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MÉRITK. DERNIERS PERES LATINS

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Il n’est pas Inutile de remarquer également que les définitions du concile d’Orange marquent une perception plus nette des exigences propres à l’ordre surnaturel. Si la grâce est nécessaire, c’est pour croire, prier et agir sicut oportet, ou encore ul expedit. (".an. 6-7. Denzinger-Bannwart, n. 179-180. C’est affirmer, sans nul doute, que les œuvres faites autrement sont sans valeur pour le salut ; mais est-ce à dire qu’elles soient sans valeur du tout ? Pris dans toute leur rigueur logique, les principes posés laisseraient plutôt entrevoir le contraire et l’on aurait alors ce que l’école devait appeler le mérite de congruo. Mais cette question est de celles qui n’émergeaient pas encore clairement à l’horizon de la théologie chrétienne. Il n’en est pas moins à propos d’observer que la doctrine formulée au concile d’Orange, qui se meut tout entière sur le plan de la grâce, n’a rien de contraire à cette conception.

3. Paisible épanouissement de la foi catholique. — Après la controverse semi-pélagienne, aucun nuage ne trouble plus la paix de l’Église. Il suffit donc aux derniers Pères latins de rappeler les principes acquis. Si, comme le relève J. Tixeront, op. cit., t. iii, p. 347, les besoins de leurs « néophytes barbares » les forcent d’appuyer plus que jamais sur la doctrine des œuvres, celle de la grâce n’en soutire aucun détriment. « ) Cassiodore affirme à plusieurs reprises la nécessité absolue de la grâce à la base de tous nos mérites. Voir Exp. in Ps. L, 6, P. L., t. lxx, col. 362-363 ; in Pu. IXXXVII, 13, col. 626 ; in Ps. CXVili, 17, col. 842. Le roi-prophète nous enseigne à ne faire aucun cas des mérites humains : Ubi sunt qui humanis meritis dicunt aliquid applicandum ?… Futura prsemia ex antecedentibus beneficiis sibi crédit esse ventura. Exp. in Ps. xxv/, 14 et 18, col. 191, 192. Cf. in Ps. lxxxi/i, 13, col. 605 : Ipsa est quippe Domini Christi yralia qu ; e nos præparat, adjuvat, corroborai et coronat.

Mais il n’en réclame pas moins les bonnes œuvres comme des semences dont la vie éternelle est le fruit : Opéra fidelium in hoc mundo seminaniur, ut in illa xternitate eorum laudabilis fructus appareat. Exp. in Ps. cr, 30, col. 718. Cf. in Ps. CXI, 2, col. 805 : In hoc sœculo velul semina jaciuntur ut fructus futuræ messis adolescat.

b) A cette « moisson future » saint Grégoire le Grand reconnaît proprement le caractère d’une rémunération. Nous sommes devant Dieu comme le mercenaire qui attend le salaire d’une journée bien remplie. Moral., VIII, vii, 12. P. L., t. lxxv, col. 808. Sur quoi le saint pape ne craint pas de noter que la perspective de la récompense allège le poids du labeur présent : Ex comparatione præmii quam sit levé quod patiuntur inveniunl. Ibid., viii, 14, col. 810. Cf. Moral., XVIII, xviii, 28, t. lxxvi, col. 52 ; Hom. in Evang., t. II, hom. xl, 5. ibid., col. 1306.

Or il est bien évident que la rémunération suppose le mérite. Grégoire connaît parfois ce terme au sens objectif de dignité. Reg. past., iii, 28, t. lxxvii, col. 107 : mais il l’emploie d’ordinaire au sens moral de valeur acquise devant la justice divine. Dès lors, ce ne sont pas seulement les pécheurs qui sont punis iniquitatis suæ merito. Moral., XIV, xxiv. 28. t. lxxv, col. 1054, mais aussi les justes qui reçoivent une rétribution proportionnée à leurs mérites : Quia in hac vila nobis est discretio operum, erit in illa procul dubio discretio dignitatum, ul quod hic alius alium merito superat illic alius alium retributionc transcendât. Moral.. IV. xxxvi, 70. ibid., col. 677.

Cette notion du mérite est tellement importante qu’elle commande toute la conception chrétienne de Dieu et de sa Providence. A la différence des hommes, qui jugent d’après les apparences extérieures, omni potens Deus vitam hominum ex sola qiuditate interrogat meritorum. Moral., XXV, i, 1, t. lxxvi, col. 319. Même son gouvernement terrestre s’explique de cette façon : Irascente Deo, secundum noslra mérita redores accipimus. Ibid., xvi, 34, col. 344.

Non content d’affirmer ainsi l’existence et l’importance du mérite, saint Grégoire dégage, avec un remarquable sens de l’équilibre, le double facteur, humain et divin, dont il procède. Le principal est, à n’en pas douter, la grâce, qui précède nos œuvres et en fait tout le mérite ; mais, sous son influence, la liberté subsiste et produit les actes bons qui nous valent ensuite la récompense : Aspiratione gratiæ virtutum opéra prolinus in corde generantur, ul ex libero quoque arbitrio subsequatur actio, cui post hanc vitam retributio œterna respondeat… Ilominis quippe meritum superna gratia non ut veniat invenit, sed postquam venerit facit… Facit in ea [indigna mente] meritum quod remuneret. Moral., XVIII, xl, 63, t. lxxvi, col. 73-74.

Ainsi le bien que nous faisons est à la fois de Dieu et de nous. Prévenus de ses dons, nous ne sommes pas en mesure de nous considérer à son égard comme des créanciers qui réclament leur dû : Nemo Deum meritis prsevenit ut tenere eum quasi debitorem possit. Mais, ceci dit pour maintenir l’initiative de la grâce, saint Grégoire de continuer : Bonum quippe quod agimus et Dei est et nostrum, Dei per prævenienlem gratiam, nostrum per obsequentem liberam voluntatem. Si enim Dei non est, unde ei gratias in œternum agimus ? Rursum si nostrum non est, unde nobis relribui præmia speramus ? Moral., XXXIII, xxi, 38 et 40, t. lxxvi, col. 699. Voir In Ezech., i, hom. ix, 2, ibid., col. 870, un semblable développement, qui se termine, suivant la formule augustinienne, en réduisant nos mérites à un don de Dieu : Prseveniente ergo gratia et bona voluntate subséquente hoc quod omnipotentis Dei donum est fit meritum nostrum. D’autre part, ce mérite, Dieu veut le couronner comme s’il venait entièrement de nous : Superna ergo pielas prius agit in nobis aliquid sine nobis, ut, subséquente quoque nostro libero arbitrio, bonum quod jam appetimus agal nobiscum, quod tamen per impensam gratiam in extremo judicio rémunérât in nobis ac si solis processisset ex nobis. Moral., XVI, xxv, 30, t. lxxv, col. 1135.

Sur le terrain pratique, le saint pape est d’ailleurs un moraliste trop averti pour ne pas reconnaître l’imperfection de nos mérites. Il lui arrive même de dire expressément : Omne virtutis nostræ meritum esse vitium… si ab interno arbilro districte judicetur. Moral., IX, ii, 2, P. L., t. lxxv, col. 859. Mais, un peu plus loin, la même prémisse pessimiste lui sert seulement à mettre en relief le besoin de recourir à la miséricorde divine. Omnis humana juslitia injustitia esse convincitur, répète-t-il, si districte judicetur. L’âme religieuse doit donc toujours imiter l’exemple de Job et dire : Elsi ad opus virtutis excrevero, ad vitam non meritis sed ex venia convalesco. Ibid., xviii, 28, col. 875. Cf. ibid., xxv, 37, col. 878 : Quid superest nisi ut recta quæ agimus sciendo nesciamus, ut turc et recta œstimemus et minimal

Il n’en est pas moins vrai que ce qui caractérise la pensée de saint Grégoire le Grand, c’est son insistance à marquer, sous l’action de la grâce, la réalité et la valeur de l’œuvre humaine. R. Seeberg. Dogmengeschichie, t. iii, p. 40. Ce qui lui vaut naturellement, de la part des historiens fidèles au dogmatisme de la Réforme, le reproche de semi-pélagianisme. F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 4 16 et lui. Cf. Harnack, t. iii, p. 260..Mais n’est-ce pas, au contraire, par là qu’il se révèle comme l’interprète du dogme catholique dans toute son harmonieuse complexité ?