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    1. MÉRITE##


MÉRITE, DERNIERS PÈRES GRECS

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c) Cette doctrine de saint Grégoire se retrouve chez les écrivains postérieurs.

Déjà saint Isidore de Séville a recueilli parmi ses « sentences » le texte rapporté ci-dessus de Moral., XVIII, xl, C3, où il est dit que c’est la grâce qui fait en nous le mérite qu’elle doit ensuite récompenser. Et comme pour mieux sauvegarder la part nécessaire de l’homme, l’auteur d’ajouter cette glose, qui d’ailleurs est sans doute une citation prise en un autre endroit : Sciendum quod et noslra sit juslitia in his quæ recle agimus et Dei gratia, eo quod per eam mereamur. Hssc enim et dantis Dei et accipientis est hominis. Sent., II, v, 5, P. L., t. Lxxxiii, col. 604.

On voit assez sous quelles influences allait se développer la théologie du Moyen Age, qui ne cessa pas de s’alimenter en idées et en textes auprès de ces vulgarisateurs. Elle devait y puiser cet angustinisme complet, qui, loin de sacrifier le libre arbitre à la grâce, demande à leur perpétuel concours le fondement du mérite humain.

Tradition grecque à partir du v siècle.

Autant

l’Église latine s’est passionnée pour le problème anthropologique, autant l’Église grecque s’y est, dans l’ensemble, montrée peu sensible. Il s’ensuit que cette fin de l’âge patristique, qui, chez les Occidentaux, fut si riche en controverses et si féconde en résultats, n’a guère fait que laisser les Orientaux sur leurs anciennes positions. On a pu leur faire grief d’avoir insuffisamment réalisé le dogme de la grâce, bien qu’ils en affirment incontestablement la nécessité. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 212-214. C’est dire, en tout cas, combien ils sont peu suspects de méconnaître la valeur de l’œuvre humaine. Mais, en général, leur théologie du surnaturel ne semble pas marquer de progrès bien appréciable sur les énoncés généraux dont se contentaient la plupart des Pères antérieurs.

1. Chez les mystiques.

On fait, d’ordinaire, grand état, chez les protestants, de l’opuscule composé par l’ermite Marc « à l’adresse de ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres ». P. G., t. lxv, col. 929966. Non seulement les anciens polémistes, comme Flacius Illyricus, l’inscrivaient parmi les testes veritalis, mais des historiens modernes, tels que Th. Ficker, Der Mcnch Marcus eine reformalorische Stimme aus dem 5. Jahrhundert, dans Zeitschrift fur die historische Théologie, t. xxxviii, 1868, p. 402430, en voudraient faire un précurseur de la Réforme. Voir là-dessus J. Kunze, Marcus Eremita, Leipzig, 1895, p. 2 et 65, et ici l’art. Marc L’ermite, t. ix, col. 1964.

Quelques-unes, en effet, de ses « maximes » semblent, au premier abord, rendre un son absolument défavorable à la notion de mérite. Non content d’insister sur l’action prépondérante de la grâce, Opusc, ii, 23, 56, 108, 168, col. 933, 937, 947 et 956, il rappelle que nous devons nous considérer comme des « serviteurs inutiles » et il en conclut : « Le royaume des cieux n’est donc pas le salaire des œuvres, mais une grâce de Dieu préparée à ses fidèles serviteurs. » Ibid., 2, col. 929. Car « le maître ne doit pas de salaire à ses serviteurs » et, puisque le Christ est mort pour nous, comment voudrions-nous tenir que « l’adoption nous est due » ? La gloire ne l’est pas davantage. « Quand tu entends l’Écriture dire qu’il doit rendre à chacun selon ses œuvres, [note qu’] elle ne dit pas des œuvres dignes de la géhenne ou du royaume, mais des œuvres de foi ou d’infidélité, que le Christ doit rendre à chacun, non comme partenaire d’un contrat synallagmatique, mais comme Dieu notre créateur et rédempteur. » Ibid., 18, 19, 21, col. 933. D’ailleurs, « si tout le bien dont notre nature est capable nous sommes tenus de le faire tous les

jours, que pourrons-nous rendre à Dieu pour des fautes antérieures ? » Ibid., 42, col. 936.

Sa direction spirituelle est conforme à sa théologie. Marc prêche le désintéressement le plus absolu. « Celui qui fait le bien et cherche une rétribution ne sert pas Dieu, mais sa propre volonté. » Ibid., 54, col. 937 ; cꝟ. 22, col. 933. « Il y en a qui, en observant les commandements, s’attendent à ce que cette fidélité fasse contrepoids à leurs péchés dans la balance ; d’autres comptent sur la miséricorde divine au nom de celui qui est mort pour nos péchés. On cherchera quels sont ceux qui pensent juste. > Ibid., 131, col. 949. Conclusion volontairement énigmatique, mais sur le sens de laquelle le contexte ne laisse pas le moindre doute.

Pourtant notre mystique réclame énergiquement les œuvres. Voir Opusc, i, 88 et 201, col. 916 et 929 ; Opusc, ii, 13, 50, 85, col. 932, 937, 944. « La semence ne pousse pas sans la terre et sans l’eau : ainsi l’homme ne profite pas sans les efforts volontaires et le secours divin. » Opusc, ii, 63, col. 940.

Comment ces œuvres pourraient-elles ne pas avoir leur récompense ? « Les travaux entrepris pour la piété sont suivis d’une rétribution. » Ibid., 51, col. 937 ; cꝟ. 121, 137, 174, col. 948, 952, 957] ; i, 26, col. 908-909. Il est même permis à l’âme de s’encourager dans la peine par l’espoir de cette récompense. Voiri, 157, et ii, 61, col. 924 et 940.

D’où il suit que Marc ne veut, en somme, que tenir un juste milieu entre deux extrêmes. « Il y en a qui s’imaginent avoir une foi saine sans observer les commandements ; d’autres, parce qu’ils les observent, attendent le royaume comme un salaire qui leur est dû : les uns et les autres ont manqué le royaume. » Opusc, ii, 17, col. 932. Ce que le vieil ermite grec tient à exclure, c’est l’illusion d’un droit strict appuyé sur les seules œuvres de l’homme : en quoi il représente un point de vue cher aux mystiques de tous les temps et dont tout chrétien doit tenir compte. Peut-être n’est-il pas exempt de quelque exagération dans l’insistance qu’il met à l’accentuer. En tout cas, ses formules intransigeantes ont parfois alarmé les gardiens de l’orthodoxie. Voir les témoignages de Bellarmin et autres, rapportés, d’après les anciens historiens catholiques, dans P. G., t. lxv, col. 896 et 899-900. Mais rien n’autorise à le présenter comme un adversaire absolu du mérite humain bien compris.

2. Chez les théologiens.

Quoi qu’il en puisse être, au demeurant, de ce mystique solitaire, des docteurs plus représentatifs témoignent de la direction normale suivant laquelle le grand courant de la théologie grecque continuait à se développer.

a) Saint Cyrille d’Alexandrie se plaît à rappeler comment Dieu voulut donner le libre arbitre à ses créatures et les soumettre à la loi de l’épreuve, pour que chacune fût ensuite châtiée pour ses fautes ou récompensée pour ses vertus. Voir In Joan., 1. IX (xiii, 18), P. G., t. lxxiv, col. 129 ; Cont. Julian., t. V, t. lxxvi, col. 744. Les chrétiens ne sont pas dans d’autres conditions, sauf que la régénération surnaturelle qu’ils ont reçue leur impose de porter des fruits plus abondants. Voilà pourquoi, sur la base de l’adoption divine qui est sa conception fondamentale, voir Cyrille d’Alexandrie, t. iii, col. 2516-2517, le saint docteur invite les fidèles à la pratique des œuvres. De ador. in spiritu et veritate, t. XVII, t. Lxviii, col. 1076-1077 ; Glaph. in Genesim, iv, 6, t. lxix, col. 204-205. C’est d’après ces œuvres que le Christ viendra nous juger. In Zach., 105, t. Lxxii, col. 248-249 ; In Luc, v, 8, ibid., col. 729 ; In Joan., t. II, 4 (m, 36), t. lxxiii, col. 285. Or les sanctions de ce jugement auront le caractère