard s’applique ailleurs à marquer, d’après Rom., viii, 18, les limites théoriques du mérite en lui-même par rapport à la gloire qui en est le terme : De selerna vita scimus quia non sunt condignæ passiones hujus lemporis ad juturam gloriam, nec si unus omnes sustineat. Neque enim talia sunt hominum mérita ut propterea vita selerna debeatur ex jure aut Deus injuriam aliquam faceret nisi eam donaret. Nam, ut taceam quod mérita omnia dona Dei sunt , et ita magis propter ipsa Deo debitor est quam Deus homini, quid sunt mérita omnia ad tanlam gloriam ? Ainsi le mérite est frappé d’une double insuffisance, et parce qu’il est lui-même un don du Dieu qui le rémunère, et parce que cette rémunération est immensément supérieure à sa valeur. Notons en passant que le thème était depuis longtemps classique. On peut saisir la même note, à propos du même texte de saint Paul, chez Haymon, In Bom., vm, t. cxvii, col. 431 ; saint Bruno, t. cliii, col. 72 ; Hervé, t. clxxxi, col. 708.

Cette humble reconnaissance n’est cependant qu’un début, initium quoddam et velut fundamentum fidei. Il ne suffit pas, en effet, d’admettre que nos péchés ne peuvent nous être remis que par Dieu, si nous n’avons l’assurance qu’ils nous sont remis effectivement. De même, quel que soit le déficit de nos mérites, encore est-il qu’il faut en avoir. Ita de meritis quoque, si credis non posse haberi nisi per ipsum non sufficit, donec libi pirhibeat leslimonium Spiritus veritatis quia habes ea per illum. In Annunt. B. Marise, serm. i, 2-3, t. clxxxiii, col. 383-384.

Quelque insistance qu’il mette à réduire les mérites humains, on voit que l’abbé de Clairvaux n’entend pourtant pas supprimer l’obligation d’en acquérir. Du reste, les mérites du Christ sont là pour en combler les lacunes. Saint Bernard, en effet, ne peut comprendre le désespoir de Cam, Gen., iv, 13, nisi quod non erat de membris Christi nec pertinebat ad eum de Christi merilo, ut suum præsumeret, suum diceret quod illius est, lanquam rem capilis membrum [suam dicit]. C’est définir par contraste la position du chrétien, qui peut et doit s’approprier, en tant que membre du corps mystique, les mérites de son divin chef. Aussi l’orateur de s’écrier, au nom de cette solidarité sainte : Memn proinde merilum miseratio Domini. Non plane sum meriti inops quumdiu ille miserationum non fueril. Quod si misericordiæ Domini mullui, multus nihilominus ego in meritis sum. In Cant., serm, lxi, 4-5, ibid., col. 1072-1073.

X

22