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MÉRITE, ANALYSE THÉOLOGIQIE : SAINT BERNARD
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n’entendait viser par là que le cas exceptionnel où la volonté ne peut pas atteindre son terme normal : Nec quidquam merili apud Deum deperire si bonw voluntatis af/ectus a suo præpediatur ef/cclu. Mais il semble bien n’avoir pas évité toute exagération ou toute équivoque sur ce point. C’est pourquoi le concile de Sens a pu, sans lui faire de tort, condamner la proposition suivante : Quod propter opéra nec melior nec pejor efjiciaiurhomo. Denzinger-Bannwart, n. 380. "Voir Abélard, t. i, col. 47-48.

Jusqu’en ses erreurs ou ses imprudences, la théologie d’Abélard est révélatrice des curiosités qu’éveillaient, ici comme ailleurs, les premières applications de la méthode dialectique. La voie était ouverte dans laquelle la scolastique allait désormais s’avancer à grands pas.

3. Saint Bernard-.

Autant Abélard incarne le génie dialectique de l’École naissante, autant saint Bernard représente au mieux les tendances mystiques du Moyen Age. En conséquence, il est incontestablement enclin à effacer l’œuvre de l’homme devant celle de Dieu et, de ce chef, il n’est pas d’auteur dont les protestants se réclament plus volontiers. Ses textes occupent une large place dans les dossiers anticatholiques des vieux polémistes luthériens, voir J. Gerhard, Loci theol., loc. XVIII, c. viii, n. 106, édit. Cotta, t. viii, p. 114-116, et les historiens modernes lui témoignent encore, à cet égard, une significative sympathie. Voir Justification, t. viii, col. 21212122. Il suffit pourtant de prendre sa doctrine dans toute sa teneur pour se rendre compte qu’elle ne sort pas des cadres traditionnels.

a) Réalité du mérite. — Selon les données communes de la foi et de la morale chrétiennes, l’abbé de Clairvaux enseigne la valeur des œuvres de l’homme et leur souveraine importance. Ce que Dieu nous demandera au dernier jour, ce sont des mérites et non pas des miracles. In Asc. Domini, serm. i, 2, P. L., t. clxxxiii, col. 300-301. Et ces mérites sont tels qu’ils donnent lieu à une remuneratio, bien que nos souffrances d’un jour soient très peu proportionnées à la gloire éternelle. Serm. de diversis, i, 7-8, ibid., col. 541-542.

Toutefois saint Bernard semble réserver le mérite aux œuvres de subrogation : Si fiant digna esse prwmiis, non tamen suppliciis si non fiant, tandis qu’en accomplissant les œuvres de précepte nous restons des « serviteurs inutiles » : Impleta gloriam non merentur, et damnant contemplorem et auctorem non glorificant… Si solis contenti estis præceplis…, liberi quidem estis a debito, non tamen pro merito gloriosi. De prsecepto et disp., xv, 42-43, t. clxxxii, col. 884. Ailleurs cependant il ramène la gratia merendi à trois éléments qui se trouvent dans tout acte moral : In odio præteritorum malorum et contempla prœsentium bonorum et desiderio julurorum. Dom. VI post. Pent., serm. iii, 6, t. CLXxxiii, col. 344. Et nous verrons bientôt qu’il ne pose pas d’autre condition pour le mérite que notre libre consentement à la grâce. Sous peine de lui prêter la plus complète inconsistance, il faut donc admettre que les œuvres surérogatoires diffèrent des autres, à ses yeux, moins par la nature que par le degré et que, si elles sont une source privilégiée de mérite, elles n’en sont pas la condition sine qua non.

C’est pourquoi l’abbé de Clairvaux affirme avec énergie l’existence et les privilèges du libre arbitre : … Ubi nécessitas est, libertas non est ; ubi libertas non est, nec merilum ac per hoc nec judicium. De gratia et lib. arbitrio, ii, 5, t. clxxxii, col. 1004. Par là notre volonté est sui quodammodo juris, de manière à pouvoir se sauver ou se perdre par elle-même : Quatenus nonnisi sua voluntate aut mata fieret [creatura]

et juste damnaretur, aut bona manerele merito salvaretur. Ibid., xi, 36, col. 1020. Cf. In Canlica, serm. lxxxi, 6, t. clxxxiii, col. 1173-1174 —….Inde homo ad promerendum polis. Omne elenim quod jeceris bonum malumre, quod quidem non facere liberum fuit, merito ad merilum repulatur… Ubi autem non est libertas nec merilum. — Quel que puisse être par ailleurs le mysticisme de saint Bernard, on voit qu’il repose tout d’abord sur les bases fermes de l’ordre moral.

b) Nature du mérite. — Mais, avec le fait de la liberté qui est la part de l’homme, il faut aussi poser celui de la grâce, qui représente la part non moins nécessaire de Dieu. Saint Bernard revendiquait parfois celle-ci au point de sembler compromettre auprès de ses auditeurs, comme il en témoigne lui-même, la réalité de nos mérites : Quid mercedis speras vel prœmii, lui objectait-on, si totum facit Deus : ’De gratia et lib. arb., ii, 1, t. clxxxii, col. 1001. Son traité n’a pas d’autre but que de dissiper cette apparence d’antinomie, en établissant la nature et les conditions du mérite humain. Voir Bernard (Saint), t. ii, col. 784. Tu forte pulaveras tua le créasse mérita, tua posse salvari justifia. A l’adresse d’un contradicteur qu’il suppose animé de ces sentiments, il va donc démontrer l’égale nécessité de la grâce et de la liberté, la solution du cas étant dans le consentement que celle-ci donne à l’action préalable de celle-là. Quod ergo a solo Deo et soli datur libero arbitrio tam absque consensu esse non potest accipienlis quam absque gratia dantis. Ibid., 1-2, col. 1002.

Au terme de son exposé, saint Bernard en arrive à reprendre, à sa façon quelque peu subtile, la doctrine augustinienne qui fait du mérite un don de Dieu : Libero arbitrio nec extra ipsum quæratur damnationis causa…, nec ab ipso salutis mérita quod sola salvat miser icordia… Proinde non ei a se…, sed desursum potius a Pâtre luminum descendere mérita putentur. Ainsi donc on ne peut rien attribuer à la liberté qui vienne d’elle-même ; mais les dons de Dieu n’en sont pas moins destinés à devenir véritablement notre bien. Dona sua quæ dédit hominibus in mérita divisit et pr.œmia, ut et prsesentia per liberam possessicnem nostra intérim fièrent mérita, et jutura per gratuitam sponsionem exspectaremus, imo expeteremus ut débita. Ibid., xiii, 42-43, col. 1024. On remarquera cette précision de vocabulaire qui réserve le nom de « mérite » aux dona preesentia. Quelques lignes plus bas, on lit ces termes formels : Bona vise sunt mérita. Ce qui n’empêche pas ces « dons présents » d’être en rapport réel avec l’éternité, puisqu’ils nous permettent, sous le bénéfice des promesses divines, de l’espérer, voire même de la réclamer « comme un dû ». Tout au plus peut-on discerner entre les deux cette nuance que la récompense est doublement gratuite, puisque, en plus de la grâce qui en est le principe, elle implique un libre engagement du côté de Dieu. Mais, cette double condition une fois réalisée, il y a un vrai mérite de notre part, c’est-à-dire un titre à la récompense promise : Dei sunt procul dubio munera tam nostra opéra quam ejus præmia, et qui se fecit debilorem in illis (ecit et nos promerilores ex his. Ibid.,

S’il peut en être ainsi, c’est qu’il y a de notre part collaboration à la grâce de Dieu. Ibi itaque Deus homini bénigne mérita constitua ubi per ipsum et cum ipso boni quidpiam operari dignanter institua. Ilinc… promeritores regni nos esse præsumimus quod per consensum ulique voluntarium divinæ voluntati conjungimur. Ibid., 45, eol. 1026. En effet, ce consentement qui fait tout le mérite, consensus in quo omne merilum consista, est encore une grâce de Dieu, mais aussi un fruit de notre liberté : Consensus et opus, etsi non ex nobis, non jam tamen sine nobis. Il faut distin-