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MÉRITE, CONTROVERSE SEMI-PÉLAGIE NNE


à montrer que la grâce de Dieu tend, au contraire, à susciter nos œuvres : … Ut, cum venerit Dominas reddere unicuique secundum opéra ejus, inveniat opéra nostra bona qute præparavit Deus. Ibid. Une lettre suivante rappelle les mêmes principes et précise que bons et méchants seront jugés secundum propriæ voluntatis mérita. Epist., ccxv, 1, col. 971. Pour de plus amples explications, le saint docteur composa ses deux traités De gratia et libero arbitrio, De correptione et gratia, et la question ne semble pas avoir eu d’autres suites.

Inversement, les moines marseillais prenaient la défense du libre arbitre contre la doctrine augustinienne de la prédestination. Le salut, à leurs yeux, devait s’expliquer par la prescience de nos œuvres, cum voluntariæ devotioni remuneratio sit parafa, et la grâce, qui nous est nécessaire à cette fin, était subordonnée au mérite de la foi, merito credulilatis. Sinon, il n’y aurait plus de stimulant à l’effort moral : Removeri itaque omnem induslriam toilique virtutes, si Dei constitutio humanas præveniat voluntates. Lettre de saint Prosper d’Aquitaine, dans S. Augustin, Epist., ccxxv, 3 et 6, col. 1003, 1005.

Jean Cassien reste pour nous aujourd’hui un incontestable témoin de cette tendance. Tout en protestant contre l’erreur pélagienne, Collât., xiii, 16, P. L., t. xlix, col. 942, et proclamant les droits suprêmes de la grâce : summam salutis nostræ non operum nostrorum merito sed cœlesti gralise deputandam, ibid., 18, col. 945-946, cꝟ. 1, col. 899, il affirme avec énergie l’importance du libre arbitre et lui reconnaît le pouvoir de produire un premier commencement de bonne volonté, dont la grâce de Dieu vient ensuite assurer l’achèvement. Ibid., 8, col. 912-913. Unde, conclut-il à l’opposé de saint Augustin, cavendum est nobis ne ita ad Dominum omnia sanctorum mérita referamus ut nihil nisi quod malum atque perversum est humanæ ascribamus naturæ. Ibid., 12, col. 927. Cependant, entre la rémunération divine et le mérite de nos œuvres, il reste toujours une immense disproportion : Quantumlibet enisa fuerit humana fragililas, futuræ relributioni par esse non poterit, nec ita laboritus suis divinam imminuit gratiam ut non semper graluita perseverel. Ibid., 13, col. 934.

Telles étaient les doctrines de ce qu’on a dénommé plus tard, non sans impropriété, le semi-pélagianisme. L’évêque d’Hipponeprit expressément position contre elles dans ses deux traités De prsedestinatione sanctorum et De dono perseverantiee.

Après la mort de saint Augustin, ses principes furent repris et défendus par saint Prosper d’Aquitaine. Il reproche à Cassien de retomber, bon gré, mal gré, dans le pélagianisme et n’admet aucune espèce de mérite avant ou sans la grâce : Impium est velle meritis unie gratiam exislenlibus locum facere. Liber conl. collât., iii, 1, P. L., t. li, col. 222 ; cf. ibid., xi, col. 242-243 ; InPs. CXLU, 1, col. 406. Cependant la grâce de Dieu n’empêche pas nos œuvres d’être méritoires : Habebant isti fidem, habebant et opéra charitatis qum nec laude polerant carere nec merito. Conl. collât., xvi, 2, col. 260. Mais ce mérite même est un don de Dieu. Ibid. Cf. Episcoporum auctoritales, 5 et 9, col. 207, 210.

De ce pur augustinisme on lit un parfait résumé dans le Carmen de ingratis, 982-985, col. 146 : Si quid enim recti gerimus, Domine, auxiliante Te gerimus. Tu corda moves, tu vota petentis Qu ; e dare vis tribuis, servans largita creansque De meritis mérita, et cumulans tua dona coronis.

On trouve également la nécessité de la grâce affirmée et longuement démontrée dans l’anonyme De vocatione omnium gentium, I, 23, P. L., t. li, col. 676-678. Cf. ibid., 18, col. 671 : Ab ea gratia

incipieniibus meritis quam accepere sine meritis. Mais cette grâce même engendre, comme on le voit, le mérite chez ceux qui la font dûment fructifier : Datur unicuique sine merito unde tendat ad meritum, et datur ante ullum laborcm unde quisque mercedem accipial secundum suum laborem. Ibid, ii, 8, col. 692. Cf. ibid., 35, col. 720 : Deus ergo his quos elegil sine meritis dat unde ornentur et meritis. Et frustra dicitur quod ratio operandi non sit in electis, cum eliam ad hoc ut operentur electi sint. Aussi la gloire céleste dépend-elle tout à la fois du propos divin et de nos efforts : … VI per laborem operum, per instantiam supplicationum, per exerciiia virtutum fiant incrementa meritorum, et qui bona gesserinl non solum secundum proposiium Dei sed etiam secundum sua mérita coronentur. Ibid., 36, col. 721.

Ainsi, loin de nuire au mérite, la doctrine augustinienne de la grâce aidait ses fidèles interprètes à la mieux enraciner.

Sans avoir provoqué aucun acte officiel du magistère ecclésiastique, cette première phase de la controverse semi-pélagienne n’en a pas moins donné naissance à ce célèbre Indiculus de gratia Dei qui fixe les positions de l’Église romaine en regard de l’augustinisme. On y recommande d’éviter les questions trop subtiles ; mais dans ce nombre n’entre pas celle du mérite, sur laquelle sont, au contraire, rappelés et fermement affirmés les principes du surnaturel chrétien.

D’une part, à la base de tous nos mérites il faut placer la grâce.

C.8. Quod omnia studia et Que toutes les affections

omnia opéra ac mérita sanc— toutes les œuvres et mérites

torum ad Dei gloriam lau— des saints doivent être rap demque referenda sint, quia portés à la gloire et louange

nemo aliunde ei placet nisi de Dieu. Car personne ne lui

ex eo quod ipse donaverit. plait qu’au moyen de ce qu’il

Denzinger-Bannwart, n. 134. a lui-même donné.

Mais, d’autre part, ces dons de Dieu peuvent et doivent devenir nos mérites, moyennant notre coopération.

C. 12… Non dubitemus Ne doutons pas que la

ab ipsius gratia omnia, ho— grâce ne prévienne tous les

minis mérita prseveniri. Quo mérites de l’homme… Ce

utique auxilio et munere Dei secours et présent de Dieu

non aufertur liberum arbi— ne supprime d’ailleurs pas le

trium, sed liberatur… Tanta libre arbitre, mais le libère…

enim est erga omnes homines En effet, si grande est la

bonitas Dei ut nostra yelit bonté de Dieu a l’égard de

esse mérita qua ; sunt ipsius tous les hommes qu’il veut

dona et pro his quæ largitus que ses propres dons devien est aeterna prsemia sit dona— nent nos mérites et qu’en

turus. Agit quippe in nobis retour de ses faveurs il nous

ut quod vult et velimus et accorde des récompenses

agamus, nec otiosa in nobis éternelles. Il agit donc en

esse patitur quæ exercenda nous pour nous faire vouloir

non negligenda donavit, ut et réaliser ce qu’il veut, et il

et nos cooperatores simus ne laisse pas stériles en nous

gratioe Dei. les dons dont il nous a gra Ibid., n. 141 ; Cavallera, ti fiés pour les mettre en ceu Thesaurus, n. 845. vre et non pour les négliger, de telle sorte que nous soyons, nous aussi, les coopérateurs de la grâce de Dieu.

b) Deuxième phase. — Malgré la netteté de ces déclarations, la même controverse allait renaître encore une fois vers la fin du v siècle et le commencement du vi e.

Le semi-pélagianisme provençal trouva un nouveau défenseur en la personne de Fauste de Riez. Après avoir écarté l’erreur pélagienne, il se tourne contre ceux qui veulent accorder « tout à la grâce » pour revendiquer la part de notre activité morale. De gratia Dei, i, 3, P. L., t. lviii, col. 789.

C’est pourquoi il insiste sur la liberté et les œuvres qui en sont le fruit, en vue de sauvegarder la valeur