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MARONITE (ÉGLISE), PÉRIODE OTTOMANE : HISTOIRE CIVILE


alliés de la famille ma’nide. DouaShi, Annales, an. 1697 fol. 120 r° ; Lammens, p. t » 2-i>4. Ayant été investis delà succession des Ma’n, lesChihâb apportèrent à la gestion des affaires du pays la compétence d’administrateurs et de diplomates éclairés. Us cherchèrent à nouer de bonnes relations avec les pachas de Tripoli et de Salda, chargés par Stamboul de la surveillance du Liban. Et, pour se rendre populaires dans leurs fiefs, ils augmentèrent le nombre des émirs et des cheikhs, ceux-ci ayant succédé avec les notables aux mouqaddamtn.

En 1711, le nouveau gouverneur Haïdar Chihàb procéda à un remaniement féodal dans la Montagne. La noblesse maronite eut sa part dans le partage des fiefs. De cette noblesse qui participa à la direction du pays, on peut nommer, outre les Khazen, les Hobaïch les Dahdah, les Khoury, les Bitar, etc. Le nouvel état de choses ne pouvait qu’appuyer la confiance des dirigeants maronites et activer leur appétit d’action. Le gouvernement du Liban nord se trouvait encore entre les mains des métoualis. Il fallait écarter des districts maronites cet élément étranger et charger la noblesse nationale d’assurer l’ordre et l’administration de la justice. En 1777, l’entreprise était déjà terminée et la gestion des affaires confiée aux cheikhs de la région, tels les Karam, les’Aouad, les Daher, etc. Au sommet de cette hiérarchie féodale, les Chihàb détenaient les droits de suzeraineté.

L’événement le plus remarquable de cette époque fut qu’une partie des Chihàb reçut le baptême et s’incorpora à l’Église maronite. D’autres émirs suivirent cet exemple, les Bellama’, placés à la tête de la région du Matn. Le premier prince chrétien qui présida aux destinées du Liban est Yoûsof, fils de Molham, proclamé émir de toute la Montagne dans l’assemblée nationale du Bâroûk (1770). Néanmoins, officiellement, aux yeux des druses, il passait encore pour un druse, et aux yeux des musulmans, pour un disciple du Prophète. Il fallut attendre l’avènement de l’émir Béchir II (1788-1840) pour voir le prince du Liban afficher publiquement sa foi chrétienne. Encorenele fit-il que pendant l’occupation égyptienne. (1831-1840). Debs, op. cit., t. vii, p. 221-224 ; t. viii, p. 488-509 ; Lammens, p. 92-102 ; le patriarche Mas’ad, Addor-oid-Manzoûm (les perles disposées en série), 1863, p. 73. Sur Béchir II, voir aussi une étude d’Eugène Bore dans la Revue de l’Orient, reproduite en partie par H. Guys, op. cit., t. ii, p. 289-323. L’adhésion des émirs à la religion chrétienne et l’entrée de la noblesse locale dans le gouvernement du pays contribuèrent notablement à la prospérité de l’Eglise maronite : celle-ci est redevable aux chefs temporels de son peuple d’un grand nombre de donations et de pieuses fondations. Toutefois, ces libéralités n’allaient pas sans contre-parties : le pouvoir séculier ne s’arrêtait pas toujours aux limites de sa compétence. Ainsi, l’on vit l’émir Yoûsof interdire à un patriarche l’exercice de sa juridiction pastorale. P.’Abboud, Biographie de Hendiyé, p. 203-204 ; 217-218 ; Jouplain, op. cit., p. 165.

Grâce à leur politique intelligente, les Chihàb acquirent une sérieuse influence auprès des autorités turques voisines. Ils employèrent leur prestige au service du Liban auquel ils rêvaient de maintenir le privilège de terre d’asile. Voir C.-F. Volney, Voyage en Egypte et en Syrie pendant tes années 1783, 1784 et 1785, t. i, Paris, 1822, ]). 396 et 399 ; Pococke qui était au Liban en 1745, cité par George Young, Corps de droit ottoman, t. i, Oxford, 1905, p. 136. A cette époque, le Mont-Liban, comparé aux autres provinces de la Syrie, pouvait, en effet, être considéré comme i ne terre de refuge. Mais, en réalité, la paix dont il jouissait était intermittente, précaire,

à la merci des pachas voisins. Ces derniers guettaient toujours l’occassion de pouvoir s’immiscer dans les affaires de la Montagne ; et leur ingérence y jetait le trouble et le désordre. D’autre part, la politique, les factions rivales, les divisions entre émirs, tenaient en éveil un certain esprit d’anarchie. D’où, exactions, avanies, tracasseries de toute sorte, luttes de partis. Lammens, p. 97 sq., 112 sq. ; Jouplain, op. cit., p. 131132 ; P.’Abboud, op. cit., p. 215-219. Les maronites n’étaient guère épargnés ; ils étaient parfois laissés à la merci de leurs ennemis. Toutefois, il y avait certaines régions, telle la province du Kasrawân, dévolue aux Khazen, où l’action ennemie ne pouvait atteindre facilement. C’est là qu’aux mauvais jours les chrétiens allaient se réfugier, nous le verrons plus loin.

Malgré les mœurs, parfois barbares, de certains émirs, les Chihàb ont bien mérité de leur pays. Ils travaillèrent sans cesse à son indépendance et à sa sécurité. Leur situation politique dura jusqu’à la chute de Bachîr II (1840). Son successeur Bachîr III, il est vrai, était encore un Chihàb. Mais la teneur du firman d’investiture, 3 septembre 1840, montre bien que, dans la pensée du sultan, cette nomination n’était qu’une mesure de transition. Bachîr III n’était plus, comme ses devanciers, le maître du Liban. Voir le texte de ce firman dans Jouplain, op. cit., p. 254-256. La Porte visait à l’anéantissement de l’autonomie libanaise qui avait toujours été pour elle une gène et un danger. Elle ne pouvait y arriver par la force brutale ; il lui fallait procéder par étapes. Elle exploita habilement la maladresse de Bàchir III, les troubles et les tragiques événements qui marquèrent son gouvernement. Voir le détail dans Lammens, La Syrie, t. ii, p., 171-173.

Destitué par l’envoyé de Stamboul, Moustapha Pacha, ministre de la guerre, il devait être le dernier Chihàb ayant gouverné toute la Montagne. On nomma à sa place un renégat hongrois, ’Omar Pacha (janvier 1842). La tyrannie et la brutalité de celui-ci, la gravité de ses torts et de ses maladresses obligèrent Stamboul, sur les représentations des puissances, à le rappeler. Mais, entre.temps, la Porte avait semé parmi les populations libanaises de puissants ferments de discorde et creusé un fossé profond entre chrétiens et druses. De la sorte, elle pouvait se fonder sur un prétexte apparemment sérieux pour s’opposer au rétablissement’de l’émirat du Liban. « Ces tentatives auraient pu être écartées par une entente entre les grandes puissances. Malheureusement, leur manque d’union, et surtout la rivalité de la France et de l’Angleterre, devaient, au contraire, faciliter le jeu de la Porte. Fidèle à ses traditions, le gouvernement français ne cessa d’appuyer les revendications des maronites en vue du maintien du Liban autonome et indivis sous l’administration des Chéhab. Devant l’opposition de l’Angleterre, la Montagne fut cependant partagée en deux gouvernements, l’un maronite au nord, l’autre druse au sud. » Ristelhueber, op. cit., p. 31-32. Les circonstances conduisirent donc au déplorable système d’un double qdïmaqâmat ou gouvernement, celui des chrétiens, au nord de la route de Beyrouth-Damas, et celui des druses, au sud. Les chrétiens formaient la majorité dans le Liban nord : mais si les druses étaient les plus nombreux dans le Liban sud, la population chrétienne, elle aussi, y était considérable ; on y trouvait beaucoup de villages mixtes. Les deux qdlmaqâms furent nommés et installés le 1° janvier 18 13. Purement artificielle, cette délimitation, loin de mettre fin aux vexations et à l’anarchie, les accrut plutôt. Le patriarche et 336 chefs maronites confièrent au 1’. Azar, vicaire général de l’archevêchée de Sidon (situé dans