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MERITE, CONTROVERSE SEMI-PÉLAGIENNE


de nos mérites : Si opéra cessabunt, honorem mérita non habebunt. Plus encore que de la dignité de l’homme, il y va de la gloire et de la justice même de Dieu. Mullum et remunerantis yloriæ et remuneratoris justiliæ derogabitur, si summi et illlustres viri per quielem et desidiam coronantur. Ibid., 11, col. 800. Rien que cette récompense ne relève pas de la stricte justice, témoin le curieux texte où il oppose rémunération à rétribution, n, 4, col. 818, Dieu n’en reste pas moins pour lui le voluntatum remuneralor. i, 16, col. 809. Ce qui laisse entendre, comme on le voit bien ailleurs, par exemple, i, 17, col. 810, que c’est à la bonne volonté qu’appartient l’initiative, ut cum famulus exhibuisset in labore obedientiam Dominus ostenderet in remuneralione justitiam. Visiblement l’affirmation du mérite humain se produit ici au détriment de la grâce. Cf. Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, col. 295-296, et, ici même, Fauste de Riez, t. v, col. 2103-2104.

Il est assez surprenant qu’après cela un de ses contemporains, Gennade, ait pu voir dans l’évêque de Riez un défenseur de la grâce : … In quo opère doeel… quidquid ipsa libertas arbitra labore piæ mereedis acquisierit non esse proprium merilum sed gratis : donum. De script, eccl., 85, P. L., t. lviii, col. 1109. Ce jugement et quelques autres du même ordre lui ont parfois valu d’être lui-même rangé parmi les semi-pélagiens. Tixeront, op. cit., p. 297. Mais il ne faut pas oublier qu’il reproduit ailleurs in extenso le document romain cité plus haut, où nos mérites sont nettement subordonnés à l’action préalable de la grâce. De eccl. dogm., 26 et 32, ibid., col. 986-988.

A rencontre de cette renaissance de l’antiaugustinisme, les principes augustiniens furent repris sans la moindre compromission par saint Fulgence de Ruspe et saint Césaire d’Arles. Voir Césaire, t. ii, col. 2178, et Fulgence, t. vi, col. 970-971. Les deux insistent sur la nécessité de la grâce pour le tout premier commencement du bien et professent, en conséquence, que notre prédestination a lieu sans aucun mérite de notre part. On trouve même chez l’évêque de Ruspe un écho direct de cette doctrine spécifiquement augustinienne, voir col. 650, qui fait, non seulement de nos mérites un don de Dieu, mais de la rémunération céleste une grâce : Cur autem mors stipendium vila vero œterna gratia dicitur, nisi quia illa redditur, hœc donatur ?… In sanctis igitur coronat Deus justitiam quam eis gratis ipse tribuit, gratis servavit, gratisque perfecit. Ad Monim., i, 10 et 13, P. L., t. lxv, col. 159 et 162. Cf. Epist., m, c. iii, n. 5 c. iv, n. 6 et 7, ibid., col. 320 ; Epist., xvi, c. viii, n. 26, col. 450.

Il faut sans doute rapporter à la même époque cet ouvrage anonyme, attribué plus tard à saint Augustin, qui, sous le titre d’Hypomnesticon, se donne pour but de réfuter les pélagiens. A cette fin, il insiste sur la nécessité et la priorité de la grâce : Vt Deo placeanl operibus bonis operatur in eis et velle et posse. III, iii, 3, P. L., t. xlv, col. 1623. Mais cette grâce ne va pas sans la coopération du libre arbitre : In omni itaque opère sancto prior est voluntas Dei, poslerior liberi arbitrii ; id est operatur Deus, cooperatur homo. III, x, 18, col. 1631 ; cf. ibid., xv, 33, col. 1638. En conséquence, il y a place, suivant l’usage que nous faisons de notre liberté, pour le mérite aussi bien que pour le démérite : Habet enim homo malum merilum, cum… déclinai a bono et facit malum… ; habet nihilominus et bonum meritum, cum in omnibus gratise Dei bona in se operanti non resistil sed cooperalor existit et omnem spem suam habet in illam. Mais, au fond, ce mérite est encore une œuvre de la grâce : In pressenti namque labor inductus est , ut fiant mérita per auxilium gratise, non præmissorum

redditio merilorum… Quidquid ergo homo in prmsenti fuerit consecutus, donum est non merilum. Ce qui n’empêche qu’il en doive recevoir dans la vie future une juste rétribution : Tune meritum reddetur justis secundum opéra sua, quorum per lolam sseculi vilam meritum omne fuit gratia. Ibid., xiii, 30, col. 16361637. Loin d’être exclu par le dogme de la grâce, le mérite en est le dernier aboutissant.

Ces controverses théologiques aboutirent aux décisions du concile d’Orange (3 juillet 529), où saint Césaire d’Arles fit passer toute la substance de l’augustinisme contre l’erreur semi-pélagienne. Deux de ses canons sont proprement relatifs à la doctrine du mérite.

12. Taies nos amat Deus Dieu nous aime tels que

quales futuri sumus ipsius nous serons par le don [de

dono, non quales sumus nos— sa grâce], non tels que nous

tro merito. sommes par notre mérite.

18. Nullis meritis gra— Étant donné qu’aucun

tiam pra*venientibus, debe— mérite ne précède la grâce,

tur merces bonis operibus, une récompense est due aux

si fiant ; sed gratia, quæ non bonnes œuvres, si elles se

debetur, prsecedit ut fiant, produisent ; mais la grâce,

Denzinger-Bannwart, n. qui n’est pas due, [les] pré 185 et 191 ; Cavallera, The— cède pour qu’elles se produi saurus, n. 854. sent.

Ces deux canons reproduisent les 56 m et 297 me sentences tirées par saint Prosper des œuvres de saint Augustin, P. L., t. xlv, col. 1864 et 1885, dont la seconde est à peu près textuellement empruntée à saint Augustin lui-même. Cont. Julian. opus imperfectum, i, 133, P. L., t. xlv, col. 1133. On retrouve la même doctrine en termes plus personnels dans la profession de foi qui suit les canons.

Hoc etiam salubriter pro— Nous professons aussi et

fitemur et credimus quod in croyons salutairement qu’en

omni opère bono non nos toute œuvre bonne ce n’est

incipimus et postea per Dei pas nous qui commençons,

misericordiam adjuvamur, pour être ensuite aidés par la

sed ipse nobis, nullis præce— miséricorde de Dieu. C’est

dentibus bonis meritis, et lui qui, sans aucuns mérites

finem (lire : fidem) et amo— antécédents de notre part,

rem sui prius inspirât, ut nous inspire d’abord la foi

et baptismi sacramenta fide— et l’amour pour lui, pour

liter requiramus et post bap— nous faire rechercher fidèle tismum, cum ipsius adjuto— ment le sacrement du bap rio, ea quæ sibi sunt placita t<>me et, après l’avoir reçu,

implere possimus. nous rendre capables d’ac Denzinger-Bannwart, n. complir, avec son secours, ce

200 ; Cavallera, n. 855. qui lui est agréable.

Suivant les nécessités du moment, ce que l’Église veut mettre in tuto c’est l’antériorité de la grâce par rapport à tous nos mérites. Mais déjà cette doctrine suppose implicitement que, dans les conditions voulues, c’est-à-dire moyennant le secours divin, nous sommes en mesure de mériter. De plus, le concile enseigne explicitement qu’après le baptême nous pouvons « accomplir la volonté de Dieu » et qu’à ces bonnes œuvres « une récompense est due ». Principes dogmatiques qui fondent la possibilité du mérite et en sous-entendent la réalité, telles que les définira plus tard le concile de Trente. Ce qui est en cause au vi° siècle, ce n’est pas la valeur de l’œuvre humaine, mais l’action préalable de la grâce à son origine. Voilà pourquoi l’Église doit insister avant tout sur celle-ci, bien qu’elle ne puisse le faire sans poser et consacrer par là-même les fondements de celle-là. Aussi bien F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 445, trouvet-il à cette doctrine des tendances semi-pélagiennes. Il est vrai qu’Augustin lui-même est accusé, p. 412, d’avoir ouvert la porte au semi-pélagianisme par sa doctrine du mérite ! La singulière hantise dont procèdent ces jugements n’empêche pas de retenir comme un aveu la reconnaissance du fait positif qui en forme la base.